Du racisme anti-noirs d'une future candidate à la présidence de la République et de l'absence d'incrimination spécifique du racisme dans le code pénal tunisien.
Par Houcine Bardi*
Dans un post publié sur sa page Facebook, Leïla Saïdi-Hammami riposte aux attaques dont elle se dit être victime de la part d'Africains subsahariens, en citant les vers tristement célèbres du poète classique arabe Al Moutanabbi, déversant sa haine sur Kâfour Al-Akhchidi, en désespoir – semble-t-il – de récompenses maintes fois promises et non-octroyées (piètre choix d'une aspirante servante «inintéressée» de la République) :
«L'esclave n'est pas un frère pour l'homme libre et pieux
Même s'il est né dans des habits d'homme libre.
N'achète jamais un esclave sans un bâton pour l'accompagner
Car les esclaves sont infects et des bons à rien dangereux.»1
N'était son annonce de candidater (encore une!) à la prochaine élection présidentielle tunisienne, ces propos éminemment racistes tenus par Mme Hammami, seraient sans doute passés inaperçus. Tant il est vrai que les expressions à connotation raciste se sont carrément sédimentés dans le langage courant des Tunisiens, et des Arabes en général, au point que certains (peut-être même la majorité) les utilisent, presque inconsciemment, sans la moindre intention péjorative ou discriminatoire. Ce qui ne doit pas nous dispenser d'une profonde opération de toilettage de notre langage, voire même de notre langue...
Manifestation contre le racisme anti-noirs à Tunis.
L'auteure de cet «acte de langage» intentionnellement raciste aspire donc – au demeurant on ne peut plus légitimement – à devenir la première dame de Tunisie, non par le biais d'un hypothétique lien conjugal comme c'est souvent le cas, mais par la voie royale qu'est le suffrage universel.
Et c'est là que les choses se corsent pour notre «téméraire» candidate. Ignore-t-elle que même si la loi autorise dans l'absolu n'importe qui à candidater, la réalité concrète (c'est-à-dire in fine les électeurs), elle, oppose une fin de non-recevoir aux candidats non-présidentiables; autrement dit ceux comme celles qui ne remplissent pas a priori les conditions requises pour l'exercice de la plus haute fonction de l'État?!
Autant j'éprouve une certaine admiration, amusée il est vrai, à l'égard d'un Coluche ou d'un Taoufik Ben Brik par exemple, autant je me retrouve interdit même de compassion à l'égard de la foultitude de prétendantes et de prétendants Tunisiens à la magistrature suprême... même pas foutus de nous faire dérider!
Quant à notre illustre inconnue Mme Hammami, elle m'a permis de faire une découverte scandaleuse (à certaines conneries malheur est bon): le Code pénal tunisien ne comporte aucune disposition réprimant le racisme et la discrimination! J'ai eu beau lire et relire ce corpus (censé être) répressif... le silence du législateur à ce sujet demeure des plus assourdissants.
Dès lors, donc, que l'impunité est assurée (principe de la légalité des peines: pas de peine sans texte), il n'est pas étonnant que des candidats autoproclamés ajoutent à la médiocrité le racisme et bien d'autres débilités... standardisées par le simple usage courant qu'on en fait.
Mme Hammami ne sera point élue (sic). Banalité qui tombe sous le sens, me diriez-vous. C'est la symbolique même de sa candidature qui, à mes yeux, représente un sérieux enjeu.
Doit-on au nom de la liberté de candidater autoriser des personnes qui, sous d'autres cieux moins cléments vis-à-vis des racistes et autres xénophobes, seraient passibles de sanctions pénales? Autrement dit des candidats potentiellement «délinquants».
Vieux marché aux esclaves à la médina de Tunis (source: Wikipedia).
Le juge tunisien (n'en déplaise à madame, il sera saisi incessamment sous peu2) ne doit-il pas faire application des dispositions pertinentes de la Déclaration universelle des droits de l'homme, du Pacte international des droits civils et politiques, de la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples et de la Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale... tous instruments internationaux ratifiés par la Tunisie et qui, en conséquence, se doit non seulement de les retranscrire dans sa législation interne3, mais surtout de les faire respecter par sa justice?
À quand donc une incrimination spécifique du racisme et de la discrimination dans notre code pénal?
Qu'attend la Ligue tunisienne des droits de l'homme (LTDH), ainsi que toutes les nombreuses autres organisations de défense des droits de l'homme, pour agir et faire progresser la cause des droits humains dans un pays qui, s'il en était, avait été précurseur dans l'abolition de l'esclavage?
Et nos députés constituants! Ne doivent-ils pas, sans plus tarder, prendre à bras-le-corps cette juste cause pour, enfin, pénaliser les infractions de racisme et de discrimination?
C'est à l'aune des avancées qui seraient réalisées, entre autres, sur ce terrain que nos concitoyens devront en principe se prononcer lors des prochaines échéances électorales.
* Avocat au Barreau de Paris.
Notes :
2) Le Comité pour le Respect des Libertés et des Droits de l'Homme en Tunisie (CRLDHT) saisira très prochainement la justice d'une plainte pour propos racistes et dénigrants, avec dénonciation des mêmes faits auprès du Conseil Constitutionnel pour invalidation de la candidature de l'auteur desdits propos.
3) Obligations des Etats : Les Etats parties doivent notamment condamner les propagandes et les organisations qui s'appuient sur des théories fondées sur la supériorité d'une race ou d'un groupe de personnes ayant une certaine couleur de peau ou une certaine origine ethnique, ou qui prétendent justifier ou encourager toute forme de haine et de discrimination raciales. Les Etats parties s'engagent à déclarer punissable par la loi la diffusion de telles idées ainsi que toute incitation à une discrimination raciale ou à des actes de violence contre une race ou un groupe de personnes d'une certaine couleur de peau ou d'une certaine origine ethnique. (Présentation officielle de la Convention).
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