Abou Bakr Al-Baghdadi, chef de l'Etat islamique, a réussi à liguer contre lui tous les protagonistes au Moyen-Orient. Les jours de son «califat» sont comptés.
Par Roland Lombardi*
Actuellement, dans le nord et l'ouest de l'Irak, a surgi un nouveau péril: l'Etat islamique (EI), le Daech, en arabe, d'Abou Bakr Al-Baghdadi, connu à présent sous le nom du calife Ibrahim.
Face à la résistance du régime syrien et à la déliquescence du pouvoir irakien, les troupes du calife Ibrahim (de 20.000 à 30.000 combattants) ont jeté leur dévolu sur l'Irak et ont volé, depuis le début de l'été, de victoires en victoires. Mais, aussi impressionnants et inquiétants qu'ils soient, ces succès ne sont que relatifs et le temps de l'Etat islamique, le «califat», semble déjà compté, et cela pour deux raisons.
Un front anti-djihadistes
D'abord, comme cela se produit en Syrie et ailleurs, la «gestion» des régions, tombées sous le joug de l'EI, se révèlera catastrophique sur le plan économique comme humain. Il n'y a qu'à voir le sort tragique réservé aux chiites, aux Yazidis et aux chrétiens. De plus, les populations sunnites, soumises par la terreur des islamistes, finiront, à terme, par se rebeller inévitablement.
Des dijihadistes dont la sauvagerie n'a pas de limites.
Ensuite, malgré le fanatisme, l'expérience et la férocité de ses troupes et en dépit des soutiens financiers du Qatar et de la Turquie (surtout au début et en Syrie), ainsi que de certains donateurs privés du Golfe, l'EI va rapidement être confronté à d'importantes difficultés sur le plan militaire au regard de la formidable coalition qui est en train de se mettre en place contre lui.
D'abord, le «calife» Abou Bakr Al-Baghdadi doit faire face dans l'est de la Syrie, à la fois à l'armée d'Assad, aux rebelles de l'ASL mais aussi à d'autres milices islamistes.
De plus, en Irak, chose inédite dans l'histoire, les djihadistes de l'EI sont sur le point de mettre toute la région et les grandes puissances d'accord sur un point: la nécessite de combattre l'EI! Face à lui se dressent donc: le pouvoir irakien (surtout que la crise politique peut prendre fin depuis que Nouri Al-Maliki a quitté ses fonctions sous la pression de ses parrains iraniens), le Kurdistan et ses redoutables Peshmergas, la Jordanie, l'Egypte, Israël (dont les pétroliers, les instructeurs et le Mossad sont très présents au Kurdistan) et l'Iran (très impliqué comme soutien du régime syrien et «protecteur» des 60 % de chiites qui composent la population irakienne). Ajoutons aussi la Russie (pourtant en «froid» avec
Le journaliste James Wright Foley égorgé par un djihadiste d'origine britannique.
Washington et très «occupée» en Ukraine mais qui est la principale alliée de l'Iran et du régime syrien) et enfin les Etats-Unis, la Grande-Bretagne et la France, tous trois frappés par un sursaut de réalisme géopolitique fort opportun. Demain, assurément, et aussi incroyable que cela puisse paraître, Assad(1) et même l'Arabie Saoudite (qui commence à comprendre les risques qu'il y a à jouer aux apprentis sorciers...)(2) rejoindront ce véritable front anti-djihadistes, pourtant si improbable il y a encore un an de cela!
Une nouvelle donne géostratégique
Depuis quelques jours, avec l'approbation de la communauté internationale et de l'ONU, Washington a lancé des frappes contre l'EI(3). De leur côté, Français, Britanniques et Allemands ont promis l'envoi d'armes aux Peshmergas kurdes. Ces derniers ont d'ailleurs causé les premières défaites à l'EI. Grâce à l'appui aérien américain et le soutien de tribus sunnites et des troupes gouvernementales irakiennes, ils ont notamment repris le barrage de Mossoul qui était tombé aux mains des islamistes le 7 août dernier.
L'Etat islamique est autant une menace pour la Syrie d'Assad que pour les Etats-Unis et Barak Obama.
Certes, face à un EI déterminé, très bien organisé et très bien équipé, les combats seront encore très rudes. Il y aura d'autres rounds difficiles. Mais si les Etats-Unis, la France et le Royaume-Uni ne vacillent pas et continuent à prendre leurs responsabilités, ils poursuivront leurs actions en Irak, en envoyant des forces spéciales, tout en intensifiant leurs raids à partir de l'automne (lorsque les conditions climatiques seront plus propices). Ainsi, le visage du Moyen-Orient pourrait bien changer.
Au-delà d'une probable création d'un Etat kurde, ce sont les relations entre Américains et Iraniens voire même entre ces derniers et les Saoudiens mais aussi les Israéliens qui pourraient évoluer de manière prometteuse(4)...
Toutefois, les dangers resteront grands: en représailles ou aux abois, l'EI ou d'autres mouvements islamistes radicaux tenteront de frapper dans les endroits les plus vulnérables, comme au Liban. Ils pourraient aussi lancer des campagnes d'attentats visant les intérêts occidentaux dans le monde et surtout en Europe, grâce aux nombreux djihadistes européens qui les ont rejoints depuis ces dernières années.
* Consultant indépendant, associé au groupe d'analyse de JFC Conseil.
Notes :
1) Comme un message adressé aux Occidentaux, le régime syrien a fortement pilonné, le 17 août dernier, la localité de Raqqa, bastion de l'EI en Syrie...
2) Le 19 août, le grand mufti d'Arabie saoudite, Abdel Aziz Al-Cheikh, a dénoncé violemment les djihadistes de l'État islamique (EI) et d'Al-Qaida, les qualifiant d'«ennemi numéro un de l'islam».
3) Même s'il est vrai qu'au début les Etats-Unis protégèrent avec ces frappes, leurs ressortissants, leurs sociétés et leurs intérêts pétroliers, Washington a aussi très bien compris les dangers que représente le «Califat» pour la stabilité de la région...
4) Les négociations sur le nucléaire iranien aidant et face à la «menace du fondamentalisme sunnite», Tel-Aviv et Téhéran pourraient revoir leurs visions géostratégiques dans la région. Jusqu'à la révolution de 1979, Israël était un partenaire privilégié de l'Iran. Mais bien naïf, celui qui croit que tout contact fut rompu depuis cette date... dans les années 1980, durant la guerre Iran-Irak, Israël a soutenu secrètement le régime des mollahs !
Signe des temps: en dépit de déclarations de soutien au Hamas, officielles mais absolument symboliques, l'Iran et le Hezbollah ont véritablement «lâché», dans les faits, le mouvement islamiste palestinien en guerre actuellement contre l'Etat hébreu...
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