L'élection présidentielle est devenue une foire d'empoigne où tous les coups sont permis: croc-en-jambe, coup de Jarnac et parfois balle de Beretta à bout portant...
Par Hedia Yakhlef*
La sagesse ne passerait-elle pas aujourd'hui par ce geste iconoclaste de brûler une terre, de briser une idole et de détruire un monument : Carthage! Objet de tant d'ambitions qui fait de nous la risée des nations !
Vidé de sa substance même, le pouvoir, ce sanctuaire, continue à exercer sur nos hommes politiques une terrible et en même temps ridicule attraction. Tous veulent y être, décidés à y mettre le prix et qu'importe ce que cela coûte en dessous-de-table, en courbettes obséquieuses, en promesses mirobolantes ou en mensonges ahurissants.
Beaucoup sont appelés mais un seul est élu, alors on joue des coudes et tous les coups bas sont permis.
Une vraie foire d'empoigne
Les élections présidentielles!! Une vraie foire d'empoigne où gagne celui qui reste à la fin debout, fût-il couvert d'oripeaux. La règle, s'il en reste dans cette arène, est le croc-en-jambe, le coup de Jarnac et parfois la balle de Beretta à bout portant.
Dur de toucher le saint Graal ! La lutte est impitoyable parce qu'il s'agit de la conquête du lieu qui, dans l'imaginaire de nos politiques, reste le sens ultime du pouvoir, l'incarnation de la force et de la puissance dont ils ont été castrés cinquante ans durant.
Il y a dans cette obsession de Carthage une compensation qui se nourrit de frustrations longtemps retenues, une restauration d'une image abimée de soi, un fonds de motivations psychologiques en somme mais que vient alourdir une représentation complètement obsolète du pouvoir également.
Cette idée de la surpuissance, de la maîtrise absolue, de la référence supérieure, de la vérité ultime; l'image fantasmée d'un Dieu (théos) laïque Alpha et Oméga de la vie de la cité.
Gouverner pour la majorité de nos élites politiques se réduit ainsi à occuper ce centre ombilical de Carthage conçu comme une fin en soi, un accomplissement autotélique qui ne se soutient pas de programmes clairs et précis, de projets structurés, de solutions efficaces mais de la simple mise en scène de soi produite à la limite de l'obscénité au sens de ce qui est trop là ou là de trop.
Personne ne semble situer cette tâche de gouverner à sa juste hauteur. Tous s'en croient capables parce que tous la concoivent «in-consciemment» comme exhibition qui ne s'encombre d'aucune qualité particulière, d'aucune compétence spéciale, d'aucune autorité, d'aucun charisme ni d'aucun rayonnement.
Banalisée, la fonction s'offre ainsi à n'importe quel pasquin, rendant la compétition plus âpre, ouverte aux coups de dague et aux crochets de venin. Qu'on ne s'étonne pas alors qu'un journaliste dégaine sa vieille plume, la trempe dans l'acide caustique et la plante entre les côtes de son «ami». Ce lien, en politique, n'existe pas, il n'y a que calcul et intérêts à son propre profit ou à celui pour qui on roule, rien n'est gratuit dans ce milieu et les principes n'y sont souvent que le drapé de l'alibi.
Omar Shabou et Béji Caïd Essebsi: Je t'aime, moi non plus!
Les palinodies de Omar Shabou
Libre à Monsieur Omar Shabou dans ses palinodies. Qu'il passe de l'éloge le plus ouaté à la flèche la plus empoisonnée c'est son affaire, il est le seul à en détenir le secret et les raisons. Mais qu'il ne nous présente pas cette volte-face comme un simple changement d'opinion. Ce qui est faute morale dans son attitude c'est qu'il nous présente justement l'argument fondamental de la logique de sa lettre, à savoir l'état médical de Caid Essebsi, comme une opinion. Un état de santé est un bilan de symptômes, un agencement d'indices qui font constat. Quand on ne possède pas le diagnostic établissant dans les faits la maladie on est dans les supputations et donc dans l'ordre de l'interprétation et la possible désinformation ou manipulation.
Il y aurait eu plus d'honnêteté si M. Shabou avait exprimé sa vision des élections présidentielles, des qualités qu'il pense nécessaires à l'exercice de cette fonction dans la phase historique présente et émettre des réserves sur l'aptitude physique d'un nonagénaire à supporter la charge physique de gestion du symbole de l'Etat; mais qu'il nous sorte des «voix autorisées m'ont rapporté», des «on m'a confié» ou des «certaines informations laissent penser» ne peut relever que de propos de commères de quelqu'un qui se cache derrière la confidentialité pour ne pas assumer la réalité de son revirement et son nouveau positionnement.
La famille destourienne dont est issu M. Shabou se décline aujourd'hui en de telles couleurs qu'il serait naïf à ne pas penser à qui profite, directement et indirectement cette diversion. Car c'est de cela qu'il s'agit réellement. Outre le fait que M. Shabou, par ce «buzz», se taille une assiette médiatique sur les plateaux de télévision qui flatte son égo, semblable à celui des politiques, il travaille à créer une monumentale diversion en lâchant ce leurre sur l'état de santé de Caïd Essebsi.
En vieux routier de la communication, M. Shabou ne peut ignorer l'impact du timing choisi ni quelle escarcelle va engranger.
Dire qu'il existe des alternatives possibles, dire que la Tunisie a besoin d'entrer dans un temps des certitudes c'est là la liberté de chacun et un parti se doit de respecter cette pluralité des opinions.
Voir en M. Caïd Essebsi un père spirituel à Nida Tounes, une autorité au dessus de la mêlée, un guide capable de mettre le pied de la jeune garde à l'étrier n'est pas un crime de lèse-majesté, c'est une vision qui doit se dire en pleine responsabilité et qui doit être pleinement et courageusement assumée.
Carthage n'est pas le vrai pouvoir; Carthage n'est pas une satisfaction personnelle; il faut savoir détruire l'idole Carthage pour que puisse vivre la vraie Tunisie. On ne rentre pas dans l'histoire nécessairement par la porte de Carthage.
* Enseignante.
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