Donnés favoris de la présidentielle du 23 novembre 2014, Béji Caïd Essebsi et Moncef Marzouki ont si peu de choses en commun. Tout semble même les opposer: parcours, styles, discours...
Par Jamila Ben Mustapha*
Sans rien préjuger des résultats des élections de ce 23 novembre 2014 et des surprises qu'elles révèleront, on peut faire l'hypothèse qu'il y aura le plus probablement, un second tour, et qu'il opposera, peut-être, Béji Caïd Essebsi à Moncef Marzouki.
Si on essaie d'analyser les campagnes de chacun de ces deux candidats cités, force est de constater qu'elles s'opposent à tous points de vue, sur le plan du niveau manifesté, notamment.
Si Béji Caïd Essebsi prêche l'union nationale et ne perd jamais de vue le pays pris dans son ensemble, son rival n'hésite pas à diffuser des discours marqués par la haine et à percevoir la Tunisie comme, constamment, divisée en deux: bourgeois et peuple; révolutionnaires – camp dont il fait partie, cela va de soi – et contre-révolutionnaires, etc.
Marzouki: populiste et diviseur
Le candidat a prétendu, dans un de ses discours sur le terrain, que les bourgeois ne l'aiment pas, lui qui n'en est pas un, bien entendu, même avec son salaire, même avec son statut!
Et il est curieux de constater que ce président, qui a écrit tant de livres, ne soit pas aimé du tout par les intellectuels de son pays, mais qu'il ne répugne aucunement, par contre, à avoir le soutien, non du peuple, ce qui serait légitime, mais des Ligues de protection de la révolution (LPR), et d'extrémistes comme le prédicateur Béchir Ben Hassen ou Ridha Belhaj, chef du parti Ettahrir.
Sur les murs des quartiers populaires – de façon illégale, mais qu'importe ! –, on remarque que ses adeptes ont écrit et révélé comme étant une de ses qualités, toute «l'affection» que le président-candidat voue au peuple. Or, le meilleur service qu'il aurait pu lui rendre n'aurait-il pas été de diminuer un peu des difficultés économiques dans lesquelles ce peuple est embourbé?
On peut se demander, à ce propos, quelles sont les améliorations qu'il a pu réaliser au bénéfice des Tunisiens, pendant ces trois ans. L'économie ne faisant pas partie de ses prérogatives, on voit mal, non plus, en quoi il pourrait réformer la situation des classes laborieuses s'il était réélu, ce chapitre n'étant pas de son ressort.
Ce qu'on peut constater ainsi, c'est le flou dans lequel est laissé le discours politique, l'ignorance du peuple, à ce propos, qui est cultivée, et l'absence de communication transparente entre le candidat accusé par ailleurs, de populisme, et sa base.
Caïd Essebsi: le rassembleur
De l'autre côté, nous avons un discours qui nous semble plus clair et plus rationnel. Il n'est pas de l'intérêt immédiat de Béji Caïd Essebsi de parler de la nécessité de faire participer le deuxième plus grand parti du pays au gouvernement, demain, s'il est élu président de la république.
Pourtant, il l'a fait à plusieurs reprises, comme pour préparer l'opinion. Et hier, il a distingué soigneusement, dans son projet de collaboration avec Ennahdha, entre la «concertation» qu'il prône, et l'«alliance» dont il n'est pas question. Cette nuance entre les 2 termes est très importante et ne relève absolument pas de la rhétorique!
D'aucuns s'empressent de crier à la compromission de Béji Caïd Essebsi. Or, rappelons qu'Ennahdha, avec 69 voix, dispose du tiers bloquant, et que si chacun des deux partis se dresse constamment, l'un contre l'autre, au cours du prochain mandat, comme deux forces contraires en physique, ils s'annuleront comme elles au détriment de l'intérêt général, et le pays sera ingouvernable.
D'où l'affirmation du président de Nida Tounes concernant la nécessité de l'unité nationale qui s'impose, non seulement sur le plan de l'intérêt et de l'efficacité, mais aussi, du principe. On ne peut gouverner un pays en excluant totalement son deuxième plus grand parti, en le renvoyant à l'opposition systématique. Ne vaut-il pas mieux, pour l'intérêt de tous, l'associer à l'effort futur de réforme pour affronter ensemble, une situation catastrophique?
N'est-ce pas une belle leçon de politique qui nous est donnée là et, d'autant plus appréciable que nous n'avons vu que triomphalisme et esprit d'exclusion de la part des vainqueurs de la Troïka, en 2011?
Force nous est de constater que l'ancien militant ne fait pas forcément le bon politique, que la quantité d'années de prison n'est pas une garantie future de bonne gouvernance, comme nous venons de le voir avec l'exemple de certains ministres de la Troïka.
La participation à plusieurs régimes pendant des décennies, par contre, donne au politicien, s'il a la souplesse d'esprit requise pour tirer toutes les leçons données par la pratique de la chose publique, une expérience précieuse, même s'il s'agit d'un simple réformiste – et non d'un «révolutionnaire», terme employé à tort et à travers ces dernières années, dont on a usé et abusé, et désignant souvent, juste son contraire – qui a, toutefois, été capable d'évoluer au cours de sa vie politique : nous avons nommé le président de Nida.
Deux hommes, deux styles très contrastés
Loin de nous pourtant l'idée de diviser le monde en «bons» et «méchants»: nous préférons la distinction plus relative en «mauvais» et «moins mauvais». Et nous allons, nous Tunisiens, inaugurer une nouvelle façon d'appuyer le mouvement le moins critiquable : par une attitude de vigilance de tous les instants, une lutte impitoyable contre tout culte de la personnalité de son leader, et c'est le meilleur service qu'on pourrait dorénavant rendre à tout parti au pouvoir.
Quant à Moncef Marzouki, il n'a pu développer aucune des caractéristiques qui font l'homme d'État, et on a vu juste le contraire: une attitude impulsive et irréfléchie, alors qu'il était appelé à peser chacun de ses gestes et de ses mots, de par sa fonction; une position constamment partisane et une incapacité patente à être le représentant de tous les Tunisiens; mais surtout, une impossibilité, à cause d'un égocentrisme prononcé et irrémédiable, à sortir de soi, et à soumettre son intérêt particulier, objet de son unique préoccupation, à l'intérêt général et à l'État.
* Universitaire.
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