L'interview de Béji Caïd Essebsi à la chaîne Al-Hiwar Ettounsi, dans la soirée du 13 décembre 2014, a été un grand moment de communication politique. Décryptage...
Par Rachid Barnat
Le candidat au 2e tour de la présidentielle a été clair et net sur tous les sujets évoqués par Hamza Belloumi. Et d'abord, celui de son âge (88 ans), souvent soulevé par ses adversaires.
L'âge qui ne lui pose aucun problème. Bien au contraire, l'homme il tire sa sagesse de sa riche expérience politique, qui lui a permis de mener la première phase de transition démocratique (mars-décembre 2011) de manière pacifique et civilisée, et qu'il a couronnée par des élections libres, pluralistes et transparentes, une première dans le monde dit «arabo-musulman» et saluée comme telle par toutes les vieilles démocraties.
A propos de son refus du face-à-face télévisé avec son adversaire Moncef Marzouki, M. Caïd Essebsi a été tout aussi clair : M. Marzouki est impulsif et ne respecte pas les règles du débat démocratique ni la courtoisie élémentaire pour mener quelque débat que ce soit. «On imagine bien ce qu'il pourrait dire. Il est capable de m'insulter. Et comme je n'ai pas la langue dans la poche, je ne manquerais pas de lui répondre du tac au tac. Le débat risquerait alors de dégénérer et cela donnerait une piteuse image aux Tunisiens», a-t-il expliqué.
A propos de ses rapports avec Ennahdha, M. Caïd Essebsi a dit qu'il n'a fait que respecter le choix des Tunisiens en acceptant que la vice-présidence du nouveau parlement soit accordée à ce parti. Il se devait de traiter correctement le deuxième parti en nombre de sièges au parlement, ce qui ne veut pas dire qu'il partagera le pouvoir avec lui, a-t-il tenu à préciser.
Interrogé sur ses rapports avec Hamma Hammami : M. Caïd Essebsi a indiqué avoir rencontré le porte-parole du Front populaire et lui avoir exprimé son attachement à l'unité de cette coalition de gauche. «Je ne leur ai pas demandé de soutenir ma candidature», a-t-il précisé. Et d'ajouter: «Il faut que le Front populaire reste fort et uni pour peser dans le jeu politique.»
A propos de l'Instance supérieure indépendante des élections (Isie): M. Caïd Essebsi trouve curieux que M. Marzouki ait admis et accepté le verdict de l'Isie, en octobre 2011, qui l'a porté indirectement au pouvoir – puisqu'il a été élu en tant que constituant avec 7.000 voix et ne doit son poste de président provisoire qu'au marchandage avec Ghannouchi –, alors qu'il met, aujourd'hui, en question l'honnêteté et la crédibilité de cette institution et menace d'en contester le verdict s'il perdait le second tour, oubliant que cette institution est indépendante, bien que ses membres aient été choisis par la troïka, l'ex-coalition gouvernementale... dont M. Marzouki faisait partie !
«Curieuse conception de la démocratie», s'est étonné M. Caïd Essebsi : si M. Marzouki gagnait, c'est que l'Isie a fait son travail correctement; et s'il perdait, c'est qu'elle n'a pas bien travaillé !
Par ailleurs, M. Marzouki, grand démocrate devant l'Eternel, et son parti, le Congrès pour la république (CpR), continuent de critiquer le peuple pour ses mauvais choix aux législatives du 26 octobre 2014... Et ne cessent de répéter que les Tunisiens le regretteront ! Les électeurs n'auraient-ils pas dû sanctionner les partis qui ont ruiné le pays, dont le CpR?
A propos des jeunes, M. Caïd Essebsi a dit qu'il redonnera la priorité à l'éducation, car la principale richesse de la Tunisie c'est la matière grise de ses enfants. Il a dit aussi qu'il fera réviser la loi sur les stupéfiants en l'assouplissant pour les jeunes et primo-consommateurs et en la rendant plus sévère pour les dealers et les trafiquants.
Interrogé au sujet de la falsification des élections du temps de Bourguiba, dont l'accusent souvent M. Marzouki et ses partisans, M. Caïd Essebsi a rétabli la vérité historique : «J'ai été ministre de l'Intérieur entre 1965 et 1969 et durant ces années-là, il n'y a pas eu d'élection. Quant à celle de 1981, qui a été falsifiée, je n'y étais pas associé puisque j'étais, cette année-là, ministre des Affaires étrangères. Dans l'entretien télévisé que l'on cite souvent, je n'ai pas dit que j'ai falsifié des élections, mais juste admis que, sous le régime de Bourguiba, les élections étaient falsifiées, que cette pratique était courante dans les pays où un seul parti gouvernait et où il n'y avait qu'un seul candidat à la présidence. Il fallait confirmer le plébiscite du peuple pour son chef par le bourrage des urnes. Ce que Ben Ali avait exagéré en passant le plébiscite de 80 à 99%».
Avec ce nouvel entretien, M. Caïd Essebsi a montré qu'il est l'homme de la situation : il a le charisme, l'expérience et la sagesse nécessaires pour sortir la Tunisie du marasme où l'ont mise les Ghannouchi, Marzouki et Ben Jaâfar, et leurs partis respectifs.
Les téléspectateurs, qui avaient quelque doute là-dessus, ont sans doute été convaincus par la justesse des propos du candidat de Nidaa Tounes, sa clairvoyance, sa pondération et sa volonté de sauver le pays.
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