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La France a raison de miser sur Al-Sissi, car il bénéficie encore d'un large soutien à l'intérieur et a démontré, à l'extérieur, de vraies qualités d'homme d'Etat.

Par Roland Lombardi*

Du 25 au 27 novembre dernier, la France accueillait en visite officielle le Président de la République arabe d'Egypte, Abdelfattah Al-Sissi.

Comme d'habitude, les multiples commentaires d'alors peuvent se résumer en une longue litanie de critiques concernant le gouvernement français recevant l'ancien maréchal, le nouveau raïs d'une Egypte où chaque jour les médias occidentaux font état des atteintes aux libertés, du non respect des droits de l'Homme et du retour à des pratiques que le printemps du Nil devait pourtant faire oublier.

Il est normal que des belles âmes, des intellectuels ou des responsables d'Ong fassent ce genre de lecture. Ils sont dans leur rôle. Mais il est navrant que certains «spécialistes» se contentent de faire primer sur l'analyse des observations lénifiantes et arrogantes, teintées de politiquement correct et d'idéologie.

En cette fin d'année 2014, essayons de garder la tête froide et de faire un bilan des dix-huit mois de pouvoir d'Al-Sissi, tout en jetant un regard objectif sur la situation égyptienne.

La situation politique et sécuritaire

Certes, en juillet 2013, c'est bien un coup d'Etat de l'armée, à la faveur d'un vaste mouvement de contestation populaire, qui a destitué le président islamiste Mohamed Morsi, le seul démocratiquement élu de l'histoire du pays.
A l'époque, la majorité des Egyptiens considérait alors que l'armée ne faisait que répondre à l'appel du peuple afin de se réapproprier un Etat et une révolution confisquée de jour en jour par les Frères musulmans vainqueurs de toutes les élections ayant suivies les évènements de 2011.

Depuis, après avoir éliminé toute opposition islamiste mais aussi laïque, l'ancien chef d'état-major de l'armée fut triomphalement élu à la présidence en mai 2014. Entretemps, il est vrai aussi, plus de 1.400 partisans de Morsi ont été tués, 15.000 emprisonnés et des centaines condamnés à mort à l'issue de procès expéditifs.

Mais n'oublions pas que nous sommes en Orient et non sur les Champs-Élysées ou sur la Promenade des Anglais. Même si cela est déplaisant, il faut cesser de commettre l'erreur, très répandue dans nos médias et nos universités, de juger avec notre éthique et nos valeurs occidentales ce qui se passe de l'autre côté de la Méditerranée. Ainsi, il est important de rappeler ici aux bien-pensants que si le maréchal Al-Sissi et son armée n'étaient pas intervenus avec force, détermination mais aussi avec un certain savoir-faire, l'Egypte serait devenue, sans aucun doute et dans le meilleur des cas, une dictature islamiste implacable ou, au pire, après la Libye, la Syrie et l'Irak, le quatrième pays du monde arabe plongé dans le chaos.

Actuellement, le régime préserve toutefois les libertés fondamentales, les droits des femmes et les minorités religieuses. Et même s'il y a une recrudescence d'attentats contre l'armée, la police égyptienne et des civils, dans le Sinaï mais aussi au Caire, la situation reste tout de même sous contrôle et surtout, l'insécurité qui prévalait depuis trois ans a fortement été jugulée.

Popularité du président et situation économique

En attendant, si l'autoritarisme évident, la lutte musclée contre le terrorisme intérieur et la répression politique en cours choquent une partie de la bourgeoisie cairote ou la «majorité illusoire» des élites républicaines (qui n'ont d'ailleurs pas su s'entendre et s'organiser en une opposition politique sérieuse), on ne peut ignorer que la plus grande partie de l'opinion publique égyptienne a encore soif d'un vrai chef. Surtout quand ce dernier est le symbole du retour de l'ordre dans les rues des grandes villes ou aux abords des villages... En Egypte plus qu'ailleurs, c'est la posture du «zaïm» qui prévaut toujours dans l'imagerie politique du peuple égyptien.

De plus, ne perdons pas de vue que la «poursuite du processus démocratique» n'est pas la priorité du «peuple véritable» et de la «majorité silencieuse». Car si le président égyptien bénéficie encore d'un large soutien (entretenu certes par les médias d'Etat ou privés égyptiens) de la grande majorité des Egyptiens, il le doit aussi à l'amélioration de leur quotidien. Certes, la situation socio-économique du pays reste très difficile mais, comme le soulignent les études les plus sérieuses sur le sujet(1), les efforts du régime pour améliorer, moderniser et réformer l'économie sont constants. Dans tous les cas, dans ce domaine, le volontarisme des autorités est certain et vérifiable sur le terrain. Il en va d'ailleurs de la stabilité future du pays et donc de leurs propres intérêts...

Un partenaire régional incontournable

C'est la raison pour laquelle, la France a raison de vouloir aider l'Egypte à réussir son retour à la stabilité et à la croissance. Il est heureux de constater que le gouvernement français, une fois n'est pas coutume, a mis de côté son angélisme béat, son habituelle posture moralisatrice et donneuse de leçons, pour revenir à la Realpolitik.

En effet, lors de sa visite à Paris, le président égyptien et les autorités françaises ont décidé de renforcer leur partenariat bilatéral dans les domaines commerciaux, économiques, militaires et surtout, des renseignements.

Avec plus de 80 millions d'habitant et avec son histoire, l'Egypte est l'Etat phare du monde sunnite. La stabilité du pays est donc capitale pour l'avenir de la Méditerranée et du Proche-Orient. Les Américains, les Russes, les Israéliens et même les émirs du Golfe(2) ne s'y trompent pas : ils misent tous sur Al-Sissi !

D'autant plus que l'Egypte reste un partenaire stratégique incontournable dans la région.

Cet été, Al-Sissi a par ailleurs aussi démontré ses qualités d'homme d'Etat, devenus rares dans cette région. En effet, le président égyptien est le véritable auteur des termes de la fin du conflit entre Israël et le Hamas. Il a pratiquement supervisé les négociations israélo-palestiniennes et a fait preuve de détermination et d'un incontestable leadership. Sans les tergiversations et les erreurs israéliennes (refus de détruire le Hamas puis de renouer le dialogue avec Mahmoud Abbas), sa proposition d'un plan de paix global serait en train de changer la face du Moyen-Orient...

Aujourd'hui, l'armée égyptienne combat dans le Sinaï les jihadistes d'Ansar Beit Al-Maqdess (qui ont fait allégeance à l'Etat islamique) et lutte contre le Hamas dans le sud de Gaza (d'ailleurs très peu évoqué par nos belles âmes françaises...).

En Libye, pays avec lequel l'Egypte partage 1.000 kilomètres de frontières, l'aviation égyptienne y a mené, en août dernier, des raids aériens avec les Emirats arabes unis contre des milices islamistes. Si les Occidentaux devaient de nouveau intervenir en Libye, ils devront inévitablement compter avec Al-Sissi.

Quant à la France, si elle reste la patrie des droits de l'Homme, rappelons qu'elle est aussi en première ligne face au terrorisme et au fondamentalisme au Sahel, en Irak et sur son propre territoire.

Pour cette ultime raison, la France a donc elle aussi raison de miser sur Al-Sissi !

* Consultant indépendant, associé au groupe d'analyse de JFC Conseil.

Notes :
1- Lettre économique d'Egypte, n°40 été 2014.
2- Lors du sommet des six pays du Golfe à Doha, début décembre, même le Qatar, auparavant hostile, s'est résigné à suivre la plupart des pays arabes dans leur soutien à la politique du Président Egyptien...

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