Dans l'Algérie de «la réconciliation nationale», un auto-proclamé imam au passé douteux peut appeler au meurtre d'un journaliste talentueux, sans que les autorités réagissent!
Par Slaheddine Dchicha*
Kamel Daoud, l'enfant terrible du journalisme algérien, chroniqueur de longue date au ''Quotidien d'Oran'', est, depuis le 14 décembre 2014, sous la menace d'une fatwa lancée contre lui par un imam autoproclamé du nom d'Ahmidache Ziraoui mais qui se fait appeler Abdelfettah Hamadache Ziraoui El Djazaïri. Cela fait, certes, plus cheikh, plus vénérable, plus salafiste. Cet obscur obscurantiste, ancien du FIS et proche du GIA, selon les médias algériens, a eu recours à Facebook pour publier son appel au meurtre: «L'écrivain apostat, mécréant, algérien [Kamel Daoud], "sionisé" criminel, insulte Dieu (...). Nous appelons le système algérien à le condamner à mort publiquement.»
Le condamné, Kamel Daoud est un esprit libre et anticonformiste dont les chroniques journalières au ''Quotidien d'Oran'' depuis 2002 passionnent ses compatriotes car il y aborde avec courage et talent mais sans tabou les vrais problèmes de la société algérienne.
Mais Kamel Daoud en plus d'être le chroniqueur célèbre dans son pays, il est aussi un véritable écrivain dont le talent vient de franchir les frontières de l'Algérie et d'être reconnu et célébré en France. Non seulement son premier roman, ''Meursault, contre-enquête''' (éd. Actes Sud) a obtenu le prix François-Mauriac, le prix des Cinq Continents de la francophonie et le Prix littéraire francophone régional, mais il a failli décrocher le Goncourt. Considéré jusqu'au 5 novembre, date de la remise du prix, comme le favori et son livre figurant sur la «short list», il a été célébré et invité par tous les médias français qui comptent. Et c'est justement une déclaration faite le 3 décembre 2014 sur France 2 qui lui a valu les foudres du prétendu imam: «Je persiste à le croire : si on ne tranche pas dans le monde dit arabe la question de Dieu, on ne va pas réhabiliter l'homme, on ne va pas avancer... La question religieuse devient vitale dans le monde arabe. Il faut qu'on la tranche, il faut qu'on la réfléchisse pour pouvoir avancer.» (Le 3 décembre 2014 dans l'émission de Laurent Ruquier ''On n'est pas couché'' sur France 2).
Ainsi donc, dans l'Algérie de «la réconciliation nationale», un auto-proclamé imam au passé douteux peut appeler au meurtre d'un journaliste talentueux, d'un intellectuel lucide, d'un écrivain prometteur sans que les autorités réagissent! Heureusement, la société civile algérienne et internationale s'est mobilisée. Renforçons-la en condamnant la criminalisation de la pensée et en signant cette pétition.
* Universitaire.
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