Pour le président de la république provisoire aussi bien les modernistes laïques que les islamistes font du tort à la femme. Le Roi ignare Ben Ali est mort, Vive le Roi penseur Marzouki !
Par Karim Ben Slimane*
Le président intellectuel a encore parlé ou écrit pour être plus précis. Il vient de commettre une tribune au site d'Al-Jazira – il devrait nous dire combien coûte sa pige – pour exposer ses idées sur le statut de la femme en Tunisie et la cause de son émancipation.
Marzouki parle de Marzouki
De prime abord je dois reconnaitre quelque chose de difficilement contestable par ailleurs à M. Marzouki, il manie aussi bien le verbe dans les lignes comme entre les lignes. Je dirai même que c'est entre les lignes qu'il excelle le mieux.
Dans la tribune dont il est question il y a donc deux sujets qui s'entremêlent: Marzouki lui-même et la femme tunisienne. Cette dernière n'est d'ailleurs qu'un prétexte pour que Marzouki parle de Marzouki.
Dans cette tribune Marzouki, le président provisoire, épithète peu glorieux qu'il déteste et que les médias s'entêtent à lui accoler, intronise Marzouki Roi de Tunisie. Un Roi de Tunisie qui prend de la hauteur par rapport aux acteurs de la scène politique, qui s'élève habilement au-dessus des querelles de basse-cour et qui encore une fois règle ses comptes avec Bourguiba et l'Histoire de la Tunisie. Marzouki, comme les Romains, a aussi son «Dalenda est Bourguiba».
Les anciens amis et les nouveaux bienfaiteurs
Le sujet de la tribune, qui en réalité n'est qu'un prétexte pour que Marzouki parle de Marzouki, est la femme et son statut en Tunisie. La femme tunisienne, selon Sire Marzouki, est prise en otage par deux groupes idéologiques: les modernistes laïques, ses anciens amis, et les islamistes, ses nouveaux bienfaiteurs.
D'un trait de plume Sire Marzouki s'élève par-dessus les deux blocs politiques les plus importants en Tunisie. L'un comme l'autre, dit-il, font du tort à la cause de la femme tunisienne. Ses propos sont loin d'être insensés. La cause de la femme tunisienne est mâtinée d'un accent d'émancipation et de libération, la femme devrait dont être libre de et débarrassée de carcans qui l'enchaînent. Alors que pour Sire Marzouki la liberté de la femme devrait être considérée comme étant la liberté de faire et d'être. La femme est aussi un citoyen dont la violation du droit à un travail décent pose autant de problèmes que son émancipation du machisme qui habite nos esprits et nos lois.
Le Roi de Tunisie, Sire Marzouki marque donc des points sur un terrain qu'il maîtrise bien celui des idées car in fine sa critique fait mouche. Mais c'est une gloriole que de briller par ses idées dans le désert intellectuel qu'est la Tunisie, mais là n'est pas la question.
Le Roi Penseur de Tunisie
Marzouki a donc mérité de s'auto adouber Roi de Tunisie, et j'ai choisi pour mon Sire le surnom de Roi Penseur n'en déplaise aux médias qui le considèrent à tort comme un Président Provisoire. Cependant, le Roi Penseur est injuste, on ne peut pas être bon partout d'autant plus que l'appellation de Roi Juste a été prise par quelqu'un d'autre.
Oui je trouve Sire Marzouki injuste avec ses anciens amis, la gauche moderniste et laïque, et paternel à l'excès avec ses nouveaux amis, les islamistes. Il faut reconnaître que ces derniers sont les enfants à problèmes de la Tunisie, il faut bien les ménager au risque de se renier, mais la fin justifier les moyens.
Sire Marzouki tire à boulets rouges sur ses anciens amis et renie publiquement les idées auxquelles il a pourtant passé des décennies à s'abreuver et à louer. Les modernistes ont une conception sexuée de la cause de la femme, celle-ci s'entend dans un conflit contre l'homme.
Les modernistes de gauche défendent selon Sire Marzouki la femme qui est à leur image c'est-à-dire instruite, libérée, carriériste et aisée. Il rappelle à ses anciens amis de la gauche moderniste que dans leurs demeures cossues et dans leurs salons ils sont souvent servis par des fillettes à peine pubères privées de tous leurs droits.
Là aussi Sire Marzouki marque encore des points. On fait souvent peu de cas des jeunes filles et des femmes exploitées dans les ateliers de textile, dans les champs et dans les usines. Leur seul tort est qu'elles ne revendiquent pas le droit de vêtir la mini-jupe ou le droit de perdre leur pucelage. Elles veulent juste vivre dignement.
Pour Sire Marzouki, la gauche moderniste s'est aussi fourvoyée en empruntant des prêts à penser du pays des droits de l'Homme, la France, pourtant sa terre d'asile pendant les années de plomb. Il affirme que la société tunisienne est foncièrement progressiste en matière de droits de la femme et que cet élan elle ne le doit aucunement aux modernistes occidentalisées ni d'ailleurs à la vision et au courage du père de la Nation, le Roi déchu Habib Bourguiba. Dans une petite parenthèse d'Histoire, Sire Marzouki précise que la cause de la libération de la femme a été initiée par un Zeitounien, Tahar Haddad, et que les Tunisiens avaient commencé à envoyer leurs filles à l'école après la deuxième guerre mondiale.
Une entreprise subtile de déboulonnement de la statue du combattant suprême, le fonds de commerce de la gauche moderniste, à laquelle s'est livré Sire Marzouki. Et de conclure que l'héritage arabe et musulman de la Tunisie offre des garanties solides pour penser la place et la cause de la femme dans notre société.
La femme selon Sire Marzouki doit être libre pour agir et être et non libre de quelqu'un ou de la société. Comme exemple il fustige la réaction des professeurs de l'université de la Manouba qui ont interrompu les cours pour priver les filles portant le «niqab» du droit à l'enseignement.
Voilà, c'est dit avec la faconde et la verve qu'on reconnait à notre Sire, mais que de fleurs jetées aux amis islamistes.
Ainsi dans les lignes, Sire Marzouki a sans doute raison sur beaucoup de points mais il a aussi tort sur beaucoup d'autres. Comment taire qu'une fille, même si elle est à l'image de l'élite bienpensante et progressiste, se transforme de victime de viol en accusée? Comment accepter que, sous couvert de liberté de choix, des fillettes soient endoctrinées pour accepter la fatalité d'un statut inférieur à l'homme? Comment passer sous silence les inégalités des libertés économiques en matière d'héritage entre l'homme et la femme?
Entre les lignes et en prétextant de parler de la femme, Sire Marzouki continue à construire son piédestal de Roi de Tunisie, au-dessus de tous reniant ses amis et ses idées admonestant à mots couverts et avec une bienveillance paternelle les nouveaux maîtres des lieux sans qu'on puisse le confondre de panégyrique.
Le Roi ignare Ben Ali est mort, Vive le Roi penseur Marzouki !
*Spectateur engagé dans la vie politique tunisienne.
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