«Quand le ministre de l’Intérieur finira-t-il par se réveiller et par se décider à agir contre les salafistes?», s’interrogent, à juste titre, les Tunisiens, face aux abus répétés de ce groupe d’extrémistes religieux.

Par Mohamed Ridha Bouguerra*


La question que la plupart des Tunisiens ne cessent de se poser actuellement et, surtout, depuis ce samedi 26 mai, après les violences qu’ont connues, entre autres, Jendouba et Ghardimaou, est la suivante: quand le ministre de l’Intérieur finira-t-il par se réveiller et par se décider à agir contre les salafistes?

Un partage des rôles entre salafistes et Ennahdha

Ceux-ci, qui viennent protester contre l’arrestation de l’un des leurs en mettant le feu à un hôtel et au local de la police judiciaire de Jendouba, en saccageant des bars du centre-ville et en incendiant le poste de la garde nationale de Ghardimaou, ne se conduisent-ils pas comme dans un pays conquis et ne commettent-ils pas chaque jour des forfaits les uns plus répréhensibles que les autres?

Comment expliquer cette coupable et dangereuse incurie des premiers responsables de la sécurité des citoyens du pays?

Comment expliquer cette révoltante impunité accordée aux fauteurs de troubles?

Faut-il attendre qu’il y ait mort d’homme pour que le ministère de l’Intérieur sorte de sa profonde et préoccupante léthargie?

A quoi rime l’inquiétante passivité imposée aux forces de l’ordre?

A qui profitera, finalement, l’anarchie en train de s’installer chaque jour un peu plus dans tout le pays? Pour qui les intégristes sont-ils en train de tirer les marrons du feu?

Y aurait-il un partage des rôles entre partis salafistes violents et Ennahdha qui veut apparaître dans le costume respectable d’un parti de pouvoir?

Un plan machiavélique de pourrissement généralisé?

Car, au stade où l’on est, ne serait-il pas naïf de croire à une soi-disant incompétence avérée de l’équipe gouvernementale issue des élections du 23 octobre 2011?

N’y aurait-il pas lieu de soupçonner, plutôt, la mise en pratique d’un plan concerté et machiavélique qui viserait un pourrissement généralisé?

Que l’on voudrait sciemment créer une situation malsaine qui a déjà commencé à gangréner la société et à mettre à rude épreuve la paix civile que l’on ne ferait pas autrement! Que l’on voudrait sciemment donner à Ennahdha le temps de tisser sa toile d’araignée à travers l’ensemble des rouages de l’État en plaçant aux postes clés ses hommes de confiance et ainsi s’assurer de la fidélité de l’administration que l’on ne ferait pas autrement ! Que l’on voudrait sciemment renvoyer aux calendes grecques les futures élections dont on hésite depuis des mois à fixer la date et à désigner les membres de l’Instance indépendante qui auraient à les organiser que l’on ne ferait pas autrement! Que l’on rechigne à respecter les modalités propres à assurer l’alternance pacifique et démocratique du pouvoir que l’on ne ferait pas autrement!

Car, M. Ghnanouchi, considérez-vous toujours comme vos «enfants» ces groupes de barbus qui, jeudi 24 mai, selon Rtci (journal parlé de 13h30), ont opéré sur la route Sidi-Bouzid-Gafsa et ont interdit à deux poids lourds chargés de boissons alcoolisées l’accès à la capitale du Bassin minier?

Ne trouvez-vous pas, M. Ghanouchi, que vos «enfants» se comportent dans ce cas d’espèce comme des hors-la-loi et accaparent des prérogatives qui devraient, dans tout État de droit, revenir uniquement aux autorités de police?

M. le Premier ministre, nous permettez-vous de ne pas penser comme vous et de tenir pour «des extra-terrestres» complètement étrangers à nos mœurs, ces barbus qui, au Kef, ont cassé, littéralement, la figure de Rejeb Maghri, vendredi 25 mai, en raison uniquement de ses activités professionnelles: il est enseignant d’une discipline qui n’aurait plus droit de cité dans nos établissements scolaires, l’art dramatique? Extra-terrestres encore, pour nous du moins, ces étranges protestataires qui se sont rendus, vendredi 25 mai, au siège de la Municipalité de La Marsa afin de reprocher aux membres de la Délégation spéciale qui gèrent les affaires de la cité la programmation d’une activité artistique destinée à animer les rues de la ville.

M. le Premier ministre, avez-vous entendu l’appel au secours que vous aurait lancé, selon le journal en ligne ‘‘Al-Chourouk’’ de ce samedi, Mme la ministre de la Femme et de la Famille qui vous mettrait en garde, si l’on veut, contre ces «extra-terrestres» coupables de traumatiser des tout petits enfants fréquentant des institutions coraniques préscolaires hors de toute juridiction en menaçant leurs si innocents apprenants des supplices d’outre-tombe et de l’arrivée de Gog et Magog…?

A quand donc la fin de la «récréation»?

M. le ministre de l’Intérieur, vous nous avez promis d’utiliser tous les moyens légaux à votre disposition afin de mettre fin à tous les actes qui menacent la paix civile dont vous êtes le garant. Après les événements de cette bien triste journée du samedi 26 mai qui se sont déroulés à Jendouba et Ghardimaou où on a porté atteinte à des biens publics et sièges de l’autorité de l’État, comme à des locaux particuliers dont des commerces, des bars, un hôtel et une maison close, ne pensez-vous pas qu’il est sérieusement temps de nous prouver que vous tenez à honorer votre promesse comme tout responsable digne de foi? Et, également, comme tout homme d’État qui mérite la confiance qui lui a été accordée ainsi que la lourde mission qui lui a été confiée.

A quand donc la fin de la «récréation» dont a parlé le ministre de la Justice et la stricte application de la loi contre les malfrats, délinquants, bandits de grands chemins et autres censeurs et prétendus missionnaires? Savez-vous monsieur le ministre que toute perte humaine qui viendrait, par malheur, à être enregistrée, vous serait légitimement imputée faute d’avoir pris les mesures adéquates susceptibles d’assurer le maintien de l’ordre et l’intégrité physique des citoyens?

M. le ministre de la Santé, permettez-moi de «partager» avec vous, comme l’on dit sur Facebook, une nouvelle rapportée par un lecteur du quotidien arabophone ‘‘El Maghreb’’ dans son édition du samedi 26 mai, page 22. Il s’agit d’un cycle de formation de trois semaines qui a lieu actuellement à Sousse et destiné à permettre à de futurs guérisseurs de soigner grâce à des formules incantatoires et à un savoir qui se prétend d’inspiration religieuse. La formation en question porterait sur les pratiques à apprendre pour dénouer les sortilèges, éloigner le mauvais œil ou encore distinguer les mauvais esprits des bons djinns, musulmans, forcément, et donc bénéfiques, qu’il faudrait se garder de confondre avec leurs congénères «koffars», mécréants, et donc malfaisants.

Le Moyen Âge est-il de retour?

Ne vous pincez pas, lecteur, et ne tentez pas de parcourir une deuxième fois ce que vous venez de lire! On en est bien arrivé là, c’est-à-dire au Moyen Âge! Et je me tourne, de nouveau, vers M. le ministre de la Santé pour lui demander s’il avait déjà connaissance de ces cours de charlatanisme? S’il ne les a pas autorisés, comme je préfère le croire, ce serait pire encore, dans une certaine mesure, que s’il l’avait fait, car cela signifierait que l’on peut tout faire désormais dans ce pays sans avoir obtenu une quelconque autorisation préalable.

Les mauvaises langues, qu’il ne faudrait pas prendre au sérieux, évidemment, ne laissent-elles pas entendre que des camps d’entraînement clandestins sur les armes existent sur notre territoire? A Kairouan, dimanche 20 mai, la parade des salafistes n’a-t-elle pas commencé par une revue d’arts martiaux? Bien sûr, tous les adeptes des arts martiaux ne sont pas des terroristes potentiels…

MM. les responsables politiques, l’Histoire vous jugera pour votre complaisance coupable envers les intégristes qui sont en train de conduire le pays vers une guerre civile à l’algérienne avec ses 200 000 morts et disparus. A moins d’une possible collusion d’intérêt avec les salafistes qui ne ferait pas le jeu de la démocratie, une lutte à mort semble devoir bientôt s’engager entre vous et ces derniers que tout le pays considère comme vos futurs rivaux et même vos adversaires.

C’est toute la Tunisie qui paiera le prix de cette confrontation. D’où nous viendra donc le salut?

Certainement pas de l’Assemblée nationale constituante (Anc) qui vient de perdre tout crédit auprès de l’opinion publique en s’octroyant de bien substantielles indemnités dans un pays à qui l’on cherche à imposer une drastique cure d’austérité !

Certainement pas d’une opposition muette et comme tétanisée par ses divisions.

Reste l’armée. Mais, malheur à un pays qui se voit dans l’obligation d’opter pour un régime militaire pour fuir un autre, théocratique ! Avouons que ce n’est pas un tel schéma que l’on avait en tête le 14 janvier 2011 sur l’avenue Habib Bourguiba, mais, plutôt, celui d’une Tunisie ouverte, moderne, tolérante, égalitaire et démocratique!

* Universitaire.

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