La situation actuelle en Tunisie nous inspire le chaos régnant au 18e et 19e siècles en Europe entre le pouvoir ecclésiastique et les souverains.

Par Abdelwaheb Kanzari*


Malgré ce chaos perpétré volontairement par les fondamentalistes et les intégristes forças et ramassas de ces dernières décennies, les jeunes tunisiens  d’aujourd’hui réussissent là où nous avons échoué. Ils imposent la liberté de pensée réclamée par Spinoza à l’intérieur du Léviathan de Hobbes.

C’est une conquête considérable pour un peuple victime de son ouverture depuis les Phéniciens en passant par les Carthaginois jusqu’à l’époque bourguibienne.

L’Etat tunisien est, semble-il, dans un état de délabrement total drainé par la complicité des pouvoirs religieux au dépend de la réal politique.

Nous allons essayer, à partir de la pensée du 18e et du 19e siècle, de discuter la thèse d’un contrat social, du pacte politique et des règles et lois légiférées par un Etat souverain.

Influencé par la première révolution anglaise et française, les penseurs de l’époque développèrent l’idée selon laquelle les sociétés à l’«état de nature» sont en situation de chaos ou de guerre civile, selon la formule «guerre de tous contre tous».

De nos jours, ce qui ne peut être évité que par un solide gouvernement central et un Etat loyal et fort. Ainsi, ne faut dénier tout droit de rébellion envers l’Etat. John Locke (père de la théorie politique qui a fondé le libéralisme et la notion de l’Etat de droit), à l’occasion des problèmes moraux et religieux, a engagé une analyse critique des pouvoirs existants.

Une vie paisible et harmonieuse avec les autres

Les hommes sont alors égaux et libres, et leur égalité est une conséquence de leur liberté, lesquelles sont prescrites par les lois, s’il n’y aucune loi humainement instituée, tous les hommes doivent obéir à la loi de la nature, loi qui est découverte par la raison ou par la révélation d’origine divine. Cette loi interdit aux hommes de faire tout ce qu’ils désirent. Le devoir est apparu, et le respect de l’autre est institué naturellement.

L’homme doit s’efforcer de mener une vie paisible et harmonieuse avec les autres; la violence est ainsi interdite et l’exécution des contrats est respectée. Tout ce qui est hors de cela est l’inhalation de la citoyenneté intimement liée à la liberté et le respect des obligations prescrites par les lois de la nature.

Les fondamentalistes et les intégristes doivent se rappeler, dans l’absence d’un Etat qui gouverne et ayant le respect de son autorité, qu’ils doivent obéir auxlois et les appliquer et qu’ils sont conduits à faire ce qui est conforme à la nature humaine et à ses intérêts.

La liberté n’est donc pas une absence d’obstacles extérieurs à la réalisation de  son propre désir, mais l’obéissance aux prescriptions dans l’intérêt de la raison et de l’être.

La sphère d’inviolabilité de la personne humaine

Les intégristes doivent se rappeler des trois droits fondamentaux:

- le droit à la vie et à fonder une famille: ne pas instituer la décision de tuer sur celui qui est différent de soi;

- le droit à la liberté de croire, de parler, d’écrire, d’élire, etc.;

- le droit à la jouissance de ses biens et surtout à l’échange.

Ces droits définissent une sphère d’inviolabilité de la personne humaine. L’homme est donc l’unique propriétaire de sa personne et de son corps et rien d’autre ne viendra le lui refuser. Le corps de la femme lui appartient. La femme est libre et n’est pas libertine comme les fondamentalistes la perçoivent.

Si maintenant, à travers cette révolution, ces fondamentalistes veulent dissoudre le contrat social au profit d’un contrat naturel ou divin, encore faudrait-il en savoir le contenu et le sens? Rien de cela dans leur esprit et la religion à leur sens.

À partir du moment où le contrat social est fait pour instituer un État cherchant à assurer «la paix et la sécurité» des citoyens, le contrat s’annulerait dès l’instant où un gouvernement cesserait de protéger la population, celle-ci n’ayant plus de raison de s’y soumettre. En vertu de ce fait, l’homme retournerait automatiquement à l’état de nature, jusqu’à ce qu’un nouveau contrat soit instauré. Ce gouvernement, à la sorcière, cherche à se moraliser en laissant leurs paires dans une liberté haineuse.

L’Etat de la révolution du 14 janvier 2011 doit s’efforcer de démontrer que la puissance et le droit – domaines qui manquent de signification politique depuis la montée au pouvoir des partis provisoirement élus pour réinstaurer un nouvel Etat «social et démocratique» – sont liés à la souveraineté de la nation par une connexion inséparable.

Les fondamentalistes et les intégristes vivent dans un état de nature préexistant à la société humaine développée et moderne, afin d’y déceler comment les hommes y agiraient sans puissance commune qui les maintienne en respect. C’est toutefois un état inventé par eux, non réel, mis en place pour se démarquer et inventer le retour à la première époque de la religion. Pour eux l’homme est naturellement religieux, y restera et redeviendra.

Ils sont gouvernés à l’intérieur d’eux mêmes par le seul instinct de désir.

Ils sont une race, à part, ne savent pas encore que les hommes sont égaux, ce qui veut dire qu’ils ont les mêmes passions, les mêmes droits sur toutes choses, et les mêmes moyens d’y parvenir.

Chacun désire légitimement ce qui est bon pour le lui. Souvent ces fondamentalistes ont tendance à entrer en conflit les uns avec les autres pour obtenir ce qu’ils jugent bon pour eux. Cette guerre qu’ils mènent est si atroce que la patrie risque même de rentrer dans une guerre civile.

Le pacte social de la révolution menacé

A ceux qui penseraient que cette vision de l’avenir de la patrie est pessimiste, nous répondons que même à l’état social où pourtant existent des lois, une police et des juges, néanmoins nous fermons à clef nos maisons de peur d’être dévalisés. Or l’état actuel de la patrie est (presque) sans lois ou du moins améliorées depuis la révolution, sans juge et sans police... C’est l’angoisse de la mort (la mort violente) qui résulte de cet état d’anarchie et de désordre total.

Ces fondamentalistes sont responsables de l’état de guerre et ils font peser sur la vie de tous, une menace permanente. Cet état, fondamentalement mauvais, ne permet pas la sécurité, la prospérité, le changement réclamé des zones déshéritées, les sciences, les arts, la société dans sa modernité. La Patrie livrée à elle-même.

Le seul moyen d’établir l’ordre capable de défendre les Tunisiens contre les invasions des fondamentalistes intégristes et les préjudices commis aux uns par les autres, est de les pousser et les rassembler sous l’autorité de l’Etat garant où toutes les forces vives doivent participer par les décisions les plus juteuses des idées.

C’est plus que le consentement ou la concorde: il s’agit d’une unité réelle de tous en une seule et même institution, le légendaire Etat tunisien. Ce consentement est établi de chacun avec chacun, de telle manière que c’est comme si chaque individu devrait dire à tout autre individu: je suis gouverné par un Etat historique, qui a une histoire active, pleine d’événements.

C’est le principe du contrat mutuellement accepté, qui est plus qu’un consentement qui vise à réinstaurer une puissance publique capable de tenir chacun en respect, en imposant le respect des lois, des coutumes et des us et des conventions de l’Etat tunisien, et cela par la crainte et la sanction pénale.

Les seuls droits inaliénables sont ceux qui visent à protéger la vie: on ne peut aliéner le droit de résister à ceux qui vous agressent pour vous ôter la vie, non plus qu’à résister à ceux qui veulent vous emprisonner ou vous mettre dans les tombeaux.

De par sa puissance, l’Etat tunisien est ainsi la garantie que ces fondamentalistes intégristes ne retomberont pas dans l’anarchie de l’état primaire et de nature, il mettra en application ce pour quoi il a été réinstauré comme Etat de la révolution en promulguant des lois civiles, et de démocratie, propres à cette révolution et  auxquelles ces derniers doivent se soumettre.

L’Etat tunisien a donc pour fin la protection de ses individus et citoyens.

La liberté civile réside uniquement dans où la loi n’est pas écrite, c’est la liberté de faire tout ce que la loi n’interdit pas.

Les causes de dislocation et de dissolution de l’Etat peuvent provenir de  l’imperfection de leurs institutions, de l’absence de pouvoir vraiment absolu, du jugement privé et individuel de chacun sur ce qui est bon ou mauvais, de ce qui fait mal ou non, des mauvais préjugés contre l’Etat, prétendre être inspiré par des divinités religieuses ou autres, l’aliénation du religieux à la sphère publique, la guerre avec les nations voisines, l’attribution à des individus d’une autorité au  cercle des liens familiaux ou des connaissances

Le danger absolu provient du problème théologico-politique, c’est-à-dire des problèmes et des interférences souvent néfastes entre la sphère religieuse (musulmane) et la sphère politique. Notamment parce que nous connaissons les guerres de religion qui ont entamé l’histoire des empires musulmans et les différents génocides reconnus ou non.

Un pouvoir religieux n’a qu’un pouvoir d’enseigner. Il ne peut donc pas se permettre d’imposer des règles de lui-même aux individus. C’est la religion islamique qui est clairement visée, car elle est une sphère de pouvoir autonome et elle crée une dualité entre le pouvoir de l’Etat civil et le pouvoir religieux, entre le pouvoir temporel et le pouvoir spirituel. Ainsi c’est l’Etat qui doit décider des questions religieuses et tous doivent lui obéir.

Le pacte social à l’époque de la révolution du 14 janvier 2011 est menacé au profit d’un état naturel jugé selon les désirs divins des fondamentalistes intégristes.

L’époque du 18e et du 19e siècle est encore très présente aujourd’hui.

* - Docteur es-Mutations internationales et Adaptations régionales.

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