Si elle a rassuré son camp et ses alliés de la «troïka», qui n’en demandait pas, sa récente interview a décontenancé beaucoup de ses compatriotes, qui ont certainement fait ce soir-là définitivement une croix sur cet homme.
Par Tarak Arfaoui
Les apparitions médiatiques de Mustapha Ben Jaâfar, président de l’Assemblée nationale constituante (Anc), sont rares et toujours très attendues. Ses silences radios et sa légendaire absence de réaction face aux événements sont considérées par certains comme de la pondération et de la maturité et par d’autres comme de la nonchalance et une absence d’envergure. Il est vrai que le personnage véhicule une image de sérénité, de force tranquille et de bonhomie... tant qu’il ne s’exprime pas sur les questions politiques brûlantes qui secouent le pays.
Tout va bien monsieur le Marquis
Sa récente interview TV a rassuré son camp, le fantôme d’Ettakatol, son parti (ou Forum démocratique pour le travail et les libertés, Fdtl), ainsi que la «troïka», la coalition tripartite au pouvoir à laquelle il appartient, et décontenancé encore une fois beaucoup de ses électeurs ainsi que l’opposition qui ont certainement fait ce soir-là définitivement une croix sur une possible alliance avec cet homme.
Comme dans la chanson bien connue de la Marquise, le Marquis Ben Jaâfar, affalé dans son fauteuil doré présidentiel, déplore l’incendie de l’écurie et du château mais, à part cela, il nous chante que tout va très bien, tout va très bien.
Tout va très bien à l’Anc où les chamailleries avec l’opposition ne sont que des envolées lyriques et passionnées provoquées par l’intrusion des caméras de TV, car en coulisse tout n’est qu’ordre, beauté, calme, luxe et volupté. Le président de son assemblée entretient des rapports pleins de sincérité, d’estime et d’amitié avec M. Gassas ou Mme Jeribi. Il défend bec et ongle ses protégés membres de l’Anc dans leur revendications salariales légitimes, et il trouve même que leur salaire est indigne de l’effort surhumain qu’ils fournissent quotidiennement au sein de l’Anc malgré leur inquiétant absentéisme et les siestes publiques de certains membres en pleine séance.
Un social-démocrate, dites-vous?
Tout va très bien aussi au gouvernement qui travaille d’arrache-pied en pleine harmonie malgré les critiques injustifiées voire déplacées de l’opposition; ses performances exceptionnelles sont malheureusement déformées par les agences de notation internationales qui ont volontairement occulté les vrais chiffres de croissance exponentielle du gouvernement Jebali. M. Ben Jaâfar a vite fait d’escamoter les dérapages du Premier ministre qui ne connait pas ses prérogatives et remercié le bon dieu d’avoir réuni cette «troïka» au pouvoir car sans elle le pays serait ingouvernable.
Les démissionnaires d’Ettakatol ne sont en fait que des renégats indignes de son parti, une véritable bande d’opportunistes qui se sont démasqués grâce à sa perspicacité.
Tout va très bien au niveau sécuritaire où les exactions et les graves dérives des extrémistes salafistes sont négligeables et tout à fait gérables par le dialogue et le bon sens.
Bref, M. Ben Jaâfar, fidèle à son habitude, a réalisé ce soir-là un sacré numéro d’errement politique où l’hypocrisie le dispute à l’inconsistance. Voulant coûte que coûte apparaitre comme l’homme du consensus et du bon sens, ne critiquant, même pas du bout des lèvres, les travers de ses mentors d’Ennahdha et les dérives de son gouvernement, il ne s’est malheureusement pas rendu compte de tout le tort qu’il a porté à son image de soi-disant social-démocrate.
Le cheikh Mustafa Ben Jaâfar persiste et signe, dans sa théorie d’alliance stratégique avec Ennahdha. Une véritable farce politique. Qui ferait rire si ses conséquences ne risquent pas d’être dramatiques pour les Tunisiens!
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