Enigmatique et mystérieux, au parcours erratique et plein de zones d’ombre, le chef du parti islamiste Ennahdha n’est pas le genre de leader charismatique auquel on donnerait le bon Dieu sans confession.
Par Hatem Mliki*
Elu en 1981 président, ou émir, du Mouvement de tendance islamique (Mti), devenu par la suite le mouvement islamiste Ennahdha, Rached Ghannouchi est aujourd’hui le personnage le plus controversé de la Tunisie.
Chance ou menace pour la révolution naissante?
Alors que ses sympathisants le considèrent comme l’incarnation du mouvement, ses détracteurs voient en lui l’ennemi publique n°1 de la démocratie naissante en Tunisie. Après la chute de son rival Ben Ali, acte auquel il a toujours du mal à reconnaître l’apport malgré toutes les tentatives de désinformation, son retour d’exil, le 31 janvier 2011, a été considéré par ses partisans et détracteurs comme étant un événement hautement important pour des considérations diamétralement opposées: alors que cela était assimilé au retour de Khomeiny pour les uns, c’était la première menace pour la révolution naissante pour les autres.
A l’origine de cette polémique autour du personnage du leader d’Ennahdha, plusieurs éléments peuvent être évoqués.
Premièrement et malgré toutes ses récentes tentatives en vue d’apaiser les craintes des défenseurs des libertés, démocratie et modernité, Rached Ghannouchi n’a visiblement pu convaincre personne. Son image est toujours associé à celui qui, vers la fin des années 80, était l’architecte des dérives violentes du mouvement allant jusqu’à l’infiltration de l’armée tunisienne en vue d’un coup d’Etat prévu pour le 8 novembre 1987. D’ailleurs il suffit que sa photo soit publiée ou son image diffusée pour que bon nombre de Tunisiens retrouvent en mémoire celui qui, dans la discrétion, préparait dans le passé un plan d’action pour balayer d’un coup les acquis d’une société auxquels ils étaient attachés malgré leurs différences, souffrances et critiques. C’est cette idée de celui qui se préparait à te poignarder alors que tu ne t’attendais pas (acte de trahison) qui a terni à jamais l’image de Rached Ghannouchi indépendamment du projet qu’il défendait et des idées qu’il incarne.
Il dit le contraire de ce qu’il pense
Deuxièmement le cheikh, comme beaucoup de ses partisans aiment l’appeler, est, pour ses détracteurs, le symbole par excellence du double langage au point que plusieurs sont ceux qui ont établi à son égard une équation très simple: il dit exactement le contraire de ce qu’il pense. Et comme il ne cesse, depuis son retour d’exil, de répéter des discours apaisants, cela ne fait que reproduire l’effet inverse et alimenter les craintes quand à ses véritables intentions.
Troisièmement, Rached Ghannouchi accuse un problème de style. Il n’a jamais été associé à des œuvres d’utilité publique malgré ses qualités intellectuelles incontestables en tant que fin connaisseur des questions de la chariâ. De toute son histoire, il n’a jamais été impliqué directement dans un projet, loi, mouvement, acte, événement ayant servi la nation ou des citoyens ou bien une région. Cela a fait de lui, aux yeux de beaucoup de gens, un être extrêmement égocentrique pour qui il n’y a que sa personne qui compte et envers lequel la nation n’est redevable de rien pour exprimer un jour ou l’autre une quelconque forme de gratitude.
Un très mauvais communicateur
Quatrièmement, cheikh Rached a un énorme déficit de communication. En plus de ses rares apparitions médiatiques celles-ci sont souvent mal préparées tant sur le fond que sur la forme. Le leader d’Ennahdha parle des problèmes des Tunisiens avec un langage où la majorité a du mal à se reconnaitre. De même qu’il utilise un vocabulaire rappelant les films ramadanesques et n’arrive pas à établir un lien avec l’auditoire. Son intonation est monotone, son regard est évasif et son langage non verbal ne dévoile aucun sentiment à l’adresse du récepteur. En somme il donne l’impression qu’il s’adresse à d’autres gens qu’on ne voit pas.
A ce déficit de communication s’ajoutent des messages négatifs lancés par Rached Ghannouchi quelques mois après la révolution. Ses déplacements en 4x4 accompagné de gardes du corps ont déçu voire provoqué plusieurs personnes. Sa tentative contestée d’outrepasser des citoyens faisant la queue lors des élections du 23 octobre 2011 ainsi que ses entorses au protocole de la république, lorsqu’il occupe l’espace officiellement réservé aux personnes en postes, alors qu’il n’en fait pas partie, qui ont été à juste titre très mal vues par beaucoup de gens.
Par ailleurs, ses défenseurs parlent souvent de sa large contribution aux révisions de l’islam politique allant jusqu’à lui attribuer le rôle du fondateur de la pensée de l’Akp en Turquie, rien de moins. Sauf que ses réflexions, livres, articles et publications sont tellement mal médiatisés qu’on se pose toujours des questions sur leur portée réelle. Plusieurs diront qu’il suffit de chercher pour trouver ses publications et les lire, il n’en est pas moins vrai que ces publications ont une valeur très relative!
Enfin, consciemment ou inconsciemment, par solidarité ou par discipline, les proches collaborateurs et amis de Ghannouchi évitent de parler de lui, discuter ses propos ou bien commenter ses dires. A chaque fois qu’on évoque son nom sur un plateau de télé, ses partisans, souvent gênés on ne sait pourquoi, réagissent mal et fuient la question. Il était même question, lors d’une polémique à l’Assemblée nationale constituante (Anc), que le président du bloc nahdhaoui appelle ses collègues du mouvement islamiste de quitter la salle. Ces comportements, venant s’ajouter à tout ce qui précède, rendent le personnage plus controversé rien que parce qu’il n’est pas vu par plusieurs d’entre nous comme un homme ordinaire.
Comme on l’a sans doute relevé, une question revient tout le long de cet article: qui est Rached Ghannouchi?
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