Une lettre de remerciement pour une grosse pointure de la médecine internationale, spécialiste de la microchirurgie et auteur de ‘‘Chroniques de Gaza’’, et à son équipe venue en Tunisie, il y a une dizaine de jours.
Par Dr Lilia Bouguira
Cher professeur,
Je tiens par ce billet à vous remercier d’avoir daigné répondre à notre invitation, nous citoyens tunisiens dont Baraa Belgith et moi, deux simples médecins tunisiens sans grand plus, du moins pour mon cas.
Je voulais aussi m’excuser de mon impulsivité et ma maladresse de vous avoir déplacé inutilement sans qu’il y ait eu véritable grosse intervention vous incombant.
En effet, je me suis gourée dans ce fougueux et violent désir d’aider nos blessés de la révolution qui m’a prise depuis que j’ai vu ces blessés trainer depuis plus de un an et demi d’un hôpital à un autre plus ou moins bien soignés mais souvent en mal être et en défaut de bons soins.
Je ne parle point de traitement d’urgence qui, à mon avis, a été largement bien desservi.
Et lorsque Baraa m’a proposé votre nom, je ne vous connaissais honnêtement pas encore et je ne savais rien de vous, de votre notoriété, de votre spécialité et de vos compétences hors pair.
Par la suite, j’ai couru au renseignement.
J’ai avalé votre livre que vous avez bienveillamment signé pour ma fille et là le doute, la honte et le fait de n’avoir pas mesuré l’ampleur de ma démarche commence à me ronger, mais avec tout cela je vais être franche avec vous.
Je regrette que la médiatisation de votre venue ait été précaire, rudimentaire, à mon échelle, de ma si petite taille, avec juste un maigre cortège de citoyens aussi imbus que frivoles et follets que ma personne pour avoir cru une minute pouvoir changer le cours des choses comme certains imbéciles croient pouvoir faire bouger les montagnes par de la volonté et de bonnes intentions.
Je regrette de vous avoir fait perdre votre temps, le vendredi 15 juin 2012, si bien précieux, si bien donné et merveilleusement dispensé sur les blessés palestiniens de Gaza. Pardon, je vous ai volé à eux et j’ai ainsi empêché un bon nombre d’avoir à bénéficier de vos soins pendant que des bombes ou des balles tombent encore sur leur ville oubliée du monde entier.
Je regrette cette frustration, la vôtre et la leur, et je m’en retourne profondément diminuée.
Et pourtant, laissez- moi vous dire que, franchement et à cœur ouvert, je ne regrette rien.
Je ne regrette pas de vous avoir ramené consulter nos blessés, vous le grand professeur si illustre et si méconnu de mon pays à son grand désaveu car combien de jambes aurions-nous pu alors épargner? Combien de nerfs auriez-vous suturés pour réparer des paralysies périphériques qui font que des blessés ne pourront toujours pas avoir l’usage de leur membre par ce manque d’intervention et d’habileté?
Je ne regrette rien parce que même en vous ayant fait ce préjudice, j’ai encouru aux blessés de ma patrie du moins cette bonne dizaine d’avoir eu à être examinés par vous et vous avoir à leur portée, eux qui depuis si longtemps ont été malmenés de partout, ont subi les pires médisances et dormi dans les rues par le froid mordant de notre dernier hiver et sit-inné encore devant notre Assemblée nationale constituante et devant bien d’autres ministères pour réclamer ce droit aux soins et bien d’autres droits à la dignité.
Je ne regrette pas franchement vos heures de perdues ni la contrariété que j’ai pu vous causer parce que mes blessés ont enfin eu droit à une parole qui ne les dénigre point mais qui consolide et qui les a fait remarcher.
Vous me direz, sûrement: «Vous vous êtes trompée d’indication, un psy aurait bien fait l’affaire!»
Je vous l’accorde mais ce psy n’a pas eu votre compétence pour dire à Jihad : «Abandonne ton lyrica, tu n’en as plus besoin. Tu as surtout besoin de réapprendre à nager dans ta plage de Mahdia si réputée pour faire redémarrer ton auto-rééducation et ta ré-insertion dans ta vie activement.»
Le lendemain même, un autre jeune footballeur de Kasserine qui, depuis le 9 janvier 2011, a pu retaper par sa tête un tir majestueux dans son ballon adoré à cause de cette blessure par balle de plein fouet dans sa carotide par un crapuleux sniper. Il a suffi que vous le lui disiez parce que vous avez trouvé les mots, les bons… mieux que le plus savant des scalpels! Ils l’ont apaisé et annulé son angoisse de la mort par, cette fois, non pas la balle tueuse mais un ballon en caoutchouc.
Malheureusement, vous n’avez pas eu à déployer votre grande science ni à vous tenir longtemps debout dans un bloc opératoire malgré vos heures de vol mais vos mots simples et directs, votre diagnostic cru ont fait abandonner à une poignée d’entre eux leurs béquilles pour faire chaque jour de l’auto-rééducation sans attelle juste en tâchant chaque jour d’augmenter la performance de son membre traumatisé.
Je ne vous remercierai pas assez pour cela ni pour ces trois opérés sous vos directives dans cette clinique de renommée, grâce certes à de fabuleux et généreux donateurs qui ont soutenus jusqu’à la dernière minute mon action à savoir madame @Ikbel Msadaa de la présidence, les actionnaires de la clinique et des gens éparpillés sur la toile tout comme moi, venus en bénévoles sans aucun signe ni banderole.
Hatem pourra certainement et grâce à vos directives retrouver l’usage d’une main parfaitement dégriffée.
Noura et Rawya pourraient, elles, dans très bientôt retrouver une marche moins boiteuse.
Rien qu’un petit lot vous a rencontré sur les 3.000 blessés avancés, bilan plus ou moins vrai plus ou moins lourd, mais lourd est ce déni, cette scotomisation et ces frustrations qui ont tatoué nos blessés, du moins ceux que j’ai pu rencontrer.
Rien que pour cela, je ne saurais vous exprimer ma gratitude, bien que petite déconfite devant ma fausse manœuvre, vous vous attendiez à plus de paralysies et de la chirurgie de votre grosse pointure, j’en ai ramené une poignée en forme comparée à ceux très amochés dont vous aviez l’habitude.
Un dernier mot afin de remercier votre généreux collaborateur, le professeur Belkirya, à qui j’adresse le même billet de ma Tunisie profonde à son Algérie ancestrale.
Frères du monde de terre des hommes et des humains MERCI.
Vous écriviez dans votre livre qu’il faut écrire parce que l’écriture est de notre devoir même celui des médecins également.
Aussi, vous ai-je écrit.
Je me permettrai de rendre cette lettre publique pour en faire foi et histoire.
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