Le projet d’écomusée de l’orangeraie de Hammamet, lancé en novembre 2011, cherche à préserver lesavoir-faire agrumicole de la région, soutenir son développement durable et asseoir les bases d’un tourisme alternatif.
Par Dr Salem Sahli*
L’image le plus souvent véhiculée sur la ville d’Hammamet est celle d’une station balnéaire méditerranéenne, où le tourisme de masse fonctionne tel un rouleau compresseur, tant par le flux et le nombre de touristes que par les impacts socioculturels et environnementaux engendrés.
Une image à changer, et à enrichir
Cette image n’est pas tout à fait vraie. Hammamet n’est pas une longue corniche de sable ponctuée de pizzerias et de bazars où l’on vend d’affreux petits chameaux en peau de lapin. Non, Hammamet c’est aussi une ville, des habitants, des métiers, des vergers, une culture, une identité, des savoir-faire et des traditions ancestrales.
Et le patrimoine agrumicole à Hammamet est une des composantes essentielles de l’identité locale. En effet, depuis des siècles, des conditions naturelles favorables rencontrèrent une communauté paysanne active, entreprenante et rompue de vieille date aux techniques de l’arboriculture irriguée (citronnier, oranger). Cette rencontre permit à un terroir de se constituer et de se développer dans le temps avec comme élément de base, le verger.
Ecomusée de l'orangeraie à Hammamet.
Les Ottomans et les Andalous installés à Hammamet au XVIe siècle contribuèrent aussi à la construction de ce patrimoine en apportant leur savoir-faire agricole.
Le savoir traditionnel du paysan s’appuie sur la maîtrise des techniques de l’irrigation (construction de puits de surface, utilisation du dalou avec traction animale, aménagement de seguias délimitées par des qsimas), et par l’art hammamétois, quasi exclusif au Cap Bon, de la pépinière. De même, le fellah hammamétois possède un savoir-faire séculaire de valorisation des produits du verger.
Un héritage menacé
Cet héritage est aujourd’hui fortement menacé par le développement intensif du tourisme, l’urbanisation galopante, la spéculation foncière, le morcellement des terres, les conflits autour de l’eau, le manque de sensibilisation des citoyens et la faiblesse voire l’absence de l’action publique.
Résultats: les canaux et outils d’irrigations traditionnels sont abandonnés ou détruits, les vergers en friche sont légion et nous assistons à une érosion du savoir-faire des paysans hammamétois en matière de gestion des vergers et de conduite de l’irrigation.
Toutefois, les vergers agrumicoles encore en exploitation sont bien présents sur le territoire de Hammamet. Ils sont encore perçus par les habitants et les autorités locales et nationales comme une des composantes essentielles de l’identité hammamétoise qu’il convient de sauvegarder et de valoriser.
C’est dans ce contexte qu’est né le projet de création de l’écomusée de l’orangeraie conçu et mis en œuvre par l’Association d’éducation relative à l’environnement de Hammamet (Aere), et co-financé par le programme Euromed Heritage 4 de l’Union européenne (UE). Il ne s’agit nullement de muséographier un patrimoine en le figeant dans un espace d’exposition, mais au contraire de le faire revivre en l’arrachant de la «pénombre de l’insignifiance» qui risque de le jeter définitivement dans l’oubli.
Des visiteurs découvrent l'Ecomusée de l'orangeraie.
Faire vivre le patrimoine agrumicole de Hammamet, vivre de ce patrimoine et lui redonner ses lettres de noblesse, tel est en définitive le défi que l’Aere se propose de relever.
Au service du développement local
L’écomusée de l’orangeraie composé d’un verger témoin, d’un arboretum agrumicole et d’une exposition permanente a été inauguré le 14 octobre 2011. Il a été aménagé au sein d’un lieu magique, le parc du Centre culturel international d’Hammamet (Ccih) dont il respecte scrupuleusement l’esprit.
La conception et l’aménagement de l’écomusée de l’orangeraie sont éminemment participatives. C’est un projet collectif qui a mobilisé plusieurs acteurs institutionnels, privés et de la société civile. Les promoteurs du projet ont également tenu à y impliquer les jeunes qui ont pris part aux ateliers d’études et aux chantiers, mais aussi des compétences locales de différentes disciplines: ingénieurs, sociologues, historiens, agronomes, architectes, spécialistes en communication….
Gouvernance locale oblige, les promoteurs du projet veillent à ce que cette dynamique partenariale et cette approche participative demeurent vivaces afin de maintenir une forte implication des citoyens et des acteurs locaux.
Voici donc un projet qui, par ses impacts sociaux, culturels, économiques et environnementaux s’inscrit parfaitement dans une démarche de développement local durable.
En effet, grâce à une facilité d’accès à l’éducation et à la connaissance de leur patrimoine, ce projet ne manquera pas de réconcilier les habitants avec leur identité et de favoriser la réappropriation de leur héritage matériel et immatériel. Il contribue également à l’amélioration du revenu familial grâce à la relance des activités de production et de transformation agricole ainsi que des métiers artisanaux. Mais l’impact le plus important est sans conteste la promotion d’un autre produit touristique local complémentaire du tourisme balnéaire.
Le verger du Centre culturel international de Hammamet.
Un tourisme différent est possible
Tourisme culturel, agricole, rural, écotourisme… Les appellations pullulent, mais toutes renvoient à un concept de tourisme alternatif (porté vers d’autres solutions possibles) qui s’oppose au concept de tourisme industriel, un concept qui renoue avec le sens des limites.
Un tourisme «doux» plus proche de l’environnement, un tourisme à visage humain, plus curieux et respectueux des traditions locales et qui tient compte des populations, de leurs modes de vie et des répercussions des projets sur leur territoire.
La Maison de Sebastian au coeur du verger.
Le défi peut paraître grand, mais plus il est grand plus la victoire est belle.
* Président de l’Aere, Hamammet.
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