Entre menaces et opportunités, l’avenir de la Tunisie postrévolutionnaire se joue aujourd’hui. Cinq acteurs majeurs se livrent au combat politique pour imposer leurs visions de ce que doit être la Tunisie de demain.

Par Hatem Mliki*


Il y a tout d’abord les positions extrémistes des deux côtés.

Il y a, d’un côté, ceux qui pensent que le pays doit rompre définitivement avec son mode de vie pro-occidental et plaident pour une restauration de la chariâ. Ce courant, représenté par une panoplie de mouvements salafistes, affiche clairement sa volonté de finir avec toute forme de modernité qu’il considère comme l’arme des mécréants pour combattre l’islam et rejette ainsi, pêle-mêle, tous ce que l’humanité à pu produire ces derniers siècles.

En face, il y a les extrémistes, de gauche et de droite, qui, sous le couvert de la laïcité,  plaident pour une rupture pure et simple avec la religion qu’ils considèrent comme manifestation rétrograde de nature à entraver l’épanouissent individuel et empêcher le développement collectif.

Quoique minoritaires, ces deux tendances disposent d’une grande force de nuisance vu que leurs actions, fortement médiatisés, créent souvent l’événement et inquiètent la majorité des Tunisiens. Ils agissent, tous deux, dans le sens de la discorde et empêchent la stabilité.

En plus de ces deux courants, il y a les deux principaux acteurs de la société tunisienne actuelle.

Ennahdha et la primauté de l’islam

D’un côté il y a Ennahdha, parti conservateur rassemblant plusieurs fractions réunies autour de leurs conceptions de l’islam comme projet de société. Les deux principales caractéristiques qui posent problème au parti islamiste étant qu’il n’arrive pas à admettre l’existence de musulmans en dehors de son mouvement politique (fondé sur le principe d’El Jamaâ de la confrérie musulmane égyptienne, la déontologie d’Ennahdha suppose qu’un bon musulman ne peut être que membre du mouvement comme si cette appartenance est une condition de l’islam même d’une personne. A titre d’exemple, ne pas voter Ennahdha est considéré comme péché. La deuxième difficulté du parti islamiste étant que tout en acceptant le jeu politico-démocratique, Ennahdha voit en cela une cohabitation forcée et momentanée qui lui impose un combat dans lequel il est investi d’un rôle divin et qu’il finira par gagner.

Ainsi vu, le mouvement islamiste ne se voit pas, démocratiquement parlant, dans l’opposition vu qu’il confond, du moins jusqu’à présent, sa défaite à celle de l’islam qu’il croit représenter. Ennahdha se considère, dans une ambiance démocratique,  comme parti uniquement de pouvoir étant donné la suprématie de l’islam et ne peut expliquer une éventuelle défaite électorale que par la magouille ou la dictature.

De l’autre côté, il y a ceux qu’on appelle modernistes dont le point commun est les valeurs républicaines basées essentiellement sur la citoyenneté. Composé principalement d’intellectuels, ce mouvement a du mal à pénétrer un intérieur du pays dont les valeurs de travail, d’argent, de l’autre et du pouvoir sont toujours en dessous des exigences minimales de la citoyenneté. Par ailleurs ce courant considère que le seul moyen de garantir la liberté de culte consiste à détacher l’Etat de la religion.

Enfin il y a ces centaines d’associations qui composent la société civile et que nous pouvons diviser, de manière très sommaire, en trois catégories: premièrement les associations d’intérêt public œuvrant dans le domaine du développement et des libertés. Deuxièmement, celles qui représentent des groupes d’intérêts (avocats, architectes, journalistes…). Et enfin les associations fortement politisées chargées de propagande et de collecte de fonds au profit de partis politiques.

A priori, la Tunisie dispose, sous certaines conditions, des prémisses d’une transition démocratique qui ne sera certainement pas facile et a besoin de solutions innovantes, conjoncturelles et durables, compatibles avec cette la nouvelle situation.

Primo: neutraliser la capacité de nuisance des forces extrémistes dont les agissements doivent être traités de manière technique et non idéologique (comme c’est le cas des récents événements d’El Abdellia). Un traitement technique suppose un cadre juridique indépendant, clairement défini, respectueux des droits de l’homme et ferme envers toute forme de transgression des lois. C’est-à-dire que, dès lors qu’un acte est commis, la machine judiciaire doit prendre en charge l’affaire indépendamment du débat politique et des diverses positions de l’opinion publique. Il est même recommandé, dans une première phase, que les représentants des partis politiques s’interdisent de commenter des actes extrémistes juridiquement qualifiés d’infractions même s’ils prétendent exprimer une position politique ou idéologique quelconque à condition, bien évidemment, de renforcer la réactivité de l’appareil judicaire pour ne pas laisser la place à la rumeur et la désinformation.

La transition démocratique ne peut pas rester à la merci d’agissements extrémistes minoritaires qui compromettent l’avenir de l’ensemble des Tunisiens sous prétexte de défendre, fanatiquement, une certaine valeur.

Secundo: établir techniquement, à l’image du Pnud, un indice de développement humain (Idh) permettant de mesurer objectivement la situation dans les différents gouvernorats. A partir de là, un Idh minimum sera établi et constituera l’objectif à atteindre par l’administration dans un laps de temps bien défini pour les zones situées sous la barre de la moyenne établie.

Ce travail peut faire objet d’une action collective consensuelle apolitique qui engage l’ensemble des partis politiques. Il peut être confié à une autorité indépendante composée de personnalités attestées, dotée d’une autonomie juridique et financière et contrôlée par les pouvoirs publics. Ceux qui s’opposent à ce type d’idées, jugées non conventionnelles, oublient souvent qu’il faut avoir le courage d’innover pour gagner la bataille du futur.

La transition démocratique n’est pas compatible avec la pauvreté qui risque de compromettre le processus dans son ensemble. L’idée n’est pas de rechercher l’égalité arithmétique, ni de combattre l’enrichissement légal mais plutôt de lutter contre une forme de précarité destructrice de la citoyenneté.

Tunisienne libre :jusqu'à quand?

Tertio: remplacer le ministère des Affaires religieuses par un Conseil supérieur des religions (Csr) regroupant les représentants des trois religions présentes sur le territoire tunisien et dont le quota sera défini bien évidemment en fonction du pourcentage de chacune parmi la population.

Cette proposition, moins conventionnelle que la précédente et peut être choquante pour beaucoup de gens, est non seulement symbole de la valeur suprême de l’islam, qu’est la tolérance, mais aussi signe de l’un des points fort de l’islam c’est-à-dire la reconnaissance des religions qui le précédent. Ce Conseil est investi du devoir d’organiser les manifestations religieuses des trois confessions. Les fonds publics alloués à ce conseil sont répartis entre les trois religions dans les mêmes conditions de la représentativité au sein du conseil.

C’est parce que la  Tunisie est un pays musulman qu’elle doit garantir la liberté des cultes prévu par l’islam sans que cela soit une contradiction avec son statut de pays musulman prévu par la constitution et défendu par le conseil constitutionnel.

Quarto: les partis politiques incapables de réunir un certain nombre d’adhérents (à définir) verront leurs agréments retirés. Un préavis peut être adressé aux partis politiques concernés avec un délai raisonnable en vue de régulariser leurs situations.

La Tunisie est un petit pays, toujours instable, ne disposant pas de beaucoup de moyens et faisant face à d’importants défis tant internes qu’externes pour se laisser perdre dans des querelles idéologiques stériles conduites par des groupes réduits qui ne représentent que très peu de gens. La transition démocratique a certainement besoin de la diversité mais, dans le cas de la Tunisie, ne doit pas tourner à la mascarade au risque de perdre sa signification. Ceux qui ne se retrouvent dans aucun des partis politiques constitués peuvent s’activer dans la vie associative en attendant de remplir les conditions exigées ou bien attendre  le jour où cette disposition soit levée.

Cinque: mettre en place un Conseil national de l’éducation, la formation et la recherche (Cnefr) chargé d’une réforme structurelle, profonde et durable au bénéfice des générations futures. Cette instance prendra en charge l’élaboration de programmes pertinents, harmonieux et compatibles avec le marché du travail. Les ministères concernés (Education, Formation professionnelle et Enseignement supérieur) assureront la gestion administrative et financière des différents cycles de formation.

La durabilité de notre démocratie a besoin de faire face au phénomène de chômage structurel surtout qu’il est dû en partie au manque d’employabilité des demandeurs d’emploi. De même que la valeur travail doit être rétablie et que l’éducation et la formation doivent reprendre leur rôle d’ascenseur social barrant le chemin aux tentations d’enrichissement illicite via la contrebande, la corruption et les affaires frauduleuses.

Ces quelques réflexions ont pour but de sécuriser un processus de transition fragile où le luttes partisanes nous font souvent oublier l’essentiel et nous plongent dans des fausses querelles qui cachent le forêt des vrais problèmes.

* Consultant n développement.

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