D’aucuns douteraient de la compatibilité de l’islam avec la démocratie. La démocratie serait compatible avec le judaïsme et le christianisme et ne le serait pas avec l’islam?
Par Rafik Souidi
Quelle question saugrenue et quelle mauvaise foi! Comme si la démocratie avait toujours prévalu en Occident alors que les temps du servage et des moujiks ne sont pas si loin...
La confiscation incessante du pouvoir
En fait, la question n’est pas de savoir si islam et démocratie sont conciliables – pourquoi ne le seraient-il pas? – mais comment ne l’ont-ils pas été plus tôt? Comment le despotisme oriental a-t-il pu s’enraciner dans le cadre d’une religion qui repose sur l’égalité des citoyens devant la loi, qui les protège dans leurs biens et dans leur honneur, qui dénonce les tyrans, qui préconise la recherche minutieuse de la vérité, qui oblige les gouvernants à la probité et à la transparence, qui prône la tolérance et la persuasion, qui recommande la participation des citoyens à la décision, qui place les juges au-dessus de l’autorité politique, qui responsabilise tout un chacun pour s’élever contre toute injustice et par-dessus tout qui condamne l’arrogance sur terre?
La réponse se trouve sans doute dans la confiscation incessante du pouvoir par quelques-uns dans le but d’accaparer les richesses qui s’accumulaient au fur et à mesure que l’expansion islamique prenait de l’ampleur.
Plus encore, l’abandon des valeurs de solidarité à travers la marginalisation de l’obligation de la «zakat» (charité) dans le culte musulman ont détourné le message divin de sa finalité sociale et politique. Le résultat fut plus de pauvreté et plus de corruption car les dirigeants n’avaient plus ainsi de comptes à rendre sur leur gestion du trésor public et encore moins sur leur légitimité douteuse.
Cette situation héritée de la dynastie omeyyade a perduré jusqu’à rendre la décadence de la «oumma» inexorable et en faire une proie facile pour les appétits extérieurs. Le rempart ottoman, souffrant des mêmes maux, retarda militairement l’échéance mais il finit par s’effondrer.
Décalage démocratique contemporain du monde islamique
Par ailleurs, les rivalités entre écoles de pensées religieuses détournaient l’attention des ulémas et des muftis des dépassements des dirigeants quand ils ne se mettaient pas vilement à leur service. Le coup de grâce fut porté lorsque les portes de l’«ijtihad» (exégèse) furent arbitrairement déclarées closes pour laisser libre cours au traditionalisme étroit et au conservatisme aride.
L’islam dans son caractère socialement révolutionnaire et sa vocation universelle était ainsi mis sous anesthésie.
Aussi, lorsque l’Occident après la Renaissance – issue en grande partie du recyclage des avancées scientifiques et culturelles en provenance d’Orient à travers la Sicile et l’Andalousie – puis le mouvement de la Réforme, initié par Luther, bouscula les idées reçues et rechercha les grâces divines par l’action utile, l’innovation technique et la réflexion critique, le balancier de l’Histoire pencha alors de son côté. L’aboutissement de ce renouveau se matérialisa dans la révolution industrielle et plus récemment à travers l’organisation institutionnelle adéquate, la démocratie parlementaire, non sans avoir fait des détours par la dictature: fascisme, nazisme, stalinisme...
Quant au décalage démocratique contemporain du monde islamique, il peut aussi s’expliquer par des contingences historiques telles que la colonisation ou la guerre-froide et plus spécifiquement, dans le monde arabe, par les guerres d’Irak et les événements suspects de septembre 2001 qui ont retardé l’échéance en donnant un dernier souffle aux dictatures locales jusqu’au jour où un marchand ambulant s’immola sur la place publique dans un improbable village tunisien pour protester contre l’arbitraire.
80% des musulmans vivent en démocratie
Aujourd’hui, plus de 80% des musulmans sur terre vivent en démocratie –certains comme en Malaisie depuis des lustres – et sont dirigés par des gouvernements issus d’élections libres au suffrage universel.
Certes, il peut subsister la tutelle de l’armée ou des services secrets ou du clergé, ici ou là, mais même les plus vieilles démocraties sont vulnérables et il leur arrive aussi de tomber sous l’emprise de lobbies, de la franc-maçonnerie ou carrément de la pègre... Churchill disait fort justement: «La démocratie est le pire système de gouvernement, à l’exception de tous les autres!».
Articles du même auteur dans Kapitalis:
Onze mesures pour établir l’Etat de droit en Tunisie
Pour la révision des jours de congé hebdomadaire en Tunisie
Tunisie. Une feuille de route pour le gouvernement Jebali
Des pistes pour relancer l’économie tunisienne
Quel rapport entre religion et Etat dans la nouvelle Tunisie ?
Pour mettre fin à la dérive de l’université tunisienne
Plaidoyer pour une union fédérale entre la Tunisie et la Libye