Ce qui se déroule en Tunisie depuis le 14 janvier 2011 ressemble de plus en plus à une répétition fade de ce qui aurait du se passer après des élections de 1989, si jamais la «république dictatoriale» n’avait fait capoter toute l’affaire.
Par Habib Ksouri
En fait, tous les acteurs (à part un) y sont, les éradicateurs toujours aussi virulents et tapageurs, les islamistes toujours aussi lents et indécis, la majorité silencieuse du peuple toujours aussi abasourdie par des décennies d’oppression et le spectacle désolant qu’offre la classe politique.
Seul acteur manquant à toute cette tragi-comédie, la «force» policière, militaire, répressive (que certains aimant à l’excès le peuple appellent de tous leurs vœux). En somme, le mauvais sort dictatorial à qui hélas nous paraissons être éternellement condamnés, nous pays arabo-musulmans, pays abusé par une élite qui enfonce encore plus le peuple dans l’ignorance et la mystification. En fait, deux entités insolubles, pire encore détonantes, squattent la Tunisie, d’un côté les extrémistes* religieux, et de l’autre, les extrémistes antireligieux. Il faut dans ce cadre reconnaître que les seconds sont pour beaucoup dans la propagation des premiers.
Imaginons, si on n’a jamais la chance (pour certains) ou la malchance (pour d’autres) d’expérimenter encore une «dictature» qu’est ce qui nous sortirait après la prochaine révolution.
Il est vrai qu’il existe en Tunisie une minorité très active, dont une bonne partie a pu acquérir son influence non pas grâce à un quelconque mérite, mais grâce à sa composition avec les anciennes dictatures. Cette minorité compte parmi ses membres les éradicateurs qui ont été pour beaucoup dans les accès de folies répressives de l’ancien régime et ce qui en a découlé.
A ce qu’il parait, ces mêmes personnes n’ont pas encore assimilé le fait que les idées ne se combattent qu’avec les idées. Que ni avec les mensonges, ni la répression ne régleront l’affaire. Encore moins d’aller pleurnicher chez leurs imprésarios d’outre-mer.
Réellement, il n’est de pire idiot que celui qui n’apprend rien de sa propre histoire, récente de surcroit.
De «l’art» du mensonge et de la rumeur
Il serait vain d’essayer de répertorier les procédés dont on peut user pour faire passer un mensonge pour une réalité. Tout est dans la manière de présenter et dans la finesse des arguments. Parfois, par contre plus le mensonge est gros, plus il récolte d’assentiments. Certaines autres fois, devant le flot de mensonges déversés et la multitude des sources qui colportent ces mensonges, on rejoint le domaine du célèbre dicton: «Calomniez, calomniez, il en restera toujours quelque chose» et sa conséquence pratique : «Il n’y a pas de fumée sans feu» et c’est là le moyen le plus garanti de rafler la mise.
Dans ces circonstances, on ne s’arrête plus devant la crédibilité ou non du mensonge, mais tel un «récepteur» saturé et désorienté, le commun des mortels perd son discernement et ingurgite tout.
Pour faire encore plus fructifier cette méthode, certains vétérans de la combine saupoudrent ça et là quelques ingrédients fait d’évènements, historiques douteux, littéraires mal ou non référencés, divers qu’on élève au rang d’histoire.
Ces ajouts rendent le mensonge encore plus vraisemblable donc plus assimilable. Dans ces circonstances, même un article de n’importe quel torchon, une nouvelle sur n’importe quel site, un fait divers sans aucune signification ni confirmation constituent un argument massue et une preuve irréfutable qui confirme la «véracité» du mensonge. Ainsi, le mensonge investit les esprits aussi vite qu’un essaim d’abeilles envahirait un champ de fleurs, sauf que le résultat final ce n’est pas du miel!
Une autre méthode tout aussi efficace, c’est celle de la demi-vérité. Dans ce cas, on est devant une information réelle à laquelle on peut rajouter un complément fictif et/ou une conclusion factice qui réoriente cette information à notre guise. Et là aussi comme dit l’adage: «Une demi-vérité est un mensonge complet», on en revient au but initial.
Parfois on atteint la quintessence du mensonge ou de la rumeur, quand c’est celui qui lance la «bourde», qui commence à y croire fermement et devient à la fois source et analyste. Ainsi, on boucle la boucle et on rentre dans le domaine de la débilité profonde, terrain prisé par certains médias tunisiens et même mondiaux.
C’est principalement la méthode du «déluge», donc la plus simple et néanmoins la plus fiable qui est utilisée par les différents acteurs (journalistes, internautes, politiciens, etc.) pour liquider la «troïka» (la coalition tripartite au pouvoir dominée par le parti islamiste Ennahdha, Ndlr). Il ne faut surtout pas oublier, que nous possédons en Tunisie une histoire séculaire dans l’art du mensonge et de la rumeur. Histoire qui a été renforcée ce dernier demi-siècle par un appareil mensonger et propagandiste qui aurait pu être une fierté nationale, si le mensonge ait jamais constitué un quelconque apport bénéfique à la civilisation humaine.
La cible du mensonge va essayer de démentir, d’expliquer, de se justifier et plus les mensonges s’accumulent et plus les démentis s’amoncèlent nous donnant l’impression indéfectible d’être en présence de quelque chose de malpropre, de suspect, qui avec le temps aboutit à une sensation de malaise, et on en arrive à la citation: «Il y a sûrement anguille sous roche».
L’état déplorable qu’on vit actuellement est autant dû à cet air malsain de rhétorique mensongère et à cette atmosphère de rumeurs qui nous suffoque, qu’à la passivité de la «troïka» et son aréflexie presque complète devant ces flots incessants de «nouvelles».
La communication, premier soldat dans la bataille médiatique pour la conquête des esprits semble à priori renvoyée aux calendes grecques par la «troïka», qui pense peut-être comme a dit Tolstoï dans son chef d’œuvre ‘‘Guerre et paix’’ qu’«en matière de guerre, les meilleurs soldats sont la patience et le temps». Sauf que pour la guerre médiatique, le temps serait à mon avis plutôt traître.
La théorie du complot: du ridicule à la sottise
Pour ceux qui suivent ce qui se passe en Egypte, on a l’impression de revoir le même scenario de la Tunisie. L’insécurité, l’anarchie, l’amoncèlement des ordures, les coupures d’eau et d’électricité, etc. Le déchainement des médias contre les instances élues (d’abord le parlement, puis le président). Les fausses nouvelles, les rumeurs, les scandales. En somme, si tout ça c’est du pur hasard, salut la logique.
D’aucuns, s’ils se permettaient un tant soi peu d’objectivité, se poseraient la question du pourquoi de cette cascade de dysfonctionnement qui a accompagné la mise en place du gouvernement provisoire et penserait à deux fois avant d’en imputer la responsabilité uniquement à l’incompétence et aux tergiversations du dit gouvernement.
Cette vague s’est accentuée de manière remarquable cet été, comme pour bien chauffer l’atmosphère pour après les vacances, période propice qui sera utilisée par la contre-révolution pour assainir un autre coup au pouvoir en place. Les acteurs de cette «conjuration» sont connus et ne ménagent pas leurs efforts pour se faire entendre et remarquer. Ce grabuge profitera indubitablement à d’autres, qui se tapissent dans la pénombre et qui le temps venu se jetterons sur l’occasion pour rétablir leur pouvoir déchut. Les réfractaires à la théorie du complot savent, en leur âme et conscience, qu’ils mettent souvent en veilleuse, que ce qui se déroule en Tunisie n’est pas uniquement le pure produit du hasard, de l’incompétence ou de la conjoncture économique internationale, mais qu’il y a des forces qui veulent revenir à l’ancien ordre établi depuis 56 ans.
La participation d’une frange de l’opposition militante à cette gabegie fait mal au cœur et fournit une explication tardive du pourquoi de la durée interminable des anciennes dictatures. Le réel problème actuel, c’est plus la «troïka» d’un côté et les oppositions de l’autre, mais c’est le peuple «libéré» et la dictature.
Pour ceux qui disent que l’intérêt supérieur du pays représente leur but absolu, qu’ils se ressaisissent avant que le déluge qu’ils ont pour certains contribué à alimenter (volontairement ou pas) ne nous emporte tous.
Pour les éternels sceptiques et les opiniâtres dans le déni, je finirai par cette citation d’Amélie Nothomb dans son roman ‘‘Péplum’’: «Il y a toujours dans la foule un crétin qui, sous prétexte qu’il ne comprend pas, décrétera qu’il n’y a rien à comprendre».
(*) Je signifie par extrémistes tout les éradicateurs de quelque part qu’ils soient, ceux qui préfèrent le corps à corps plutôt que l’idée à idée. Mais pour être juste, il faut dire qu’en Tunisie, il y a une frange des deux qui a déclenché les hostilités la première.
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