Ceux qui pensaient que l’arrivée au pouvoir des islamistes par le biais des urnes ne remettrait pas en cause ni l’alternance, le caractère laïc des institutions et la sécularisation de la société, ont de bonnes raisons de corriger leur erreur.

Par Sadok Chikhaoui*


On l’avait compris. Ennahdha a renoncé (pour le moment?) à inscrire la chariâ dans la Constitution pour des raisons purement tactiques, pour l’y injecter insidieusement, par petites touches successives sous la forme d’une série de lois successives qui viendraient, l’une après l’autre, à mettre cause les acquis de six décennies.

Un parti démocratico-compatible, dites-vous?

C’est autrement plus efficace, plus soluble dans la réalité. Ça sent la perfidie bédouine, et Rached Ghannouchi n’est pas très loin. L’avantage: atteindre son objectif d’islamisation de la société, sans s’aliéner directement l’opinion mondiale et particulièrement européenne et sans courir le risque de ternir l’image d’un parti démocratico-compatible, à l’instar de l’Akp turc, qu’elle n’a cessé d’essayer de vendre à l’Occident.

Tout récemment, Moncef Marzouki a, en parfait Vrp d’Ennahda, a fourgué avec succès cette image à des députés français qui ne demandaient qu’à être convaincus.

La gauche française, angélique et bien-pensante, n’a rien retenu du drame algérien et d’une décennie de guerre civile qui avait meurtri profondément ce pays. Sans l’intervention de l’armée en 1991, pour stopper le processus électoral, l’Algérie serait actuellement une théocratie sanglante et éclatée.

Cette gauche donneuse de leçon n’a cessé d’accréditer l’idée selon laquelle l’arrivée au pouvoir des islamistes par le biais des urnes ne remettrait pas obligatoirement en cause ni l’alternance, ni le caractère laïc des institutions, ni la sécularisation de la société. Comme si le Fis algérien ou Ennahdha tunisien était le Cdu allemand, le Pdc suisse, ou la DC italienne.

Les lois discutées actuellement en Tunisie, et qui ne sont que de simples échauffements avant la sortie de l’artillerie lourde, suffiront-ils à convaincre les Vincent Geisser et autres François Burgat du fait que la réalité des islamistes est bien éloignée de celle des partis chrétiens démocrates, qui sont insérés depuis des lustres dans le jeu démocratique.

Des controverses stériles et d’un autre âge

Tout a commencé avec la question de l’identité. Ennahdha et le CpR (une formation nationaliste arabe et crypto islamiste) avaient réussi à dévier le débat des véritables enjeux économiques et sociaux et à embourber toute la classe politique dans des controverses stériles et d’un autre âge. L’identifié, une notion fort complexe, réduite de manière simpliste à sa dimension tribale et religieuse.

Ils reviennent maintenant avec la question du sacré, rejouant un exact remake, quatre siècles après le tristement célèbre Tribunal du Saint Office, c’est-à-dire l’Inquisition.

Cette juridiction créée par l’église pour réprimer les Morisques et les Marranes, ces musulmans et juifs officiellement convertis au christianisme, mais qui continuaient à pratiquer leur foi en secret, mais dont le champ de compétence s’était très vite élargie à tous les actes qui s’écartaient de la stricte orthodoxie:  blasphème, fornication, pédérastie

L’inquisition a détruit pendant trois siècles toute pensée libre, et tout progrès intellectuel en Europe. Qui n’a pas en tête le célèbre procès de Galilée, condamné à abjurer ses découvertes scientifiques et notamment son ouvrage ‘‘Dialogue sur les deux grands systèmes du monde’’ qui est l’œuvre fondatrice de la rationalité moderne.

Jeanne D’arc, une patriote a été torturée et condamnée au bucher.

A quand les tribunaux lèse-chariâ avec leurs cachots, la torture par le feu, l’étouffement par l’eau, la scie et le pieu?

On savait que le verbiage idéologique et les régressions obsessionnelles sur la question des femmes et des mœurs sont le domaine de prédilection des islamistes. Pour le reste, et particulièrement dans celui de l’économie et de la justice sociale, pour laquelle s’est levée la révolte, ils n’ont rien à proposer à part une vague redistribution par l’aumône, pour que les pauvres restent pauvres et les riches s’enrichissent davantage.

«Enrichissez-vous!» disait Thiers. «Qol Rabbi an3mta fa zid» (Dieu tu as donné, donne encore), disent les islamistes.

Très vite après son succès relatif aux élections, Ennahdha, (la «troïka» ou coalition tripartite au pouvoir n’étant qu’un euphémisme) s’est attelé à mettre en œuvre ce programme d’islamisation de la société et des institutions pour défaire progressivement l’œuvre bourguibienne.

Les Nahdhaouies votent pour leur servitude volontaire

La loi sur la «complémentarité» (et non l’égalité) homme-femme ouvre insidieusement la voie à la polygamie. Celle-ci serait, bien entendu, conditionnée par le consentement des épouses, mais à voir ces députées nahdhaouies de l’Anc voter pour leur servitude volontaire, et contre leurs propres droits, on a vite compris que ce ne seront là que des circonvolutions d’usage.

Il faut s’attendre, en corollaire, à une autre loi pour remettre en cause le principe de l’adoption plénière, qui avec l’interdiction de la polygamie faisait la singularité de la Tunisie au sein de ce magma flou appelé «monde arabo-musulman».

Et puis, il y aura d’autres lois, sur l’alcool, les tenues vestimentaires, les plages, la mixité dans les écoles, etc. L’imaginaire chariatique est infini. Dernièrement, le Soudan, qui est leur véritable modèle et non l’Akp comme on voulait nous faire croire, vient de voter son ultime loi islamiste: l’interdiction de la chicha, antimorale donc anti-islamique. Il ne restera plus que les mosquées et les échoppes d’ice-cream.

* Tunisien résident à Dar Essalem.