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Sans une action vigoureuse de l’État encouragé par la société civile, la déferlante fascisante s’imposera bientôt dans les espaces publics avant de régenter notre vie et transformer nos us et coutumes.

Par Mohamed Ridha Bouguerra*


La célébration de la nuit du destin à la Grande Mosquée de la Zitouna nous a gratifiés d’une scène étonnante. Houcine Laâbidi aux côtés des plus hauts dignitaires de l’État dont le Président de l’Anc et le chef du gouvernement provisoire.

Houcine Laâbidi impose, l’Etat dispose

M. Laâbidi? Mais si, vous le connaissez bien maintenant. Au train où vont les choses dans notre pays, il sera bientôt, qu’à la Providence ne plaise, l’icône de la contre-révolution religieuse!

Il s’agit du saint homme qui confond notre prestigieuse Grande Mosquée avec son domicile personnel au point d’en changer les serrures pour s’assurer l’exclusivité de la direction de ce prestigieux espace de prière si cher au cœur des Tunisiens. N’a-t-il pas rabroué de la pire manière l’huissier-notaire qui a été chargé par le ministère des Affaires religieuses de lui intimer l’ordre de remettre les choses en l’état? Son refus, si fermement déclaré de rentrer dans les rangs, lui a valu révocation par décision ministérielle. Et que croyez-vous que fit notre pieux imam autoproclamé? Ameuter ses partisans et empêcher son successeur de pénétrer à la Zitouna. Il fit mieux encore en se métamorphosant en faiseur de rois, ou, plus exactement, d’imams, puisque dans un clair geste de défi envers l’État il a désigné de son propre chef l’imam de la Grande Mosquée!

D’ailleurs, la plainte intentée par le Contentieux de l’État contre ce défenseur trop zélé de la Zitouna a été rejetée pour vice de forme ! On voudrait nous faire croire que les services juridiques du Contentieux de l’État sont peuplés d’incompétents incapables de rédiger un mémoire en bonne et due forme en vue d’une saisine! Or, c’est ce rebelle à l’autorité de l’État que MM. Ben Jaâffar et Jebali ont côtoyé là même où il n’avait aucun rôle officiel à jouer! Comprendra qui voudra ou qui pourra car cela est proprement rocambolesque ! Abracadabrantesque, dirait l’autre. N’est-ce pas là un signe manifeste de la déliquescence de l’État? Ainsi vont les choses dans le bateau ivre qu’est devenue, hélas, la Tunisie !

Autre signe de la déliquescence de l’État, les spectacles et manifestations culturelles perturbés et même annulés en raison de l’intervention violente de salafistes déterminés tant à Menzel-Bourguiba qu’à Kairouan ou encore à Bizerte.

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Les salafistes à la conquête du théâtre municipal de Tunis. (Ph. Thierry Brésillon).

Mourad Amdouni, constituant et élu de la ville de Bizerte qui s’est rendu à Menzel-Bourguiba le 14 août au soir afin de protester contre l’interdiction faite à Lotfi Abdelli de présenter sa pièce humoristique ‘‘100% halal’’, nous apprend que «les salafistes ont fait leurs ablutions dans les locaux de la police» avant de se mettre à prier toute la soirée sur le trottoir de la salle où l’acteur, qui a été menacé de mort, devait se produire. Et M. Amdouni d’ajouter en parlant des salafistes: «S’ils n’avaient pas de garanties, ils n’auraient pas agi de la sorte» (‘‘La Presse’’, vendredi 17 août, p. 10). Au lieu de libérer l’accès à la salle de spectacle et d’arrêter les fauteurs de troubles, les autorités régionales invoquent des raisons sécuritaires et annulent la représentation de la pièce programmée. Celle-ci n’a-t-elle pas reçu le plus infâmant des labels par lequel on justifiera dorénavant tous les agissements contraires à la loi, à savoir le label de la soi-disant atteinte au sacré?

Carte blanche aux intégristes violents

Il est à signaler que les salafistes ont été bel et bien dédouanés par le porte-parole du ministère de la Culture qui ne leur trouverait, à la limite, aucun tort, puisqu’il a fièrement déclaré que «les salafistes n’ont perpétré aucun acte de violence, mais se sont juste alignés pour faire la prière devant le théâtre de Menzel-Bourguiba» (‘‘La Presse’’, vendredi 17 août, p. 10). Ils ont, certes, juste choisi le bon endroit et le bon moment pour se recueillir et s’adresser au Très-Haut ! Que d’autres aient choisi, eux, de passer une soirée ramadanesque en famille avec la perspective de se détendre en compagnie d’un humoriste, cela ne compte pas aux yeux de ce digne personnage officiel!

Ainsi va l’état de la culture et de la liberté d’expression dans un pays où les forces de l’ordre sont promptes à agir contre des manifestants qui ne réclament qu’un peu d’eau en ces journées caniculaires de jeûne ou contre des ouvriers de chantiers qui exigent le règlement de leur salaire, mais se montrent si compréhensives envers ceux que M. Ghannouchi appelle affectueusement «nos enfants» et que M. Jebali considère des nôtres et non des extra-terrestres!

Ainsi vont les choses à rebours du bon sens et de la logique dans un pays où le double langage règne en maître !

Et bien, pour n’avoir pas assuré l’ordre et fait respecter la loi le 14 à Menzel-Bourguiba et le 15 à Kairouan, les autorités ont comme donné carte blanche aux intégristes violents qui, rassurés par tant de complaisance, sinon de complicité («ablutions dans les locaux de la police» !) ont fait mieux encore à Bizerte le 16. Ils ont manié le sabre et moult armes blanches, fait couler le sang et tailladé visages et crânes de nombre de «mécréants» réunis à la Maison de la Culture pour commémorer l’arrivée de Yasser Arafat et de Palestiniens chassés du Liban en 1982!

À se demander s’il y a vraiment un commandant à la barre ! Si, le Premier ministre provisoire s’est permis de se demander publiquement dernièrement en constatant les tas d’immondices qui défigurent nos bonnes villes: «Mais où est le gouvernement?», les simples citoyens que nous sommes n’avons-nous pas le droit d’exprimer toute notre perplexité en nous interrogeant: «Mais où est le ministre de l’Intérieur? Son rôle n’est-il pas d’assurer la paix civile? N’a-t-il pas pour mission d’exercer la légitime violence de l’État contre tous ceux, sans distinction aucune, qui se permettent de perturber l’ordre public? Faudrait-il finir par croire qu’il y a aujourd’hui une catégorie de Tunisiens à qui la loi ne s’applique pas? Pourquoi cette mansuétude? Pour récompenser quel service rendu? Rendu à qui? À la communauté nationale ou seulement à Ennahdha dont les salafistes sont le bras armé? Et, pour finir, pourquoi cette nouvelle poussée de fièvre salafiste et pourquoi en ce moment précis?»

Du rêve de révolution au cauchemar quotidien

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Un militant des droits de l'homme agressé par des extrémistes religieux à Bizerte.

Il ne faudrait pas s’attendre à voir le porte-parole du ministère de l’Intérieur répondre à ces questions. Il a, tout bonnement, justifié l’absence des forces de l’ordre devant  la Maison de la Culture de Bizerte par «une erreur d’appréciation» ! Et cela après les événements qui, les deux jours précédents, eurent pour cadre Menzel-Bourguiba et Kairouan! Les victimes couturées suite aux violences salafistes à Bizerte apprécieront sans doute cette belle argumentation! C’est ce qui s’appelle se moquer du monde et faire injure à l’intelligence des Tunisiens! Voilà le respect que nos gouvernants nous manifestent! Et dire que, dans un moment de grande euphorie, nous avons cru avoir réalisé une véritable révolution et avons alors rêvé d’une Tunisie moderne, ouverte, tolérante, égalitaire et démocratique! Les salafistes n’ont pas tardé, cependant, à substituer à notre rêve d’une révolution réussie un cauchemar quotidien!

L’heure de la contre-offensive afin de stopper le rouleau compresseur intégriste et rétrograde n’a-t-elle pas déjà sonné? À défaut d’une action vigoureuse de l’État encouragé par la société civile, la déferlante fascisante s’imposera bientôt dans les espaces publics avant de s’immiscer dans nos affaires personnelles, régenter notre mode de vie et transformer nos us et coutumes séculaires…

* Universitaire.

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