Une lecture attentionnée des événements des trois derniers mois permet de comprendre, autant que possible, les stratégies nahdhaouies pour la prochaine étape.
Par Hatem Mliki
Ceux qui croient fermement que l’équipe du tandem Ghannouchi-Jebali est incompétente se trompent largement et se limitent à une demi-vérité. Sa compétence ne doit pas être recherchée du côté de la gestion des affaires publiques et de l’amélioration des conditions de vie des citoyens qui ne représentent, visiblement, pas son principal souci, mais plutôt du côté de ce qui a toujours constitué l’âme et l’essence même d’Ennahdha: le pouvoir et rien que le pouvoir.
Le parti islamiste est parfaitement conscient que les prochaines élections, si elles sont tenues dans les conditions actuelles, il risque de perdre sa majorité et se trouver ainsi éjecté du pouvoir. De même qu’il est profondément convaincu qu’une défaite électorale démocratique est synonyme de fin pure et simple de toute ambition politique pour la génération actuelle qui le compose. En somme, le corps nahdhaoui (dirigeants, membres actifs, simples adhérents et alliés extrémistes) doit être mobilisé pour un combat de vie ou de mort dont le chef spirituel du mouvement commence à dévoiler les contours timidement.
Le raisonnement du guide repose apparemment sur une approche «simple, sage, pleine de bon sens et substantiellement différente de celle de ses opposants». En effet, et alors que ces derniers continuent à agir sur la base d’une analyse minutieuse des résultats des élections du 23 octobre 2011, tout en supposant que les conditions de transparence et de liberté qui l’ont accompagnées seront maintenues, cheikh Rached emprunte une voie complètement différente rendant toutes les démarches de l’opposition obsolètes le jour où les dates des prochaines élections seront décidées (certainement par lui).
Au plus profond de la pensée du guide, que les récents événements dévoilent, son vrai ennemi n’est ni la gauche qui se restructure, ni Nida Tounes de Béji Caïd Essebsi qui gagne du terrain, ni l’Ugtt comme force syndicale incontournable… Le vrai ennemi pour lui est tout simplement la démocratie du moment qu’elle est la seule à pouvoir décider d’attribuer le pouvoir à un parti autre que le sien (à moins, bien évidemment, d’une nouvelle révolution ou un coup d’Etat).
Le combat d’Ennahdha contre la démocratie repose sur trois principaux axes :
Premièrement : fusionner le parti et l’Etat
Il ne s’agit pas seulement de multiplier les nominations partisanes mais aussi d’utiliser les instruments de l’Etat (police, justice, fisc, agents publics, espaces publics, médias, argent…) à des fins politiques (attaquer ses adversaires politiques et favoriser les membres de son parti).
Le bénéfice le plus important que le parti islamiste pourra tirer de cette pratique est de violer le fondement même de la démocratie selon lequel l’Etat est au service du peuple en recréant le sentiment, déjà répandu sous Zaba, que pour réussir en Tunisie il faut être proche du régime nahdhaoui. Ennahdha sera ainsi, tout comme le Psd et le Rcd, l’autorité qui distribue les privilèges et impose les sanctions et il suffira de laisser faire la nature pour que bon nombre de gens, poussés par la misère ou animés par la richesse à tout prix, feront la chaine pour témoigner de leur obéissance aux nouveaux maitres de la Tunisie.
Deuxièmement: opposer les menaces aux espoirs
Dans une atmosphère de sécurité, d’assurance et de prospérité, les Tunisiens risquent d’être très exigeants, regardants sur la gestion des affaires publiques et moins tolérants quant aux dépassements éventuels ce qui n’arrangera certainement pas les affaires d’Ennahdha.
Le moyen le plus efficace pour désorienter la population est de la maintenir constamment sous pression à travers des propos menaçant leur mode de vie et des actes de violence à l’encontre des opposants et de la population entière de manière générale. Ces agressions, verbales et physiques, doivent être accompagnées de l’impunité totale de ses auteurs pour produire l’effet escompté : aspirer à garder le peu qu’on a au lieu de réclamer autre chose!!
Troisièmement: s’en prendre aux leaders d’opinion
On pourra comprendre facilement le désaveu nahdhaoui de tous ceux qui l’ont lâché, a tort ou a raison, sous Zaba. Seulement il est inadmissible de voir le parti islamiste s’attaquer même à ceux qui l’on défendu pendant les 23 années de totalitarisme de Ben Ali.
La campagne contre les leaders d’opinion opposés à Ennahdha est aujourd’hui à sa deuxième étape. La première, marquée par le recours aux discussions et au débat, a été clôturée le 23 octobre 2011 pour inaugurer une nouvelle étape caractérisée par l’agression et la menace et qui pourra évoluer dans les prochains mois pour atteindre d’autres dimensions (il est à craindre que des agressions très violentes voire des assassinats contre des opposants farouches d’Ennahdha soient commis dans les mois à venir ou des procès montés de toutes pièces seraient probablement engagés aussi).
* Consultant en développement.
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