De grâce, Cheikh Rached Ghannouchi, rendez-nous notre révolution et occupez-vous de «vos enfants» salafistes qui sèment la pagaille et la terreur dans notre pays!
Par Moncef Dhambri*
La révolution du 14 janvier a-t-elle eu lieu pour que certains Tunisiens prennent d’assaut la rue, quasiment toutes les semaines après la prière du vendredi, brandissent le drapeau noir de leur jihad, règlent des comptes qui n’ont pas été soldés, menacent ceux qui n’ont pas appris leurs leçons et sèment la terreur?
La réponse est bien évidemment «non».
La Tunisie a-t-elle mis Ben Ali et les Trabelsi hors d’état de nuire pour que les forces de l’ordre tunisiennes se trouvent dans l’obligation de tirer sur des Tunisiens et tuer?
La réponse est bien évidemment «non».
La révolution a-t-elle été faite pour permettre à Rached Ghannouchi de venir, au journal de 20 heures de la Wataniya 1, nous livrer à chaud son interprétation de l’évènement du jour, l’attaque de l’ambassade des Etats-Unis à Tunis?
La réponse est bien évidemment «non».
Assistons-nous au dérapage le plus dangereux de notre révolution, depuis des mois?
La réponse, cette fois-ci, est malheureusement «oui».
Résumons, à notre manière, le séisme d’hier: une basse œuvre cinématographique dont l’origine reste encore à déterminer a porté atteinte à notre religion. Il y en a eu d’autres dans le passé et il y en aura encore à l’avenir. Des extraits du film incriminé circulaient depuis des semaines sur le web. Le feu s’est embrasé, à une ou deux journées du 11 septembre, pour que la surenchère sur la défense de l’islam atteigne des sommets vertigineux: un ambassadeur américain et trois de ses associés sont assassinés en Libye, des ambassades occidentales saccagées, des morts dans les rangs des manifestants, les autres pertes et fracas, et les suites à craindre encore…
Tout cela, était-il nécessaire?
Pouvions-nous empêcher des extrémistes occidentaux de penser ce qu’ils pensent et de le dire? Devrions-nous à chaque fois que le pasteur américain Terry Jones ouvre la bouche ou que le journal danois Jyllands-Posten publie des caricatures offensantes prendre d’assaut des ambassades occidentales? Irons-nous à chaque fois chercher l’explication de ces insultes de bas étage dans des théories fumeuses de complots et de choc des civilisations? Ou tout simplement nous suffire de la réaction digne et saine qui dénonce les agissements de ces pitoyables énergumènes en quête de scoops et de publicité gratuite?
Malheureusement, dans cette humeur, il me semble que je soumets plus de questions que je n’apporte de réponses. Le délire auquel nous assistons aujourd’hui est si grand qu’il faudra trouver la distance nécessaire et plus de recul pour y voir plus clair. Les risques existent que ce qui a commencé sur Les Berges du Lac ne s’étende ailleurs et que tout finisse par nous échapper…
Contentons-nous pour l’instant de compter nos morts, de ramasser caillasses, gravats et barres de fer, et d’espérer que tout cela cesse.
Ayons également la présence d’esprit de ne pas glisser, comme notre ami Youssef Seddik, sur la pente savonneuse du règlement de comptes avec le muezzin du Bardo qui, selon notre philosophe, aurait la voix trop élevée et dérange son sommeil…
Ayons aussi la décence, lorsque la «détestable» Wataniya 1 nous ouvre ses micros, comme elle l’a fait hier au cheikh Rached Ghannouchi, de ne pas saisir cette occasion de lancer la campagne électorale d’Ennahdha. Les termes exacts du doctoral Ghannouchi m’échappent, mais j’ai retenu la «cerise sur le gâteau» de son intervention, devant le présentateur du journal qui n’en croyait pas ses oreilles. Le magistral cheikh, alors qu’à travers le monde toutes les unes de journaux titraient sur les évènements des Berges du Lac de Tunis et diffusaient en boucle les images de la folie furieuse des salafistes, s’est transformé en économiste pour parler de la reprise de la croissance économique en Tunisie sous le gouvernement Jebali, chiffre à l’appui…
De grâce, Sidi Cheikh, continuez à écrire vos livres et à développer votre théologie loin de la politique et de notre transition démocratique. De grâce, Sidi El Haj, rendez-nous notre révolution et occupez-vous de «vos enfants» salafistes qui sèment la pagaille et la terreur dans notre pays.
* Journaliste et universitaire.