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Les Tunisiens doivent chercher (ou inventer?) un modèle de développement qui préserve l’environnement, répond aux besoins des générations actuelles, sans nuire à ceux des générations futures.

Par Mohsen Kalboussi*

En Tunisie, les questions d’environnement ont toujours été marginales. Rares sont les articles parus après la chute du dernier dictateur et qui discutent des problèmes d’environnement. Ces derniers sont, en effet, souvent liés à des problèmes sociaux (pollution, déchets ménagers…), et les discussions ne vont pas dans le sens de la recherche de nouvelles pistes pour la résolution des problèmes posés ou à la réflexion sur les modèles de développement à adopter par notre société suite au constat d’échec des politiques néo-libérales de développement social et économique adoptés par l’ancien parti-Etat.

Une prise de conscience tardive

En Tunisie, les questions d’environnement n’ont vraiment commencé à être posées à grande échelle qu’après la tenue de le Conférence des Nations Unies sur l’environnement et le développement, tenue à Rio de Janeiro en 1992 et suite à la création du ministère de l’Environnement.

Les Conventions ratifiées par la Tunisie, notamment celles relatives à la biodiversité, à la désertification et aux changements climatiques, ont poussé l’Etat à adopter un certain nombre de programmes afin d’inverser les processus de dégradation de nos ressources naturelles et mieux les préserver.

Des efforts ont été déployés en matière d’assainissement des eaux usées, par la construction de stations de traitement, surtout dans les grandes villes et le long du littoral, afin de réduire la pollution des eaux marines.

Des aires protégées ont également été créées, afin de préserver des écosystèmes particuliers pour les générations futures.

Pour ce qui est des déchets solides, des décharges «contrôlées» ont été mises en place surtout au cours de la dernière décennie, mais le problème de leur gestion demeure entièrement posé, d’autant plus que des solutions appropriées n’ont pas été apportées aux problèmes des déchets des petites délégations et des zones rurales où des agglomérations ont été créées. Une des facettes de cette pollution diffuse des déchets ménagers est la «damnation du plastique» qui défigure tous nos paysages (plages, bords des routes, milieu naturel, terrains agricoles…).

De nombreuses questions sans réponse

Le diagnostic de l’ensemble des problèmes d’environnement en Tunisie est difficile, simplement parce qu’ils sont multifactoriels et résultent de l’interaction de nombreux acteurs.

En plus de cela, certains des problèmes n’ont pas été abordés depuis bien longtemps, et le temps n’agit que dans le sens de leur complication et la difficulté de leur trouver des solutions optimales.

Prenons le cas des pesticides utilisés pendant les campagnes de lutte anti-acridienne. Certains de ces produits sont universellement bannis, tel que l’acide carbonique (Hch), qui a pourtant été utilisé en Tunisie. A la fin de ces campagnes, des tonnes de ce produit sont restées dans le milieu naturel, sans surveillance et sans le moindre souci de l’administration de les traiter ou de les stocker dans des milieux propices à les contenir, en attendant de trouver une solution finale pour les détruire.

C’est également le cas de certaines espèces envahissantes (tel que cette plante vivace originaire d’Amérique du Nord, Solanum eleagnifolium). Les autorités du ministère de l’Agriculture, les premières à être alertées par sa présence dans la région de Kairouan n’ont pas adopté de solution pour confiner sa présence dans des limites tolérables. Il en est résulté une expansion inquiétante de l’aire de répartition de cette espèce contre laquelle des moyens de lutte appropriés n’ont pas encore été mis en place.

Nombreuses questions restent sans réponse en Tunisie: quelles sont les maladies liées à l’environnement? Quels sont les produits cancérigènes fréquents dans notre environnement et qui seraient à l’origine de la recrudescence des différentes formes de cancers qui touchent de plus en plus de citoyens et dans différents types de milieux (urbain, rural, riches comme pauvres)? Quelles sont les mesures prises quant au contrôle de l’utilisation des produits phytosanitaires en agriculture? Est-ce qu’il y a des produits circulant en Tunisie et potentiellement dangereux pour l’environnement, la santé animale et humaine? Est-ce qu’il y a des zones encore préservées de toute utilisation de produits chimiques en agriculture? Quelles sont les mesures – pratiques et concrètes – prises contre l’introduction de semences étrangères ou de plantes exotiques en Tunisie?

La série de questions peut s’allonger sans fin, mais il est impératif de faire face à la complexité des problèmes et leur proposer des solutions adéquates, surtout que partout dans le monde et même dans des pays à situation semblable à la Tunisie, des solutions ingénieuses ont été apportées à de nombreux problèmes (l’exemple du mouvement Green belt au Kenya, des expériences innovantes en matière de conservation des semences de variétés locales, par des communautés locales en Amérique Latine et en Asie, le recyclage des métaux en Afrique subsaharienne…).

Des solutions innovantes existent

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Îles Kerkennah, le plastique pollue la nature.

L’institutionnalisation poussée à l’extrême du traitement des problèmes d’environnement a laissé peu d’espace à l’innovation, notamment aux Ong qui, le plus souvent, adoptent des lignes de conduite conformes aux exigences des bailleurs de fonds (Fem1, Ffem2, UE3…). Ces dernières sont désormais appelées à s’approcher davantage des problèmes des citoyens et les accompagner afin de trouver des solutions justes et ingénieuses aux problèmes posés, notamment à l’échelle locale. D’ailleurs, les métiers d’environnement n’ont pas été promus, afin de trouver des débouchés aux jeunes et/ou des suppléments de revenus aux communautés locales, comme par exemple par le développement du tourisme alternatif ou juste. Dans ce cadre, un veto – annoncé ou pas – a bloqué en Tunisie le développement de ce secteur d’activités, car les opérateurs touristiques conventionnels n’ont pas vu d’un bon œil que des visiteurs étrangers passent chez les habitants, évoquant tantôt des problèmes de sécurité, tantôt des questions d’hygiène ! Ce secteur peut, à lui seul, en se développant (chambres d’hôtes chez les particuliers, agritourisme, tourisme écologique, saharien…), assurer un supplément de revenus aux populations locales et générer de nombreuses opportunités d’emploi, notamment aux diplômés du supérieur.

Les moyens de lutte contre toutes les formes de dégradation des ressources naturelles appellent aux aussi à être revus et révisés. Un seul exemple : la réduction du couvert végétal naturel des milieux steppiques et péri-désertiques est liée à une pression de plus en plus accrue du bétail et des techniques culturales (labour en années pluvieuses). De toute évidence, l’élevage extensif pratiqué par la paysannerie ne lui a pas permis d’améliorer ses revenus et a conduit à la dégradation des terrains de parcours. Cette pratique agricole a nui aussi bien au milieu naturel qu’aux éleveurs eux-mêmes! Revoir ces pratiques est un chantier qui devrait chercher à établir un équilibre entre la charge animale et les pratiques agricoles d’une part, et les capacités de renouvellement naturel de la couverture végétale de laquelle dépend le bétail pour sa survie.

La destruction des habitats et la dégradation de leurs qualités, cause majeure de la raréfaction, voire même la disparition des espèces, sont aussi des facteurs contre lesquels des mesures devraient être prises. Il va sans rappeler que les cours d’eau sont fréquemment utilisés comme dépotoirs de déchets d’origine urbaine ou industrielle, ainsi que de nombreux pans de nos forêts naturelles. La réhabilitation des paysages, comme les anciennes carrières, peut constituer un des axes de la promotion des habitats naturels pour de nombreuses espèces.

Par contre, la mise en place d’un programme de contrôle des effectifs des sangliers (après les avoir estimés, chose pas encore faite !) est une mission urgente, de part les dégradations que commet cette espèce aussi bien aux milieux naturels qu’aux terrains agricoles, même dans des régions que cette espèce n’a jamais atteint dans les temps historiques (centre et sud de la Tunisie).

Le contrôle des activités de la chasse et surtout du braconnage est une mission pressante, car ces pratiques, longtemps occultées, sont malheureusement sous-estimées et portent souvent préjudice aux espèces chassées, parfois même pendant leur période de reproduction ou encore de nuit. Ces pratiques affectent les écosystèmes peu productifs, tels que les milieux désertiques.

L’argument le plus souvent tenu par ces gens est que les autorités elles-mêmes violent les lois, justifiant par conséquent leurs pratiques. Dans un Etat de droit où chacun est tenu responsable de ses actes, ces pratiques devraient être fortement sanctionnées, surtout que les espèces objet de prédation sont rares (gazelle dorcas, leptocère, outarde…).

Nos milieux urbains manquent cruellement d’espaces verts, et il est du devoir de nos planificateurs de prévoir la mise en place et le développement de ces espaces, pour que nos cités soient plus saines et moins bétonnées.

L’introduction dans l’enseignement général de cours motivants pouvant provoquer un changement d’attitude positif des générations futures envers leur environnement, est une des mesures à prendre, surtout lorsqu’on voit que nos concitoyens traitent l’espace public comme dépotoir ! Planter des arbres, consommer moins et de manière responsable, économiser l’eau et l’énergie, recourir aux énergies renouvelables etc., sont autant d’attitudes à développer chez nos enfants et jeunes.

Commerce équitable, agriculture durable et autres initiatives citoyennes

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Place de l'Environnement à Gabès, l'une des villes tunisiennes les plus affectées par la pollution.

La dynamique que connaît actuellement la société civile, après la levée des entraves face à la création d’associations va certainement repositionner les problèmes d’environnement au cœur des problèmes que vit notre société. Beaucoup d’expériences encore inédites verront le jour, telles que le commerce équitable, l’agriculture durable et de nombreuses autres initiatives citoyennes, qui sont de nature à rendre notre vie gaie et agréable…

Enfin, nous devons chercher (ou inventer?) un modèle de développement capable de répondre aux besoins des générations actuelles, sans nuire à ceux des générations futures, pour reprendre une formule mondialement connue.

Nous avons beaucoup à travailler pour inverser le cours des processus dégradants et ce n’est que par l’action et la réflexion sur ses propres pratiques que chaque citoyen sera rendu conscient et responsable de ses actes envers son environnement aussi bien social que naturel. Cela prendra le temps qu’il faudra, l’essentiel est de s’y mettre avant qu’il ne soit trop tard!

* Universitaire.

 

Notes :

1- Fonds pour l’environnement mondial (Fem) ou Global Environment Facility (Gef).

2- Fonds français pour l’environnement mondial (Ffem).

3- Union Européenne (UE).

 

 

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