Les médias parlent trop des «harraqas» alors que les Tunisiens ont d’autres préoccupations qu’on passe sous silence. Y en a vraiment marre des «harraqas»!
Par Karim Ben Slimane*
L’heure est grave en Tunisie et je n’ai pas l’humeur taquine aujourd’hui. L’actualité me gonfle jusqu’au dégoût autant le dire tout de suite j’en ai ras-le-bol des «harraqas».
Malgré la brise de la révolution et le départ de Ben Ali et de son système mafieux du moins sur le papier, les jeunes par qui le coup de grâce du 14 janvier est arrivé continuent de «brûler» (du dialectal «yahreq», émigrer clandestinement, Ndlr).
Il y a plus urgent
Sur la liste des noms publiée par les autorités italiennes, on retrouve des jeunes à la fleur de l’âge, et parmi eux des mineurs de 16 et de 17 ans. Des femmes et des enfants ont été du voyage dans l’embarcation de fortune qui a pris le large du rêve européen contre vents et marées, mais eux ils ont eu moins de chance, la sirène de Lampedusa les a dévorés.
Je trouve que les médias parlent trop des «harraqas» alors que les Tunisiens ont d’autres préoccupations qu’on passe sous silence. Tenez, pas plus tard qu’hier j’ai dû faire le tour de six magasins avant de trouver de la Celtia en bouteille, car comme tous les inconditionnels de notre bière nationale, je rechigne à boire la Celtia en canette. Il paraît que la Celtia en bouteille part exclusivement aux bars et aux hôtels ce qui me scandalise encore davantage.
Revenons à ces «harraqas» dont les images passées à la télévision me rappellent étrangement celles des enfants africains au ventre gonflé qui émeuvent au départ et finissent par ennuyer à la longue car ils sont toujours là. Je n’ai jamais connu d’Africains au ventre gonflé et les seuls Africains que je connais sont des Congolais qui s’habillent chez Armani. Je ne connais pas de «harraqas» non plus car dans mon entourage on fait la queue devant l’ambassade de France et on traverse la Méditerranée vautrés dans un siège d’avion un verre de whisky à la main.
Cessons alors d’en parler…
«El-harqa» s’est désormais installée en Tunisie au même titre que la famine dans la Corne de l’Afrique. Il y a une seule solution pour en finir avec «el- harqa» c’est de ne plus en parler. Car si les médias, comme pour les enfants africains à la bidoche disproportionnée, ne parlent plus des «harraqas», on arriverait à croire que le phénomène n’existe plus et que dans la Tunisie d’Ennahdha on ne brûle plus. Comme ça je garderai l’énergie de mon indignation pour des choses qui me préoccupent davantage comme la pénurie de la Celtia en bouteille ou les nouvelles procédures d’obtention du visa pour la France de plus en plus contraignantes.
*Spectateur engagé dans la vie politique tunisienne.