Le projet transformation de la société en une forme quelconque de république religieuse n’est bien évidemment pas du goût de tout le monde. Loin s’en faut y compris dans les couches, historiquement les plus conservatrices. Le projet transformation de la société en une forme quelconque de république religieuse n’est bien évidemment pas du goût de tout le monde. Loin s’en faut y compris dans les couches, historiquement les plus conservatrices.

Par Hédi Sraieb*

A voir monter les mécontentements, on mesure l’ampleur du décalage entre les attentes et les perceptions de la population.

Les oppositions dispersées, éparpillées dans un foisonnement de petits partis, semblent l’avoir compris et saisi l’importance du «moment». Nécessité faisant loi, rapprochements et regroupements s’accélèrent, même si les hésitations sont encore loin de s’être estompées.

Les élans de conciliation et de jonction

La mouvance démocratique et citoyenne va probablement restituer, sous des formes renouvelées, des clivages anciens hérités du passé, encore difficile à dépasser.

Elles ont en commun, le corpus des libertés individuelles et publiques, celui de la séparation des pouvoirs, et tout naturellement les droits universels sur fond de tolérance s’agissant des questions sociétales et culturelles: modes et styles de vie, mœurs. Ces valeurs jouent bien évidemment dans le sens de la conciliation et de la jonction. Reste à voir si ces «proximités» viendront à bout des différences, tant celles-ci sont fortes et nombreuses, mais pour bon nombre d’entre elles injustifiées car non prouvées.

Trois courants majeurs semblent vouloir émerger et structurer l’espace des possibles. La mouvance libérale, celle social-démocrate, et enfin celle du radicalisme social.

Ce qui frappe de prime abord et au-delà des rapprochements ponctuels et de circonstance c’est véritablement l’absence de dialogues sur le fond des choses. Depuis fort longtemps, mais aujourd’hui encore l’anathème classificatoire remplace l’analyse fine des questions. Sans être forcément prononcés, les mots, les images, ou courtes phrases reviennent inlassablement comme une litanie en guise de raccourcis explicatifs : tels sont libéraux attachés à leurs privilèges, tels autres sont réformistes et gauche-caviar, d’autres enfin sont extrémistes et jusqu’auboutistes sectaires. Pas de quoi franchement comprendre ni avancer dans la réflexion. L’impression se substitue au jugement fondé.

Si les dirigeants historiques ont bel et bien quelques vieux contentieux à régler, les nouveaux venus post-révolution ne se connaissent pas, mais se regardent en chiens de faïence.

Ce qui frappe tout autant, c’est aussi une profonde méconnaissance largement partagée des réalités économiques et sociales du pays. Chacun semble vouloir reproduire une solution qui, faute de données fines, précises, et possiblement riches d’enseignements, n’a guère de chance d’être convaincante et d’emporter l’adhésion. Ces solutions en quelque sorte préfabriquées continuent d’être pour ce quelles sont réellement: de simples artifices idéologiques.

Personne à ma connaissance n’a eu dans ses exigences de discussions le fait de disposer d’éléments d’analyses concis et de travaux circonstanciés (sociologiques, sectoriels, etc.).

Et pour cause, ils n’en existent pas. La pauvreté de l’information «nécessaire et utile» est une réelle calamité en Tunisie: peu ou rien sur la distribution des richesses si ce n’est celles biaisées des organismes nationaux ou internationaux. Sur les ressources renouvelables, sur les chances à l’école, sur l’accessibilité à la santé… que sais-je encore : rien ou si peu. Autant dire une vraie gageure de parler des besoins.

Les alliances à l’épreuve des divergences

Qu’importe le raisonnement à l’emporte pièce truffé d’idées reçues et de suspicions aprioris tiennent lieu d’arguments quand ce n’est pas de programmes. A croire que la rigueur ne fait pas aussi parti des urgences. Il y a aussi des différends immuables et cristallisés autour des questions de la continuité ou de la rupture, de la réforme gradualiste, ou de la transformation en profondeur de certaines problématiques socioéconomiques comme sociopolitiques. Il y a bien des pommes de discorde rarement évoquées au grand jour. Celle de la nécessité ou pas d’une réforme agraire, de la propriété. Au demeurant, ces divergences peu circonscrites risquent fort de limiter les alliances.

Alors se renouvellent et se redessinent les mêmes faux repères, importés, inadaptés à la situation nationale: centre-droit, centre-gauche, et extrémismes… Franchement pas de quoi identifier en tout clarté les exigences prioritaires et les solutions les mieux adaptées.

Nida Tounès (Appel de la Tunisie) se structure pour l’instant en auberge espagnole, et où pour l’instant se côtoie le meilleur comme le pire, sans axe central, ni projet structurant. Qu’importe, entend-on, il faut se débarrasser du danger, on verra plus tard, sans percevoir qu’ils pourraient ainsi le regretter aussi amèrement. Naïfs parmi les naïfs, sans vision, incapables de prendre date avec l’histoire. Nida Tounès, maniant élégamment étatiste et autoritarisme ne s’écartera de ses inclinaisons naturelles, destouriennes et dirigistes rassurantes. Cette formation en voie de constitution surfe sur la dynamique des déçus et des mécontents au cœur même de cette majorité silencieuse des couches moyennes, couches sur-courtisées.

Le rapprochement Jomhouri - Al-Massar, plus proche du Marais de 1790 (cohabitation temporaire d’intérêts disparates mêlant sensibilités de centre-droit comme de centre-gauche) a toutes les peines du monde à voir le jour. Outre l’obsession présidentialiste de l’un des dirigeants, plusieurs facteurs freinent et retardent cette possible alliance: la non définition d’une ligne politique claire et lisible, repérable, identifiable, sur laquelle se surajoute la non émergence de personnalités charismatiques. Deux ingrédients majeurs qui manquent pour enclencher une dynamique vertueuse. A moins que les bases respectives de ces deux partis historiques ne prennent la mouche et s’en mêlent.

Un front populaire vient aussi de voir le jour. Il réunit nombre d’organisations qui lors de la première élection cherchaient à se compter, et qui, au vu du risque de disparition, ont décidé de fédérer leurs forces. Programme et ligne politique ont l’avantage d’exister, même si de nombreuses zones d’incohérence existent, notamment autour des approches souverainiste et pan-arabique.

Reste à connaître aussi la volonté d’ouverture des dirigeants. Afficheront-ils des préalables précis? Exigeront-ils des conditions politiques à une alliance avec d’autres ou n’envisagent-ils aucune forme de participation ni de soutien à une alternative politique qui viendrait à sortir des urnes? De nombreuses questions demeurent.

Et tout les autres me dira-t-on, les débuts, les embryons de rapprochements qui se font jour au sein de l’assemblée comme à l’extérieur? Une vraie question! Ils n’ont que peu de chances d’exister s’ils ne font pas l’effort d’anticiper. Ibrahim Kassas l’a compris. Il y a fort à parier que d’autres suivront en direction de ces trois pôles d’attraction. Doustourna est un bon indicateur de ce qui va suivre, l’entrée en politique d’organisations pour l’essentiel citoyenne pourraient changer la donne; elles sont encore comme beaucoup dans à une valse hésitation.

Le combat n’en doutez pas va être brutal, agressif, cynique. Rêveurs et âmes sensibles abstenez-vous.

* Docteur d’Etat en économie du développement.

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