Selon Vérité-Action*, l’enjeu économique et social, qui a donné à la révolte populaire un cadre commun de revendications légitimes, continue à peser lourd dans l’évolution de la situation générale en Tunisie.


Entre des appréciations alarmantes et d’autres voulant être plus rassurantes, tout le monde s’accorde sur l’effet perturbateur de cette situation économique précaire sur le vécu quotidien des Tunisiens.
A croire le gouvernement, la Tunisie compte aujourd’hui pas moins de 700.000 chômeurs, dont la majeure partie composée de cadres et de chômeurs de longue durée.

Le scepticisme des investisseurs
Il sied de rappeler que, dans la période qui a suivi le départ du président déchu, beaucoup d’entrepreneurs et de patrons, notamment étrangers, ont trouvé l’occasion propice pour procéder à des fermetures systématiques des unités de production et aux licenciements de masse. Le prétexte sécuritaire, orchestré par les fidèles de l’ancien régime, a servi comme alibi pour justifier cette mise à plat de l’économie.
Avec le coup dur qu’a accusé le tourisme, activité économique toujours aléatoire dans les périodes de turbulence, la situation s’est beaucoup aggravée.
Malgré beaucoup de discours prononcés à ce sujet, le tourisme a du mal à redémarrer normalement. Actuellement, nous assistons à la chute brutale de ce secteur sans que le gouvernement ne puisse lui apporter le soutien escompté.
En effet, ce phénomène traduit un grand scepticisme des investisseurs à l’égard de l’évolution de la situation générale dans le pays.
Dans ces circonstances, la population s’est trouvée confrontée à la notion d’aide internationale comme seule porte de secours au pays. Le choc créé par une telle situation est énorme et ne cesse d’accroître les angoisses au quotidien des gens, d’autant plus que, dans une situation transitionnelle, les aides reçues de l’étranger font planer un énorme doute sur l’impact d’un tel choix sur l’indépendance du pays.
C’est d’ailleurs, un sentiment de crainte qui a accompagné la participation du Premier ministre actuel au G8 en France et la déclaration portant sur d’importants montants débloqués pour aider à la sortie de crise.

Le dilemme de la sécurité
Les Tunisiens vivent la sécurité dans leur pays comme un dilemme consistant à passer du «tout sécuritaire» sous l’ère du président déchu à la démission délibérée des forces de l’ordre dans le but de réaliser des fins financières injustifiées et d’empêcher l’instauration d’une vraie justice transitionnelle qui pourra les amener à répondre de leurs actes odieux sous la dictature de Ben Ali.
Quand l’ancien ministre de l’Intérieur, Farhat Rajhi, a annoncé la dissolution de la police politique et de l’appareil de la sécurité d’Etat, et après qu’il eut mis un certain nombre de responsables à la retraite anticipée, les Tunisiens ont cru que leur révolution a commencé à porter ses fruits.
Toutefois, ces mesures sont restées de l’ordre du maquillage institutionnel qu’autre chose. Preuve en est que ce seul ministre qui a osé quelques décisions «courageuses» s’est vu reprendre vite les clés de son ministère, qui fut confié à Habib Essid, un ancien fonctionnaire du ministère de l’Intérieur.
Aujourd’hui, la machine policière, appuyée par des éléments cagoulés qui interviennent pour disperser les manifestations, est toujours active et continue à procéder selon l’ancien registre (arrestations arbitraires, violences et même, dit-on, torture).
Le droit de manifester est bafoué: les dernières manifestations à l’avenue Bourguiba, début mai, ont été durement réprimées et ont renforcé les craintes du peuple et de la jeunesse quant à la réelle volonté des dirigeants actuels à créer le changement souhaité.
Il est important de rappeler que le retrait de la police et de la garde nationale et  la fuite organisée de détenus et de prisonniers ont créé un état de chaos total et aggravé et fragilisé la situation.
Parallèlement à ce rôle «ordinaire» de la police depuis 1956, celle-ci cherche à  soigner son image et à montrer l’importance de son rôle dans le maintien de l’ordre et la sécurité dans le pays. Ce type de message est régulièrement véhiculé par la télévision et la radio qui ne cessent de les inviter davantage à l’antenne et sur les plateaux.  
Dans ce contexte, il est presque acquis que très peu de bourreaux du passé se sont retirés du paysage sécuritaire.
Beaucoup d’évènements pour le moins orchestrés laissent penser que rien n’a réellement changé au sein du ministère de l’Intérieur, d’autant que le Premier ministre ne cesse de véhiculer l’ancien discours de Bourguiba sur l’autorité de l’Etat qu’il faut asseoir. Les fuites répétées de prisonniers dans l’ensemble du pays, les braquages et autres problèmes sécuritaires semblent utilisés pour justifier la continuité de l’appareil répressif sous couvert de maintien de l’ordre.
A cela viennent s’ajouter plusieurs évènements graves, mais sur lesquels la population a été très peu éclairée par les autorités, et ce au sujet d’attaques terroristes qui étaient sur le point de viser le pays, ce qui a renforcé la crainte alimentant le même discours sécuritaire du passé.

Le rôle trouble des médias
Il est notoirement connu que l’un des piliers fondamentaux d’une transition démocratique naissante est le changement du paysage médiatique vers plus d’ouverture et de rattachement aux vraies préoccupations des gens.
En Tunisie, le secteur médiatique a souffert depuis des décennies du cadrage policier, du manque de créativité et de professionnalisme, et enfin de l’aliénation au pouvoir en place.
Malgré les changements apparents, cette situation a perduré après la révolution car ce secteur n’a pas pu être encore restructuré. Des journalistes habitués pendant longtemps à la censure et l’autocensure ne peuvent pas s’adapter à la nouvelle ère sans mise à niveau de tout le monde médiatique.
Le code de la presse n’a jamais été à la hauteur des attentes. Utilisée par l’ancien régime comme une arme contre la liberté d’expression plus qu’une norme légale qui garantit les droits et les devoirs, cette réglementation a besoin aujourd’hui de révision voire de refonte totale.
La création d’une Instance nationale pour la réforme de l’information et de la communication chargée de trouver des solutions est une étape importante mais, insuffisante. Tant le gouvernement provisoire que les différents comités créés, les établissements publics et privés doivent apprendre à respecter la liberté d’expression et accepter qu’un média tunisien puisse dire la vérité sur tout ce qui concerne le citoyen sans tabou et sans craindre la censure.  
Les chaînes dites privées, et qui ont longtemps servi l’ancien régime, continuent à jouer un jeu trouble avec les mêmes directions connues par leur allégeance aux magnats du clan Trabelsi, du nom de la famille de l’épouse du président déchu.
La réforme juridique n’est pas la seule solution à ce secteur. La rénovation des infrastructures mise en place, des cursus universitaires et de l’esprit de la formation continue, des méthodes de travail et de l’encadrement rédactionnel: toutes ces actions s’imposent pour offrir à la révolution tunisienne le paysage médiatique qu’elle mérite.
Le droit à l’information tant revendiqué au temps de l’ancien régime devrait être respecté par tous les médias officiels et officieux. Les dossiers relatifs à la corruption, la torture, les abus de pouvoir et d’autorité, les snipers, les violences contre la population, etc., tous devraient être traités avec une grande transparence.
A part les organes d’information relevant strictement des partis, les médias et notamment publiques, doivent apprendre à traiter l’information de manière impartiale et professionnelle et à éduquer les citoyens à la démocratie et au respect des divergences.

Demain: Rendre le pouvoir au peuple et non changer de façade (3/3)

* Vérité-Action est une Ong fondée en 1997, basée dans le canton de Fribourg en Suisse. Régie par le code civil suisse, elle œuvre pour la liberté d’expression et d’association en Tunisie, la libération de tous les prisonniers politiques et d’opinion et la promulgation d’une loi d’amnistie générale, l’indépendance de la justice et de la magistrature et le respect du rôle de la défense, le respect des droits de l’Homme et de la dignité humaine et la cessation des pratiques de torture, de harcèlement et de persécutions dont sont victimes les défenseurs des droits de l’Homme et les prisonniers politiques ainsi que leurs proches.

Email: Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.

* Les titre et intertitres sont de la rédaction.

Lire aussi:
Tunisie. Bilan d’une transition démocratique lente et incertaine (1/3)