Mohamed Chawki Abid écrit – La «feuille de route» de l’Assemblée nationale constituante et le Plan Jasmin présenté par le ministre des Finances posent plus de problèmes qu’ils n'en résolvent.
J’ai comme l’impression que les 11 partis signataires du papier du Dr Yadh Ben Achour se sont fait doublement avoir :
- feuille de route à plusieurs phases sans limitation chronologique pour chacune d’elles : élection du président de l’Assemblée nationale constituante (Anc), élection du chef de l’Etat, désignation du gouvernement ;
- souscription aux grandes lignes du Plan Jasmin remis au G8 le 28 mai à Deauville, et confirmé le 10 septembre à Marseille.
La feuille de route
Concernent le premier problème, je me permets de rappeler tout d’abord les principaux points de la Déclaration du processus de transition post-23 octobre :
1) les élections pour l’Anc doivent absolument avoir lieu à la date prévue, le 23 octobre 2011 ;
2) le mandat de l’Anc ne doit pas dépasser une année ;
3) le président de la République par intérim et le Premier ministre de transition exerceront leurs fonctions le temps pour l’Assemblée constituante d’élire le président de la République et la formation du nouveau gouvernement (le gouvernement provisoire de Béji Caïd Essebsi continuera à assurer la gestion des affaires courantes jusqu’à la formation du gouvernement) ;
4) la passation des pouvoirs doit se faire dans les meilleures conditions, à savoir :
a) A l’issue des élections, le président de la République par intérim appelle l’Assemblée nationale constituante à tenir sa 1ère réunion ;
b) l’Anc élit son président et forme une commission pour rédiger son règlement intérieur ;
c) l’Anc définit l’organisation des pouvoirs publics et élit le chef de l’Etat ;
d) le nouveau président de la République charge une personnalité de former le nouveau gouvernement après consultation des différents groupes de l’Anc ;
e) le Premier Ministre pressenti présente son gouvernement et son programme à l’Anc pour approbation ;
f) entrée en fonction de l’Anc, du nouveau président de la République et du gouvernement jusqu’à ce qu’ils soient remplacés définitivement par des autorités stables conformément à la nouvelle constitution approuvée par l’Anc.
Un calcul sommaire et raisonnable des délais des 6 différentes phases nous laisse supposer que le nouveau gouvernement transitoire et légitime risque d’entrer en fonction en début 2012, voire même vers mars-avril 2012 si l’on n’arrive pas à recueillir le consensus entre les différentes futures coalitions. En d’autres termes, le gouvernement «provisoire» de BCE risque de continuer à gouverner pendant au moins 6 mois, et serait probablement reconduit pour 6 mois faute de timing.
Le Plan Jasmin
Le second problème réside dans l’avancement accéléré de la composante financement extérieur du Plan Jasmin, alors qu’il n’a pas fait l’objet de débat, ni de discussion, voire même d’aucune communication sur ses principales composantes.
En effet, vous n'êtes pas sans ignorer -du moins, si, vous l'ignorez-, que le document remis au G8 le 28 mai, qui n'a jamais été discuté en Tunisie, renferme des passages étonnants. Il est clairement dit dans ce support : […la Tunisie demande que soit donné un mandat à la Banque Mondiale et au Fmi pour étudier le reste du programme avec les différents bailleurs de fonds multilatéraux et pour mobiliser et actionner des aides bilatérales dans le cadre d’un groupe de travail présidé par la Tunisie, l’objectif étant de proposer une «feuille de route» au prochain G20, qui se tiendrait en juillet…]
Ne serions-nous pas en train de demander «une pure renonciation à la souveraineté nationale», similaire à celle de 1881 ?
Le pire c’est que les soi-disant «grands partis démocrates» continuent – par leur silence incompréhensible – à appuyer ce plan, et à soutenir la reconduction du «Gouvernement de la Honte» après le 23 octobre (par leur signature de la feuille de route concoctée officiellement par Yadh Ben Achour) pour qu’il le mette en exécution. J’espère me tromper.
Je considère que c’est honteux de voir un gouvernement provisoire mijoter des dossiers traitant de l’avenir de la Tunisie, sans consultation nationale, voire même sans communication officielle à temps.
Je n’ai pas bien apprécié le traitement «cachotier» du dossier, alors que les experts et universitaires sont à nos côtés pour les mettre à contribution, et que les partis politiques fignolent leurs programmes politiques mais aussi socioéconomiques. J’aurais bien voulu que ce Plan Jasmin puisse être déroulé auprès de nos experts-universitaires, avant sa présentation au G8, rien que par souci de concertation constructive et de perfectionnement stratégique.
Je regrette amèrement qu’un tel document, daté de mai 2011, n’ait pas fait l’objet d’un débat national en associant les partis politiques, qui hériteront de ce dossier après le 23 octobre. Un brainstorming national n’aurait pas fait de mal à notre gouvernement provisoire ; bien au contraire, il aurait été bénéfique pour le pays, et aurait fédéré les forces vives du pays sur un projet national d’une importance capitale.
Dans un pays qui aspire à évoluer vers la démocratie, une communication officielle à temps ne serait pas préjudiciable, alors que le document a circulé un peu partout en France depuis juin sans que nos économistes ou banquiers en prennent connaissance.
Honnêtement, et après avoir été invité à la Journée de la Finance, lundi 19 courant au siège de l’Utica, je m’attendais à ce que le ministre des Finances puisse décomposer et présenter le Plan Jasmin à ses invités (experts, économistes, hommes d’affaires, banquiers, Sicaristes...), pour leur donner une idée sur son articulation autour des projets d’infrastructures, des projets de production pour le marché domestique, et de production pour l’exportation. Mais, nous n’avons eu malheureusement droit qu’à son discours récurrent : Fonds Générationnel + Caisse de Dépôt et de Consignation + Microcrédit ; et c’est tout !
Nous comptons beaucoup sur les futurs élus de l’Anc pour confirmer sa légitimité et réclamer sa souveraineté dès son 1er jour d’exercice, et ce, en vue de parvenir à revoir le papier signé par les 11 partis, voire même l’abolir s’il s’avère nécessaire.
Un gouvernement légitime devrait, à mon sens, être érigé dès la 1ère semaine, pour :
- revoir la feuille de route et lui apporter les corrections requises, par souci d’accélération du processus de remplacement du gouvernement provisoire par un gouvernement transitoire ;
- examiner de toute urgence le dossier du Plan Jasmin de Jalloul Ayed, pour mettre un terme au risque de «renonciation implicite à notre souveraineté» en faveur du groupe Fmi/BM.
Que faut-il faire maintenant ? Devrions-nous garder le silence à l’instar des 11 partis et des médias ? Devrions-nous discuter avec les partis révolutionnaires (taxés de populistes) : Cpr, Ptt, Poct… ?
J’aurais besoin de votre avis.
A suivre