Faïk Henablia* écrit – Malgré un taux de participation électorale décevant, les modernistes ont obtenu 60% des sièges de la Constituante et on sait d’ores et déjà que la prochaine Constitution ne sera pas basée sur la charia.
En aurait-il été ainsi si Ennahdha avait obtenu 60% des voix au lieu de 40% ? Rien n'est moins sûr ! Si ce parti semble mettre de l’eau dans son vin, n’est-ce pas en raison du caractère relatif de sa «victoire» ?
Le vrai poids des islamistes
Sans vouloir minimiser la réalité du succès de ce parti, il faut néanmoins en tempérer la signification par les constatations suivantes :
1. La majorité des Tunisiens s’est bel et bien désintéressée du scrutin du 23 octobre dernier, et si vainqueur il y a, cela a été le parti des abstentionnistes avec plus de 50% des voix. Qui peut cependant reprocher quoi que ce soit à nos compatriotes, souvent sceptiques et très certainement peu au fait de ce processus.
2. Le vrai poids des islamistes est donc de 40%... de 49%, c’est-à-dire plus proche de 20% du corps électoral.
3. Si certains ont voté pour ce parti par conviction, par réel désir de voir la charia appliquée dans toute sa rigueur, d’autres ont en revanche souvent voté par ignorance de l’existence des autres partis, sans doute insuffisamment présents sur le terrain. D’autres encore ont cru devoir sanctionner ceux qu’ils percevaient, à tort ou à raison, comme une élite éloignée, arrogante et donneuse de leçons. Certains, finalement, n’ont pu faire le tri dans leur esprit entre différents concepts confus de modernisme, de laïcité, d’athéisme, d’anti-religion, les liant vaguement à l’ancien régime et à ses pratiques répressives. Ils ont alors cru faire table rase en votant pour ceux qui, à leurs yeux, symbolisaient la rupture la plus radicale avec ce passé.
Si les causes de ce succès sont donc multiples, une évidence ne s’impose pas moins : à savoir que les Tunisiens n’ont pas donné un blanc seing à ce parti pour faire n’importe quoi.
D’où vient, par conséquent, cette illusion de triomphe entretenue par ce parti, ainsi que par une bonne partie des médias, au point que son chef s’exprime presque au nom de la Tunisie dans ses interviews ?
Simplement de l’extrême fragmentation du camp opposé. Car si 89 sièges appartiennent à Ennahdha, les 128 autres sont disséminés entre plusieurs formations. Ces 89 sièges auraient-ils été disséminés de la même manière entre plusieurs formations islamistes conservatrices, que personne n’aurait parlé de triomphe, alors que le poids total de cette sensibilité aurait été le même.
Seuls vrais vainqueurs : la Tunisie et la démocratie
Mais là aussi quelques réflexions s’imposent.
1. Le fait est que nul ne pourra gouverner seul et qu’une coalition s’avérera toujours nécessaire. Ennahdha, tout «vainqueur» qu’il est, ne peut, à lui seul, former qu’un gouvernement minoritaire.
2. Il y a, en outre, parmi les 128 sièges restants un nombre suffisant pour former une coalition de gouvernement majoritaire pouvant se passer du soutien d’Ennahdha, à condition, bien sûr, que ces dames et ces messieurs veuillent bien s’entendre. Les différences idéologiques semblent, a priori, moins importantes entre eux qu’avec Ennahdha, parti réactionnaire s’il en est.
3. Certains partis s’acharnent à participer coûte-que-coûte au gouvernement, quittes à servir de monnaie d’appoint et oublient ainsi que la rédaction d’une constitution était et demeure toujours l’enjeu principal de cette élection. Peut-être trouvent-ils cette tâche indigne d’eux, ou pas suffisamment glorieuse ou exaltante. Ne serait-il pas plus judicieux, à ce stade, de se concentrer sur la rédaction de la constitution qui nous régira pour les années, voire les siècles à venir ?
4. L’intérêt national n’implique pas nécessairement de participer au gouvernement. Un soutien tacite ou une opposition constructive peuvent suffire.
Le plein exercice du droit d’opposition fait d’ailleurs partie intégrante de la démocratie et participe, à ce titre, à l’intérêt national.
Finalement, la grande leçon à retenir de ce scrutin semble être l’humilité. Les seuls vrais vainqueurs ont été la Tunisie et la démocratie.
Démocratie tunisienne, quelle belle formule ! Protégeons-là tous, à notre niveau, en résistant à l’intolérance et en n’hésitant pas à s’opposer aux comportements extrémistes que certains, sur le terrain, semblent vouloir imposer, forts de leur «victoire».
* Gérant de portefeuille associé.