Farouk Ben Ammar* écrit -  L’auteur n’a nullement l’intention de faire un cours de sciences politiques, mais quoi de mieux que d’entamer son article par ces deux préceptes: «Le peuple est le seul souverain » et «Vox Populi, Vox Dei».


 

Une simple, non simpliste, lecture des chiffres quasi-officiels des élections du 23 octobre 2011 de l’Assemblée Constituante, donnerait les constats suivants:

- 46 % des électeurs se sont abstenus pour indifférence et/ou par ignorance des enjeux politiques, confortés par le fait que voter est loin d’être un devoir;

- 54 % des électeurs se sont présentés aux bureaux de votes et ont trempé leur index gauche, parfois gauchement, dans une encre indélébile: signe ostentatoire d’avoir exercé son droit citoyen.

En chiffres relatifs, rapportés au nombre effectif d'électeurs :

- 65.3% des électeurs ont voté savamment;

- 34.7% des électeurs ont remis des Bulletins Blancs.

Au demeurant, et en chiffres absolus, rapportés au total du corps des électeurs, les bulletins blancs étant assimilés à des abstentions «actives», nous avons:

- 35.6% des électeurs ont voté et sciemment: partis organisés et médiatiquement solides qui ont réussi à mobiliser et «convaincre» les masses;

- 64.4% des électeurs n’ont pas voté: des indécis, des indifférents, ou des électeurs non convaincus par la compétence des candidats.

L’état d’âme des deux-tiers des Tunisiens

En d’autres termes, 2 Tunisiens sur 3 font fi de la Constituante, l’immédiateté de leurs besoins, leurs priorités et attentes étant ailleurs: travail, sécurité, justice sociale, droit à la santé, etc., ou croyant dur comme fer que leurs voix ne feraient pas la différence !

Il serait injuste de notre part de qualifier ceux et celles qui se sont abstenu(e)s de voter ou qui ont tout bonnement soumis des bulletins blancs, de politiquement incultes ou autres dénomination plutôt fielleuses.

J’ai eu l’opportunité de discourir avec certains «blanc-voteurs» et vous seriez peut-être surpris de la qualité intellectuelle et du patriotisme de ces «abstenant(e)s» : c’est une position politique très révélatrice, qui reflète l’état d’âme des deux-tiers des Tunisiens !

En valeurs absolues, seulement 35.6 % des Tunisiens ont voté, un taux très modique, comparé à ceux des élections européennes et dans d’autres pays en voie de développement et similaires à la Tunisie:

- taux de participation aux élections européennes pour la période 1979-2009 : 43%-62%;

- taux de participation aux élections en France pour la période 1958-201: 70%-84% (présidentielles), 65%-79%  (municipales) et 60%-85% (législatives).

La grille de lecture qui s’applique aux élections de la Constituante, c’est que seulement un modique 35.6% de la masse des électeurs tunisiens a décidé pour la composition de l’assemblée constituante !

Les raisons pourraient être les suivantes :

- une grande majorité des Tunisiens (64,4%) ne savent pas à quoi sert une telle assemblée;

- une indifférence du Tunisien à l’égard de la Constituante;

- un manque de confiance prononcé envers les 10.000 candidats;

- une prolifération, nauséeuse, des partis et des listes indépendantes, qui a fourvoyé l’électeur;

- un sens civique peu développé et une culture politique des rues, résultat patent de cinq décennies de dictature;

- un système éducatif défaillant;

- une conscientisation inefficace et une médiatisation insuffisante.

Conclusion: la Constituante n’est pas expressive de la volonté générale du citoyen tunisien de quelque appartenance qu’il soit.

Le recours au referendum s’imposerait-il?

La lecture de ce qui précède nous amènerait naturellement à opter et introduire, voire dans la Constitution même, le recours au referendum, mais il faut bien le préparer, pour une participation plus conséquente des électeurs afin d’atteindre, pour ainsi dire, un taux de participation de 60% (non blancs).

A contrario, la Tunisie aurait une constitution façonnée pour un maximum de 35% des Tunisiens, pouvant engendrer une grande masse de Tunisiens déboutés et désenchantés (un maximum de 65%)!

Un tableau pessimiste mais très plausible, n’ayant nullement l’intention de jeter le discrédit sur la Constituante.

Vous diriez, peut-être, tant pis pour ceux qui n’ont pas voté, une forme de déni de responsabilité plutôt qu’une position politique. Je dirais, quelles qu’en soient les motivations, une Constitution doit être avalisée par la majorité écrasante des citoyens, à défaut, ceci pourrait constituer le vecteur de l’assise d’une grande polarisation sociopolitique qui ne ferait que plonger le pays dans des débats stériles voire irrévérencieux envers les valeurs de la nouvelle république !

Croyant toujours à une deuxième chance, il faut donner aux abstenant(e)s une dérogation pour se rattraper via referendum !

Logistiquement, un referendum pourrait être organisé électroniquement, les bases de données des électeurs sont bien constituées et presque complètes, et ce n’est pas les informaticiens qui manquent dans le pays!

La voie du referendum, procédure éprouvée et rodée pour les petits États comme le nôtre, est le seul salut de la république, car les authentiques démocraties n’existent pas!

Quelles qu’ont pu être les lois, on ne peut sacrifier la Constitution aux canons d’une majorité qui pourrait s’avérer «minoritaire»!

Mise en place d’un Comité des Sages

Un Comité des Sages pourrait être désigné, et qui chapeaute toutes les commissions, auquel il échoie de résumer les doléances du peuple à l’issue du referendum, et les traiter pour enfin les soumettre à l’assemblée constituante qui ferait les rectifications et/ou modifications exprimées !

Ce Comité des Sages, futur équivalent de la Cour Suprême des USA, ou du Conseil Constitutionnel en France, veillerait, une foi la Constitution adoptée, au respect de celle-ci et jugerait et instituerait sur l’opportunité du recours à des futurs referendums !

Le comité serait constitué de légistes confirmés et connus pour leur sagesse, savoir, abnégation et probité, et qui connaissent le cœur des citoyens et anticipent leurs aspirations.

Le comité pourrait être composé, de représentants de  l’Association des magistrats tunisiens (Amt, fondée en 1946), qui a tant œuvré pour l’indépendance de la Tunisie et de la magistrature, l’Ordre des avocats tunisiens (Oat) et toute autre association de la société civile et en particulier celles actives dans le domaine des droits de l’homme…

Un bon exercice pour les Tunisiens, où l’on devrait soumettre toutes les grandes lois qui les affectent et sont d’une importance nationale, à un referendum, après avis favorable du Comité des Sages! Car, comme le disait Jean Jacques Rousseau: «Si le peuple ratifie toutes les lois, celles-ci ne peuvent être injustes…»

Sans ce faire, la constitution serait tributaire d’alliances politiques parfois incongrues et irrationnelles! Le Tunisien serait victime des jeux macabres d’une minorité d’élu(e)s qui se plairaient à tourner casaque, concoctant des alliances par-ci et par-là, hormis quelques uns drapés dans un idéalisme doctrinaire et qui sont plutôt des hommes et des femmes d’études que de terrain.

Plusieurs organismes et États ont salué les élections tunisiennes par un vibrant satisfecit, quant à l’organisation et le déroulement des scrutins sans incidents  majeurs.

Il est toutefois impératif d’œuvrer, continûment, en vue d’améliorer le taux de participation effective aux élections et referendums ou plébiscites, afin d’accroître les chances de réussite d’une démocratie participative et légitime, en prenant des actions dont voici, ci après, une liste exhaustive:

- mettre en place une politique et concevoir des programmes d’éducation civique pour le grand public, les écoles et les universités ;

- former continuellement les militants des partis politiques ;

- impliquer d’avantage les Ong et les associations civiles dans l’éducation civique et la citoyenneté;

- multiplier les bureaux de votes;

- professionnaliser les directeurs des bureaux de vote;

- concevoir et introduire un livret d’accompagnement du scrutin dans les bureaux de vote;

- rendre le vote obligatoire, sous peine d’amende, pour une certaine tranche d’âge, e.g. 18 - 60 ans, de sorte que seulement un infime nombre d'électeurs s'abstiennent. En France, dont les taux de participation sont à la limite acceptables, le vote n’a jamais été obligatoire, à la différence d'autres pays, comme la Belgique ou l’Australie, qui enregistrent des taux relativement élevés.

Loin d’être prétentieux, puisse Dieu m’en préserver, je conclus par rappeler les nouveaux élus et élues, puisse le tout-puissant les assister dans leur mission, au respect qui est dû au peuple tunisien qui a retrouvé sa dignité, une dignité qui ne serait jamais prise en otage.

* Ph.D.