Rachid Barnat écrit – On prête à Ennahdha, désormais parti au pouvoir, le projet de supprimer un couplet de l’hymne national, jugé non conforme au dogme… islamiste. Les Tunisiens toléreront-ils cette atteinte à leur mémoire collective ?
Je lis avec effroi un article dans ‘‘Le Grand Soir’’ qui présente Moncef Ben Salem comme étant le futur ministre de l’Education nationale en Tunisie et qui nous précise que parmi les projets de ce futur ministre, il y aurait la suppression d’un couplet de notre hymne national, celui qui nous vient d’un poème d’Abou El Kacem Chebbi :
«Lorsque le peuple un jour veut la vie
Le destin se doit de répondre
Aux ténèbres de se dissiper
Aux chaînes de se briser».
Un projet choquant
Si l’information est vraie et si tel est le projet de ce futur ministre, j’espère que tous les Tunisiens se révolteront et s’opposeront fermement à ce projet choquant.
Je rappelle qu’Abou Kacem Chebbi (1909 -1934) est le plus grand poète tunisien et comme l’écrit le Dr Mabrouk Manai, traduit par le Dr Samir Marzouki dans la préface du très beau livre ‘‘Abou El Kacem Chabbi’’ paru aux éditions Nirvana en 2009 : «Il s’agit du plus grand poète de Tunisie et du plus illustre à l’époque contemporaine. Il est également l’un des plus grands poètes arabophones et des plus connus, en particulier dans la première moitié du XXe siècle. Grâce à sa poésie, il a rendu un service insigne à la Tunisie, que ce soit dans la période de lutte pour la libération et l’indépendance ou bien dans la période de mobilisation nationale pour le progrès et le développement. La Tunisie lui en conçut la plus grande reconnaissance, éternisa sa mémoire et répandit son nom dans les quatre horizons.»
L’hymne de la révolution, «Humat Al-Hima», est écrit dans les années 1930 par le poète Mustafa Al Rafi’i et mis en musique par Ahmed Khaireddine.
Deux vers du célèbre poème «La volonté de vivre» d’Abou El Kacem Chabbi ont été intégrés dans notre hymne national, ajoutés à la fin du texte «Lorsqu’un jour le peuple veut vivre... ».
Ces deux vers ont été repris par des manifestants lors des derniers événements non seulement en Tunisie mais aussi en Egypte, au Yémen et ailleurs.
Et ce sont ces deux magnifiques vers d’Abou El Kacem Chebbi, qui collent si parfaitement à la révolution menée par le peuple tunisien et sa jeunesse que l’on voudrait supprimer en faisant une offense grave non seulement à notre poète national mais à tous nos pères qui ont lutté pour l’indépendance du pays et dont certains sont morts en chantant ce couplet !
C’est pour cette raison que ce couplet fait partie de notre mémoire collective et que personne n’a qualité pour y toucher.
La bêtise dogmatique
Monsieur Moncef Ben Salem sera oublié depuis longtemps que l’on dira encore, partout dans le monde, les vers d’Abbou El Kacem Chebbi qui a toujours manifesté un grand amour de sa Tunisie natale comme dans ces vers par exemple et dans beaucoup d’autres :
«O belle Tunisie, dans l’océan,
De la passion de quelle nage j’ai nagé
Avec pour toi ton profond amour dont j’ai
Eprouvé l’amertume et la brûlure.
Plus le temps passera, plus les nuits
Te révéleront la douceur de mon amour sincère et de ma loyauté.»
Vraiment j’invite les lecteurs à aller se replonger dans les poèmes d’Abou El Kacem Chebbi ; et au lieu de supprimer ce couplet de l’hymne national, il faut apprendre, au contraire, à nos enfants les poèmes de cet homme.
En tous cas, j’espère que se lèvera un vent de révolte si le pouvoir, dans sa bêtise dogmatique, s’en prenait à ce poète.
Est-ce ceux-là que les Tunisiens veulent pour les gouverner ? Les ont-ils élus pour réécrire l’Histoire de la Tunisie à leur manière, en réglant leur compte avec d’illustres intellectuels qui ont aidé à la modernisation de la Tunisie ? Est-ce le début de la REECRITURE de notre Histoire commune ?
Les Tunisiens toléreront-ils que l’on touchât à leur mémoire collective ?