En politique aussi, rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme. Cette loi, Ennahdha va l’illustrer en récupérant les orphelins du défunt système du Rcd pour profiter de sa mécanique politique bien huilée.
Par Dr Ahmed Chebbi
Tout scientifique vous dira que rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme. On appelle cela la loi de conservation de l’énergie. Ce concept, qui s’applique à toutes les disciplines scientifiques, pourrait aussi s’appliquer aux sciences sociales et politiques.
En s’immolant un certain 17 décembre 2010, le corps de Mohamed Bouazizi (paix à son âme) n’a pas brûlé pour rien. L’énergie dégagée par son geste a engendré une série d’évènements nationaux ayant permis la décapitation du régime de Zaba.
Calmer les ardeurs des voix dissidentes
Ben Ali a laissé derrière lui tout un système. En se basant sur la loi de conservation de l’énergie, le constat est sans appel : le système Rcd ne pourra jamais se perdre. La dissolution théâtrale du parti sur ordre d’une justice expéditive n’y changera rien, ce système ne se résumant pas à des locaux et à des comptes bancaires. Il n’est pas non plus ce «zombie» bien identifié, utilisé par le nouveau pouvoir pour effrayer et calmer les ardeurs de toute voix dissidente.
Le Rcd est un système impliquant des centaines de milliers de Tunisiens, regroupés autour de noyaux claniques qui ont réussi àvivre (ou survivre) durant ces 23 ans grâce à leur instinct d’adaptation propre aux habitants d’Ifriqia (nom de la Tunisie antique).
Ainsi, l’histoire nous a appris qu’en 3000 ans de conquêtes à répétition, le Tunisien a non seulement toujours su s’adapter aux nouveaux pouvoirs et civilisations qui se sont imposés à lui, mais encore, il a brillamment contribué à leur essor, et a su en tirer profit.
Après l’embrasement du pays le 14 janvier 2011, ces centaines de milliers de «bénéficiaires» se sont retrouvés du jour au lendemain laissés à leur sort. Dans la période immédiate et grâce à leur légendaire instinct de survie et d’adaptation, plusieurs d’entre eux se sont d’abord tournés vers des valeurs «sûres» du Rcdisme, comme ferait un bon trader à l’aube d’un crash boursier, en choisissant la Pétition de Hachmi Hamdi et divers partis destouriens.
Comment récupérer les 51% d’abstentionnistes ?
Toutefois, il serait faux de résumer les Rcdistes à ceux qui ont voté pour ces partis. Un taux de 51% d’abstention pourrait indiquer une certaine frilosité à prendre partie avant qu’un nouveau vainqueur n’ait émergé.
Avec la stabilisation de la marche démocratique et révolutionnaire, il devient évident que cette force «souterraine», qui commence déjà à se faire amadouer par le pouvoir en place, fera sa mutation pour s’adapter au nouvel ordre établi : rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme. Ce n’est pas pour rien que le bon sens populaire tunisien est riche en citations qui illustrent ce comportement, tels que «Edenya maa el wakif» (le roi est mort, vive le roi), «khobziste» (celui qui ne s’intéresse qu’à son pain), etc. Je citerais aussi l’anecdote du vieil homme amené pour applaudir le passage du cortège présidentiel, n’étant pas au courant des derniers changements politiques il cria «Yahya hadhaka » (Vive celui-là).
Dans les faits, en refusant de faire table rase du système déchu, Ennahdha fait preuve d’une lucidité et d’un pragmatisme tout «british», concepts nouveaux dans le jeu politique tunisien, illustré en outre par le maintien annoncé de Habib Essid au ministère de l’Intérieur (dont un des alliés d’Ennahdha a fait de son «dégagement» une promesse électorale). Ennahdha adresse ainsi un message clair et sans détour aux orphelins du défunt système pour les rassurer, ne pas les brusquer, et lentement mais sûrement les mettre au pas.
Le système Rcd est une mécanique bien huilée, il serait dommage de ne pas la récupérer et en faire usage : rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme.
* - Chercheur.