Karim Ben Slimane* écrit – La lutte pour la dignité des peuples arabes cache certainement la forêt touffue d’un autre combat ; le combat contre l’ignorance.


La nouvelle a eu le retentissement d’une bombe dans le ciel cairote. La bibliothèque de l’Institut d’Egypte fondé par Napoléon Bonaparte a été la cible des pires crimes qu’on peut infliger à une civilisation : attenter à son patrimoine spirituel et à son histoire.

Les autodafés ne sont jamais des événements heureux. Pire, ils sont généralement le symptôme prémonitoire d’un déclin moral et intellectuel. Ils sont l’incarnation de la bêtise et de l’ignorance humaine dans toute sa laideur.

L’Egypte, ce grand pays, pouvait sans gêne se targuer d’avoir été le berceau d’une des plus grandes civilisations de l’humanité et d'avoir été le carrefour par lequel les grands événements de l’histoire se sentaient comme obligés d’y faire un détour.

Après la chute de Moubarak, les Egyptiens ont renoué avec l’espoir de vivre dans la dignité. La place Ettahrir n’a pas encore achevé son travail de chasser le système Moubarak et de déloger l’armée du trône qu’elle s’est faite bâtir. Mais ce qui est certain, c’est que la révolution égyptienne, magnifique par l’énergie et l’espoir qui se déversent tous les jours dans la place Ettahrir, s’est enlaidie par l’autodafé de la bibliothèque de l’Institut d’Egypte.

Cet acte barbare rappelle la mise à sac et le pillage dont a été victime le musée de Bagdad. Les trésors de l’histoire de l’Iraq mésopotamien ont été pillés, détruits, saccagés et perdus à jamais. Il en va de même pour une partie de l’histoire égyptienne et de cet épisode clef dans l’histoire de la rencontre entre l’Occident conquérant et vaillant et de l’Orient malade et épuisé vers la fin du 18ème siècle.

En 1872, Hugo s’est ému de voir la bibliothèque des Tuileries brûlée. «C’est un crime par toi-même commis contre toi-même, infâme !», s’écria Hugo en s’adressant à l’auteur de l’incendie. «Je ne sais pas lire» lui répondit-il. La lutte pour la dignité des peuples arabes cache certainement la forêt touffue d’un autre combat ; le combat contre l’ignorance.

Pourrions-nous un jour, tous ensemble, scander «Dégage» à l’ignorance ?

*- Enseignant-chercheur en théories des organisations.