L’économie tunisienne serait en panne et les décideurs peinent à choisir les remèdes pour la sortir de sa léthargie. Une relance volontariste s’impose et il n’y a pas quarante solutions.
Par Rafik Souidi
Tout d’abord, énumérons les options envisageables.
Comme tout le monde le sait, il y a trois agents macro-économiques qui sont l’Etat, les entreprises et les ménages.
L’Etat peut recourir au déficit budgétaire en augmentant les embauches de fonctionnaires ou en accroissant ses investissements en particulier dans les infrastructures.
Les entreprises, en fonction de leurs perspectives de chiffre d’affaires, de l’état de leur stock, des opportunités d’affaires ou tout simplement de la visibilité conjoncturelle peuvent prendre davantage de risques ; ce qui peut se traduire par des embauches ou des investissements, de croissance ou de diversification.
Enfin, les ménages, en fonction de leur pouvoir d’achat et de leur confiance en l’avenir, peuvent consommer davantage et même éventuellement réduire leur épargne.
Une stratégie équilibrée
Nous laisserons de côté la fiscalité qui en Tunisie a un impact relativement secondaire sur le comportement des ménages ou des entreprises par rapport aux pays plus avancés. De même, nous supposerons que la Banque centrale fera ce qu’elle a toujours fait, à savoir accompagner l’économie en «bon père de famille» en fonction de sa marge de manœuvre qui est relativement limitée, compte tenu de l’état primitif des marchés financiers dans notre pays.
Bien entendu, une stratégie économique équilibrée est à rechercher, qui combine un recours au déficit public avec des investissements en infrastructure et des embauches de fonctionnaires, des assurances de transparence et de bonne gouvernance, une prospection tous azimuts pour implanter de nouvelles entreprises en provenance de l’étranger ; bref tout ce que le budget actuel a prévu d’engager mais ce n’est pas à la hauteur de l’enjeu en particulier de l’urgence sociale.
Avec un taux de pauvreté de près de 25% et un taux de chômage approchant 20%, il faut vite renouer avec une forte croissance économique et répondre immédiatement à cette fragilisation sociale explosive. Une raison majeure de cette désespérance sociale est essentiellement due à l’état déplorable des minimas sociaux en Tunisie qui ont été laminés depuis fort longtemps.
Une augmentation significative du Smig
Qui prétendrait le contraire quand on sait que le Smig tunisien est le plus faible des cinq états d’Afrique du Nord et que, par exemple, le smic marocain lui est supérieur de plus de 50% à durée de travail équivalente ? Pourtant la productivité du travailleur tunisien est la plus élevée au Maghreb. La dégradation insoutenable du pouvoir d’achat des bas salaires avec l’envolée des prix des denrées alimentaires, c’est là où le bât blesse car cette situation injuste peut finalement rendre moins attractif le travail pour bon nombre de citoyens.
Il conviendrait donc d’augmenter significativement les minimas sociaux dans le cadre d’une conférence nationale sur les bas salaires. Cela permettrait de traiter l’urgence sociale en partie et donnerait une bouffée d’oxygène à l’économie en relançant immédiatement la consommation locale et amorcerait un nouveau cycle de croissance.
Les entreprises en bénéficieraient, elles aussi, in-fine par l’augmentation de leur chiffre d’affaires et il conviendrait de faciliter leur accès au crédit pour couvrir dans un premier temps l’augmentation de leurs charges salariales. Elles ont suffisamment bénéficié de coûts salariaux bradés pour consentir à faire des efforts dans cette période exceptionnelle.
Cependant, outre l’accompagnement bancaire, il est impératif de lutter implacablement contre l’économie parallèle dont le secteur manufacturier n’a que trop souffert de cette concurrence déloyale : en particulier ces importations sauvages de produits de très basse qualité en provenance d’Extrême-Orient ou pire, des articles dits de «friperie» qui constituent une aberration économique dans un pays dont le secteur le plus stratégique en termes d’emplois et de rentrées de devises est justement le textile.
Convaincre les entreprises du bien-fondé de la démarche est fondamental car ce sont d’elles que devront provenir les relais de croissance ultérieurs par l’investissement et l’embauche.
Rationaliser les dépenses de compensation
Les investissements en infrastructures, les grands projets et la stabilisation de la Libye devraient contribuer également à terme à conforter cette reprise et réduire le chômage. Quant aux charges salariales supplémentaires que l’Etat devrait assumer, une rationalisation des dépenses de la caisse de compensation devrait amplement les amortir, quand on sait que plus de la moitié de ses dépenses bénéficie aux classes non démunies, aux transfrontaliers ou aux touristes...
En conclusion, pour rétablir la paix sociale et relancer rapidement l’économie tunisienne, la solution pourrait bien-être la combinaison d’une augmentation significative du Smig, la lutte sans failles contre l’économie parallèle et l’amorce de la rationalisation de la caisse de compensation. Les gisements de croissance existent et ils sont avant tout locaux.
NB. Après la tenue de cette conférence nationale sur les bas salaires, il conviendrait d’organiser celle de Carthage qui avait été envisagée pour soutenir la révolution tunisienne et négocier un traitement équitable de la dette externe en particulier de sa partie odieuse.