Face à ses propres appréhensions, la France se doit de se rassurer et de réviser sa politique envers ses partenaires de l’autre rive de la Méditerranée afin de ne pas ternir davantage son «image à l’étranger».

Par Dr Moez Ben Khemis


 

«Nous sommes amis de la France»… On nous a souvent réitéré ce syntagme à tel point qu’on a fini par y croire. Alors quand – à la grande stupeur des observateurs – un nouveau chef d’Etat, ou autres journalistes et intellectuels, lancent une critique envers la France, c’est immédiatement mal pris voire même sanctionné.

En réalité, ce dont certaines personnes ont bien du mal à se rappeler, c’est le passé colonial de la France en Afrique et particulièrement en Afrique du nord. L’extension de la souveraineté française a impliqué bien évidemment aussi bien la domination politique que l’exploitation économique du territoire annexé durant ce passé – pourtant pas si lointain – et même des décennies après la décolonisation.


Des relations très amicales

Les motivations de la colonisation

Rappelons juste que cette colonisation avait plusieurs motivations. Principalement économiques : s’emparer des richesses d’un pays et assurer l’approvisionnement en matières premières. Rien qu’en Tunisie le phosphate, le pétrole, le gaz naturel, les produits agricoles de premiers choix tels que les agrumes, le blé dur, les dattes, l’huile d’olive et bien d’autres sont le privilège de la France. Aussi, garantir des débouchés à l’industrie nationale française : le parc automobile tunisien et tout le marché de pièces autos qui en découle – pour ne citer que ça – en témoignent largement.

La France nous a aussi légué un éreintant héritage : la langue française. En Tunisie non seulement l’administration mais aussi les études secondaires et universitaires, jusqu’à la recherche scientifique se font en langue française. Même notre dialecte arabe s’est vu greffé une multitude de mots français sangsues. Alors que nul ne peut nier que la langue des sciences c’est l’anglais.

Nul ne peut aussi ignorer que l’occupation française a apporté pour le peuple tunisien son lot de massacres, de spoliation, et d’asservissement.


Des relations intenses, et très anciennes

L’histoire retiendra en outre que la France avait souvent fermé l’œil s’agissant du régime dictateur de Ben Ali. En attestent les couacs de la gestion française sous Sarkozy de la révolte tunisienne ; ainsi que les propos de la ministre des Affaires étrangères Michèle Alliot Marie proposant aux autorités tunisiennes tyranniques le savoir-faire de la police française pour maintenir l’ordre en Tunisie alors que les martyrs du haut de leurs 20 ans tombaient sous les balles des snipers du traitre dictateur. Cette mauvaise attitude s’est certes soldée par sa démission forcée mais compte tenu de l’ampleur du scandale ce n’était nullement cher payé.

D’autre part, la relation verticale et outrecuidante de la France ne fait que s’éterniser. Alors qu’une politique intelligente d’attractivité universitaire supposerait d’inciter les meilleures étudiants étrangers, en l’occurrence tunisiens, à venir étudier et travailler en France ; c’est exactement le contraire qui se passe.

En effet les étudiants, les jeunes doctorants, ainsi que les jeunes diplômés tunisiens qui se voient refuser un visa d’études en France se font de plus en plus nombreux. Et même pour les plus chanceux qui parviennent à décrocher ce terrible visa, tout est mis en œuvre pour les dissuader de rester en France et rebrousser chemin au plus vite, à commencer par les longues et désagréables procédures administratives.

La diabolisation des Maghrébins

La «circulaire Claude Guéant» (ministre de l’Intérieur) du 31 mai dernier relative à la maîtrise de l’immigration professionnelle n’a fait qu’aggraver la situation. Les jeunes médecins spécialistes aussi se sont trouvés en plein collimateur. Ainsi toutes leurs candidatures pour des stages de perfectionnement en France ont été rejetées.

Comme si ça ne suffisait point, après cette Circulaire, le Gouvernement français vient de créer dans la loi de finances pour 2012 – promulguée le 28 décembre 2011 – une nouvelle taxe sur les étudiants étrangers. Gratuit jusqu’en décembre 2008, le renouvellement d’un titre de séjour étudiant est actuellement soumis à une taxe comprise entre 55 et 70 euros. A partir du 1er janvier, la taxe variera entre 200 et 385 euros. A cela s’ajoute une nouvelle contribution de 110 euros payable dès le dépôt de la demande et non remboursable même en cas de refus.

Cela a bien évidemment fait couler beaucoup d’encre sans succès. La France continue à balancer des discours fallacieux sur une coopération franco-tunisienne prospère et fructueuse depuis le 14 janvier dernier.

Oui, nous sommes amis de la France et du peuple français. Mais ceci ne nous empêche point de critiquer sévèrement la politique française qui, pour des raisons électoralistes dont tout le monde connaît l'envergure, se permet de diaboliser «les non Français» et plus précisément les Magrébins arabes et musulmans.

Depuis notre glorieuse révolution, Français et nous sommes plus que des amis, nous sommes des partenaires et non des moindres messieurs. Penser que nous sommes importants pour la France ce n’est pas «probablement» mais c’est certainement vrai. Face à ses propres appréhensions, la France se doit de se rassurer elle-même et de réviser sa politique envers ses partenaires de l’autre rive méditerranéenne afin de ne pas ternir une «image à l’étranger» déjà écornée. Après tout, la France a tout à gagner, surtout par ces moments de crise économique européenne.