Face aux dernières déclarations de Sadok Chourou, appelant carrément à la violence contre les sit-inneurs, il convient de ne pas se taire, car le silence équivaut à une capitulation devant l’obscurantisme.
Par Hatem Nafti
Pas un jour ne se passe où la majorité gouvernementale et parlementaire ne suscite la polémique. Déclaration sur les mères célibataires, écarts diplomatique du président par intérim, grâce présidentielle du frère du ministre de la Justice condamné pour agression sexuelle sur un mineur, nominations des responsables des médias publics directement par le gouvernement, etc. Faire une énumération exhaustive des cas nécessiterait un article pour ne pas dire une série d’articles. Mais les déclarations, lundi soir, de Sadok Chourou, député constituant d’Ennahdha pour la circonscription de Ben Arous, constituent, pour le moins, un grave précédent et ce à divers égards.
L’étrange passivité de Ben Jaafar
Petit rappel des faits : évoquant, lors de la séance des questions au gouvernement consacrée à la situation générale dans le pays, avec la multiplication des sit-in et leur impact néfaste sur l’économie, M. Chourou a cru devoir expliquer que les sit-in sont le fait de forces contre-révolutionnaires (toujours invisibles et innommables), ennemies du peuples, qui méritent, selon un verset du Coran, «la récompense de ceux qui font la guerre contre Allah et Son messager, et qui s'efforcent de semer la corruption sur la terre, c’est qu’ils soient tués, ou crucifiés, ou que soient coupées leur main et leur jambe opposées, ou qu’ils soient expulsés du pays. Ce sera pour eux l’ignominie ici-bas ; et dans l’au-delà, il y aura pour eux un énorme châtiment, excepté ceux qui se sont repentis avant de tomber en votre pouvoir : sachez qu’alors, Allah est Clément et Miséricordieux.» (Coran sourate 5, Al-Maida, versets 33 et 34).
Suite à ces paroles, un silence assourdissant s’est emparé de la salle, aucune protestation, pas d’applaudissements non plus. Un simple «merci» froid et gêné de Mustapha Ben Jaâfar, président de la Constituante, qui s’est empressé de passer la parole à l’orateur suivant.
Sadok Chourou, jamais sans mon Coran !
Commençons justement par la réaction, ou plutôt la non-réaction de M. Ben Jaâfar qui nous a habitués à commenter certains propos qu’il juge hors sujet, scandaleux ou faux. Il est vrai que c’est plus facile de montrer son désaccord voire sa condescendance quand le député d’en face s’appelle Brahim Gassas que quand il s’agit de ses alliés, même s’il jure d’un autre côté qu’il est entré dans la «troïka» (la coalition tripartite au pouvoir) pour aider à contenir les dérives du parti islamiste. Peut-être n’en est-ce pas une.
Il a donc fallu attendre le lendemain pour que les premières réactions se fassent entendre. L’opposition, par la voix de Mohamed El Hamdi du Parti démocratique progressiste (Pdp, Medenine), a fustigé les propos de M. Chourou, mais trop tard. De son côté, Samir Dilou, porte-parole du Gouvernement, a fait son travail habituel de rectification, exercice auquel s’était adonné, avant lui, Habib Ellouze, autre dirigeant d’Ennahdha, nous servant la même antienne de «propos sortis de leur contexte».
Un appel à la violence
Pourtant les propos étaient limpides, précis, sans équivoques et surtout prémédités. M. Chourou a bien traité les manifestants d’ennemis du peuple, de Dieu et de Son Messager et dit qu’ils méritent les horribles châtiments énoncés. D’ailleurs, interrogé mardi sur Mosaïque FM, il a maintenu sa position et n’en a pas bougé d’un iota. Ses propos sont un signal fort et clair adressés aux «milices» de son parti, un feu vert pour châtier les ennemis désignés.
Ainsi, tous les sit-in sauvages sont l’œuvre de forces obscures complotant contre le Gouvernement, qui, d’après les raccourcis de cheikh Chourou, serait le représentant de Dieu et de Son Prophète.
Bien entendu, il ne faut pas faire d’angélisme. Le droit de grève doit être encadré et s’il viole la loi ou menace la sécurité des gens et de leurs biens, la loi doit s’appliquer, par la force s’il le faut, mais par l’Etat, seul dépositaire de la force publique. Les paroles de M. Chourou ne peuvent que légitimer ce qui se passe à Sejnane, ces agressions dont la portée a été minimisée par le gouvernement et qui sont appelés, de ce fait, à se multiplier, surtout que le blanc-seing émane cette fois d’un représentant du peuple.
Ces paroles relancent également le débat sur l’application de la charia. M. Chourou s’est présenté aux élections de l’Assemblée nationale constituante sous la bannière du parti Ennahdha, qui n’a eu de cesse de répéter qu’il n’est pas pour l’instauration d’un Etat théocratique et qu’il ne cherche pas à imposer la charia. Or ce monsieur se permet d’émettre carrément des fatwas et de demander aux citoyens de se substituer à l’Etat, car il demande au peuple, je cite, de faire tout son possible pour contrecarrer les desseins de ses ennemis.
Se taire, c’est cautionner
Je ne veux même pas analyser la validité religieuse de cet appel, d’autres l’ont fait. Mais concernant les valeurs de l’islam que défend Ennahdha, je demande son avis à M. Chourou, l’islam ne dénonce-t-il pas le mensonge et la tromperie ?
Enfin, hasard du calendrier, le jour même de ces déclarations, comparaissait devant le tribunal de première instance de Tunis, Nabil Karoui, patron de Nessma TV, accusé, entre autres chefs d’inculpation, de troubles à l’ordre public. Je pose la question aux avocats qui ont trainé M. Karoui devant la justice.
Vont-ils porter plainte contre Sadok Chourou, qui tombe sous le coup de cette accusation, et d’autres comme la substitution à l’autorité publique, l’incitation au meurtre et à la violence, ou ne vont-ils pas le faire car il s’est caché derrière le sacré ?
Je pense que cette affaire est d’une extrême gravité, que toute incitation à la violence est à condamner fermement et qu’il faut un message clair d’Ennahdha, du Gouvernement et de la «troika» où ils montrent leur désolidarisation de ces propos haineux et prémédités.
La société civile se doit également de réagir parce que si elle cède sur cet épisode, ce sera la porte ouverte au désordre le plus total et ce qui s’est passé à Sejnane, à la Mannouba et ailleurs deviendra bientôt la règle. Se taire, c’est cautionner.