Abdallah Jamoussi écrit – «Al-hadatha» : ce concept se ramenant à la fois à l’actualisation d’un passé et en l’occurrence à l’accès à la modernité serait de retour dans le texte de notre nouvelle constitution.
De ma vie, je n’ai jamais connu un signifiant ayant des contraires pour signifiés. A première lecture, j’ai constaté que notre malaise culturel remonte à cette mystérieuse dichotomie. Concept trop évasé, il n’a cessé de générer des divisions dans les pays arabes qui l’ont adopté, depuis leur indépendance. Et à mesure que le temps passe, la situation se complique pour tout ce monde et de surcroit pour les pays de faibles ressources fossiles qui aspirent à la délivrance au moyen de leur potentiel intellectuel.
Une pièce de monnaie truquée
Il y a donc lieu de croire que l’inadéquation endogène (morphologiquement parlant) de ce concept aurait pu produire des effets néfastes sur notre manière d’être tant sur le plan individuel que sur le plan sociétal. Nos discordes intestines à propos de l’identité dénotent une tare profonde liée, sans doute, à ce concept composite.
Afin d’éclairer l’opinion publique, j’ai voulu retracer le parcours jusqu’aux circonstances qui ont contribué à la mise en circulation de cette pièce de monnaie truquée qu’est «al-hadatha» (modernité), alors qu’au début du XXe siècle, on ne parlait, chez nous, que d’«al-islah» (réforme).
Bien que ce terme ne soit pas cité explicitement dans notre constitution de 1959, dans l’application, personne ne peut nier qu’on a adopté «al-hadatha», en pensée et en procédure.
De mon point de vue, toutes les atrocités que nous avons connues et connaissons, jusqu’à aujourd’hui, tiennent à cette option vaguement interprétée, au point de receler une commune signification de modernité, alors que tout indique qu’il ne s’agissait que de l’imitation de modèles et peu importe qu’ils soient du présent ou du passé.
Pour être plus explicite, il s’agissait de reproduction d’un schéma appartenant au passé ou d’un décalque du produit de l’autre. Ce texte n’est que l’introduction à de longs chapitres de fond, en cours d’écriture et qui retracent l’histoire suspecte de ce phénomène. Ils en diront plus sur les raisons de notre fracture sociétale imminente. Pour l’heure, il serait utile de prendre conscience des méfaits de la reproduction des modèles excentriques à notre réalité interactive, lors même qu’elle est spécifique. En parlant d'excentricité, aussi bien le temps que l’espace, doivent être considérés dans le dépistage du phénomène ; autrement dit par une double-entrée. Il y aurait peut-être de quoi parler de l’échec des deux modèles (le top de l’Occident avec ses lacunes ou le redémarrage depuis l’avènement de l’islam) pour lesquels on verse sang et larmes.
Chez-nous comme chez d’autres pays arabes ayant adopté depuis plus d’un siècle le concept d’«al-hadatha» comme moteur d’émancipation et avant même de bénéficier de leurs indépendances respectives, le malaise ne paraît pas avoir de remède, pour bientôt. La preuve est que les conflits identitaires ne cessent de s’accentuer et les écarts sociaux ne cessent de se creuser. Les temps difficiles que nous traversons dévoilent à quel point nous avons souffert pendant de longues années de rancœur latente et d’effritement sociétal imperceptible ; autant dire que notre «relation à l’autre» était trop faible, sinon absente.
Dans un tel contexte, chacun devait se débrouiller tant bien que mal pour survivre ou pour cumuler des bénéfices au détriment des autres. Et du moment que le système tourne, il ne fallait pas s’en faire outre mesure. Mais voici qu’au 14 janvier, la situation se renverse. Une forte pression surgie du ventre de la terre en laves et, depuis, la situation n’a cessé de basculer un peu partout dans le monde arabe. Ce ne sont pourtant, que des conséquences ! Une société, au sein de laquelle croissent la haine et les hostilités ne pourra que sombrer, tôt ou tard, dans l’inconnu. Et d’ailleurs, cette conclusion trouve sa justification dans les faits, lesquels faits n’auraient jamais pu affecter notre existence, s’ils n’étaient pas nourris par des racines plongées dans le passé.
La renaissance et/ou la modernité
Il faut donc, remonter le cours de l’Histoire des nations arabes pour mieux suivre l’évolution du symptôme engendré par la conjoncture qui a fait que nous soyons colonisés – et pour quelles raisons – puis divisés au sujet de notre identité, alors que nous vivons sur notre territoire ancestral. Autant de questions auxquelles nous devrions répondre.
Le plus urgent est de comprendre que nous sommes le fruit d’un concept inauguré, après l’indépendance : «al-hadatha» ; un mot vague ayant incorporé deux modes opposés, à savoir : la renaissance («ennahdha») et la modernité en tant que telle.
Chacun de ces deux moteurs exerçait sa force dans le sens contraire de l’autre. C’est ce qui a fait qu’au lieu d’avancer, nos sociétés devraient se figer et engendrer un silence-radio en ce qui concerne la culture. Cette vacuité culturelle n’irait pas sans ouvrir la voie à la spoliation des plus faibles, à la corruption, au népotisme et à l’opportunisme de tout spectacle, dont même l’opposition ne sortira pas indemne.
Ce grand délabrement, aura certainement besoin de plus d’une étude pour parvenir à le comprendre et pallier à ses déficits.
Jamais, cette brèche séculaire ne sera colmatée par un vote automatique à l’Assemblée constituante. Et ce n’est point par une levée massive de bras qu’on vient à bout des tares mortifères qui ont affecté notre histoire.