Salah Kédidi écrit – Conséquence des élections du 23 octobre : le pays est divisé entre des musulmans, croyants et défenseurs d’Allah, d’un côté, et de l’autre, des mécréants, des apostats et des vendus à l’Occident.
Une campagne est en train d’être menée sur plusieurs fronts dans notre pays pour modifier le visage de la société tunisienne. Elle utilise tous les moyens de conviction disponibles depuis la simple moralisation dans les rues et lieux publics jusqu’aux violences verbales et physiques en passant par le prêche dans les mosquées. Les autorités, et même les plus hautes, observent ces agissements les bras croisés et osent juste les condamner. L’absence de mesures et de sanctions contre les violences commises constitue non seulement une sorte d’approbation, voire une légitimation et pourquoi pas une bénédiction.
Des signes qui ne trompent pas
Qui fait quoi ?
Commençons par ce qui se rapproche beaucoup du domaine du fait divers et particulièrement l’activité de ce que certains médias appellent des salafistes ou simplement des barbus et qu’il n’est pas nécessaire de reprendre ici, car tout a déjà été rapporté par ces médias, mais il est important de rappeler quelques faits marquants.
Les incidents de l’affaire de la chaîne de télévision Nessma. Les évènements fâcheux provoqués par les niqabées aux facultés de Manouba et de Sousse ainsi que le soutien apporté par leurs frères barbus. Les rassemblements organisés pour contrer les manifestations réclamant la liberté de presse et la liberté d’expression ou bien pour faire échouer celles des agents de la sécurité nationale. Le phénomène Sejnane, village déclaré premier califat de Tunisie. Et n’oublions surtout pas «le scandale» rapporté par les médias locaux et étrangers lors de la visite d’un responsable du parti palestinien Hamas, lorsque des manifestants ont crié : «Tuer les juifs est un devoir».
Voyons ce qui se passe au niveau de l’officiel maintenant et commençons par le haut de la pyramide. Le reproche fait publiquement par notre président de la République aux autorités algériennes, concernant l’éviction des islamistes du pouvoir malgré leur victoire aux élections du début des années 90 peut être interprété comme un éloge à ses alliés nahdhaouis et une reconnaissance pour lui avoir permis l’accès à la «magistrature suprême».
Au niveau du gouvernement, remarquable fut la première décision du nouveau ministre de l’Enseignement supérieur de créer un diplôme en finance islamique. Grande priorité ! Quand au ministre des Affaires étrangères, il entame ses nouvelles fonctions par le jumelage de l’Université d’El Azhar avec l’Université de la Zitouna. Une autre grande priorité du gouvernement.
De son côté, Mme Sihem Badi, la ministre de la Femme et de la Famille, répondant à une question posée au sujet des mariages «ourfi» (coutumiers), se dit en faveur des libertés personnelles notamment celles du culte, de l’habit et de l’engagement. Quelques jours plus tard, tout en déclarant que ses propos, qui ont provoqué un tollé, ont été mal interprétés, la ministre s’appuie sur un argument religieux pour réfuter le mariage «ourfi» avant de faire appel à la loi du code de statut personnel qui l’interdit. Elle a oublié qu’elle représente une autorité civile et non une autorité religieuse.
Autre chose : d’après un journal électronique tunisien, la ministre n’a pas vu d’inconvénient à rencontrer Amr Khaled, un prédicateur islamiste, qui, soi-disant est arrivé en Tunisie avec des projets d’investissement. Peut-être qu’il est venu investir dans le mariage «ourfi» ?
Et pour rester dans le sujet des prédicateurs, le journal ‘‘El Maghreb’’ (n° 143, du vendredi 10 février 2012) nous apprend que d’éminents cheikhs «wahhabites» dont le Saoudien Mohammad Moussa Charif, se trouvent parmi nous. Il a déjà donné des conférences visant à ré-islamiser les Tunisiens, en présence de deux membres de l’Assemblée Constituante, en l’occurrence Sadok Chourou et Habib Ellouze, flanqués du célèbre imam salafiste Béchir Ben Hassen. Tout ce pieux monde annonce des agendas, qu’il compte insérer dans le tumulte de notre révolution, et leur projet d’une deuxième conquête qui va ré-islamiser la Tunisie, pas assez musulmane à leurs yeux.
L’arrivée d’un autre prédicateur, Wajdi Ghanim, nous a été annoncée dernièrement. Ce «savant» est de ceux qui approuvent l’excision des filles et qui désapprouvent la mixité dans les écoles et les administrations. Un beau programme en vue.
M. Chourou, après son intervention historique de l’Assemblée constituante appelant à l’amputation des membres et à l’exécution des délinquants, qualifie la presse d’ennemie de la religion et qu’il faut la combattre avec fermeté. Dans le même contexte, cheikh Moussa ajoute «qu’il est indispensable d’utiliser le glaive contre la presse arabe corrompue qui détruit la foi et la virilité».
Au cours de la même discussion, le cheikh annonce qu’il est du devoir des islamistes de changer l’aspect de la société tunisienne en agissant à deux niveaux, au niveau spirituel en renforçant foi et croyances religieuses et au niveau des institutions politiques, culturelles, économiques, juridiques et associatives. Il assure son auditoire que le nouveau «changement» est en train de se faire lentement mais sûrement. Il s’agit d’être patient car l’islam vaincra.
Habib Khedher, Rapporteur à la Constituante, n’a-t-il pas déclaré que la nouvelle constitution doit s’inspirer de la charia ?
L’étrange silence du Fdtl et du Cpr
Tout ce qui a été décrit précédemment se passe dans une Tunisie gouvernée par une triple alliance formée par un parti sorti majoritaire des urnes, Ennahdha, à tendance religieuse, qui essaye d’imposer ses idées de la manière la plus sournoise, et deux partis supposés tirer leurs idéologies des principes libertaires. Deux partis présidés chacun par un ancien fervent militant des droits de l’homme assistés par des intellectuels, le Forum démocratique pour le travail et les libertés (Fdtl) et le Congrès pour la République (Cpr). Deux partis qui ferment les yeux sur ce phénomène religieux rampant qui inonde lentement et sûrement notre société au risque de modifier son visage et de la défigurer.
Des questions se posent. Par qui sont manipulés ces barbus qui agissent en toute impunité ? Qui est à l’origine des visites faites chez nous par ces prédicateurs wahhabites ? La position du parti Ennahdha envers ces sujets est vague, mal définie, pas claire et suscite des soupçons.
A quoi est dû le silence et le laisser faire du Fdtl et du Cpr ? Leur silence peut-il être considéré comme consentement ? A quoi rime leur conduite «Mouton-Panurgiste» vis-à-vis du mouvement Ennahdha au sein de l’Assemblée constituante ?
Et le peuple dans tout ça ?
Il a montré beaucoup de maturité le jour des élections du 23 octobre. Malheureusement, ces élections ont provoqué une fracture très nette en son sein. D’un côté ceux qui ont voté pour le parti majoritaire de la Constituante, les musulmans, les croyants, aidés par les défenseurs d’Allah, soit les bons sujets.
De l’autre les alliés des minorités, les mécréants, les apostats, les vendus à l’Occident donc les mauvais sujets. La fracture est bel et bien consommée !
Oubliée la solidarité manifestée le lendemain du 14 janvier lors de la formation des Comités de défense des quartiers. Un petit regain de solidarité est apparu à la suite de la vague de froid de ces derniers jours. Il risque de faire bien chaud dans les mois qui viennent. Espérons que le pays s’en sortira indemne.