«Dans toute crise, apparaissent des leaders qui savent ce qu’ils ont à faire» (Xavier Emmanuelli). C’est le cas de l’ex-Premier ministre et du président d’Ennahdha, deux architectes que tour sépare, mais qui ont toutes les raisons pour coopérer.

Par Mondher Khaled*


 

Issus de deux écoles différentes, Béji Caïd Essebsi (BCE) et Rached Ghannouchi (RG) sont deux architectes que tout  sépare et que rien ne réunit, excepté le fait que le contexte de la révolution les a sollicités pour concevoir deux projets somme toute aux antipodes.


Rached Ghannouchi et Béji Caïd Essebsi, tous deux sortis des archives

Le style «Renaissance»

RG qui dispose d’un cabinet-ruche avec un label ayant le vent en poupe, a fonctionné en «off-shore» avec un groupe rompu à l’architecture «underground». L’esquisse élaborée dans la clandestinité présentée tambour battant à une clientèle nostalgique et de surcroît assoiffée d’un type particulier d’architecture a eu un succès finalement légitime. Face à des concurrents novices, fraîchement diplômés et éparpillés dans des micro-cabinets, RG a gagné la première phase du concours.


Béji Caid Essebsi

Influencé par plusieurs écoles, RG a une propension à mélanger les styles. En amateur fervent et inconditionnel du style turco-ottoman qu’il ne cesse d’élever au rang de projet, et fidèle à sa récente influence par le courant arabo-insulaire ayant le vent en poupe, il n’a pu s’empêcher de choisir savamment à son édifice intitulé «Renaissance». Mais, l’origine des matériaux et la complexité du style proposé commence à faire jaser bon nombre de Tunisiens, demeurés attachés au style authentique et épuré.

Les difficultés de faire démarrer le chantier en raison de plusieurs facteurs endogènes et exogènes, et notamment les personnalités divergentes des deux conducteurs de travaux récemment désignés, risquent de bloquer la machine. En attendant que les associés se retroussent les manches pour peaufiner l’esquisse, le projet «Renaissance», qui se fera cette fois-ci à découvert, ne sera plus l’unique projet sur la place.

La maison «Tunisie»

D’ailleurs, en architecte avéré ayant une connaissance parfaite du site, BCE a saisi l’opportunité qui lui était offerte pour travailler sur un projet alternatif. Engagé directement sur chantier, BCE a su mobiliser les corps de métiers en place en fixant un cap à court terme. Il a d’ores et déjà développé une démarche pragmatique que lui a enseignée pendant plus de 50 ans son maître penseur. Rompu à l’action «supraground» et à l’art de la construction par petite touche et quasiment sans esquisse, BCE nous a opté tout de go pour le style tunisien qui a visiblement séduit. Son édifice appelé «Tunisie» est vernaculaire dans sa conception avec des proportions et des rapports d’espace aux dimensions humaines locales. Son vocabulaire formel et chromatique s’inspire des propriétés mécaniques et physiques des couleurs et matériaux existants qui sont abandons à proximité. Les techniques sont simples. Elles optimisent les propriétés des matériaux (résistance à la traction et à la compression).


Rached Ghannouchi

Centrée sur le milieu, la maison «Tunisie» semble intégrer une relation dialectique entre l’intérieur et l’extérieur. Avec un seuil épais filtrant l’accès  des usagers aux échelles d’intimité, sans sacrifier l’autorité du maître des lieux et la convivialité dans les rapports sociaux.

Mais, en dépit de son authenticité, la maison «Tunisie» n’arrive pas à mobiliser les ressources humaines nécessaires. Les associés, toutes catégories confondues que BCE tente de fédérer, sont encore éparpillés. Leur égo et la lenteur de leur réaction risquent de faire avorter le projet pourtant séduisant.

Relégués aux archives, BCE & RG, qui sont sortis de deux boîtes différentes, ont été les seuls architectes sur la place à avoir proposé deux maisons cohérentes malgré la différence de styles, mais qui auront le mérite, si elles font l’objet d’une synthèse intelligente, de nous protéger contre les risques de la nature postrévolutionnaire.

A présent, qui ose dire que les cheveux gris sont les archives du passé.

* Ex-fonctionnaire des Nations Unies et actuellement conseiller en communication auprès du Pnud.