Seul Ennahdha semble intéresser le Qatar dans notre pays, devenu un relais de la diplomatie de l’émirat gazier en Afrique du Nord et au Moyen-Orient.
Par Ahmed Chebbi
Depuis le début de la révolution tunisienne, le Qatar a joué un rôle remarquable à plus d’un sens. Al-Jazira, que beaucoup considèrent comme le bras médiatique du gouvernement du Qatar, fut un relais déterminant pour faire circuler les informations en temps réel et donner à la révolution une dimension internationale. Le froid diplomatique qui existait à l’époque entre Tunis et Doha y était pour quelque chose. Al-Jazira faisait alors l’unanimité parmi les Tunisiens.
L'émir du Qatar participe à la célébration du 1er anniversaire de la révolution, 14 janvier 2012.
Le prix de l’alliance Ennahdha-Qatar
Après le départ de Ben Ali et l’annonce de la tenue d’élections, la donne a changé, et Al-Jazira perdait son impartialité pour devenir une plateforme médiatique au service d’Ennahdha, avec plus de 60% du temps d’antenne réservé aux élections tunisiennes étant occupé par les représentants de ce mouvement.
Ce parti-pris d’Al-Jazira n’est pas une surprise en soit. La sympathie du Cheikh Hamad Ben Khalifa Al-Thani pour les mouvements islamistes «modérés» (et sunnites) n’est un secret pour personne. Cette relation «privilégiée» avec le Qatar qu’Ennahdha nous propose, pose plusieurs interrogations, dont la plus essentielle est l’intérêt d’une telle alliance pour la Tunisie.
Moncef Marzouki et le tropisme golfique.
Alors que le nouveau pouvoir en place nous annonçait un raz-de-marée de dons, d’aides, et d’investissements, concrètement, le Qatar s’est contenté d’accorder à la Tunisie un prêt de 500 millions de dollars à un taux de 2,5%, ce qui contraste avec un prêt japonais de 271 millions de dollars accordé la semaine même avec un taux de 0,95%. Ajoutez à cela quelques annonces d’intentions pour financer des projets immobiliers par-ci et par-là et le tour est joué.
Malheureusement pour les 800.000 chômeurs tunisiens, ce type d’investissements ne crée pas de la richesse, ne contribue en rien à renflouer les caisses de l’Etat et ne génère que quelques centaines d’emplois dans le secteur du bâtiment à court terme. Rien de significatif comparé à nos partenaires traditionnels, le modèle d’investissement du Qatar se basant essentiellement sur des secteurs à faible valeur ajoutée et à faible transfert technologique pour l’économie locale.
Le parti au pouvoir semble toujours ignorer la raison fondamentale du déclin de l’économie nationale. Ben Ali, qui n’était pas connu pour être un visionnaire, avait fait du pays un modèle de développement «low cost», incapable de créer du savoir, de l’innovation et de la croissance avec une industrie indigène, condamnant la Tunisie à rester une arrière-cour de l’industrie européenne.
Séance de travail tuniso-qatarie à Tunis le 13 janvier 2012.
La présentation du Qatar comme partenaire stratégique avec sa doctrine d’investissement appauvrissante et politisée serait-elle le choix le plus judicieux pour permettre à la Tunisie de faire une mutation qualitative de son économie, de son industrie, et de son éducation.
Une diplomatie de renvoi d’ascenseur
Comment alors expliquer l’acharnement du nouveau pouvoir tunisien à vouloir mettre en avant cette amitié «privilégiée» si ce n’est pour reconnaitre le rôle qu’a joué le Qatar pour le mise en orbite d’Ennahdha, seul vrai bénéficiaire des largesses financières du petit royaume golfique, participant ainsi à accroître la puissance économique du parti depuis la révolution.
Realpolitik oblige, le Qatar n’a pas tardé à réclamer un «retour sur investissement» avec la tenue en Tunisie du congrès de l’Assemblée nationale syrienne opposante, un pur produit de l’intelligentsia qatarie sur le modèle libyen censée accélérer la chute du régime syrien et combler le vide que ce dernier laisserait.
Signature d'accords de coopération entre la Tunisie et Qatar.
Il n’est pas sans rappeler que cette initiative a déchu la Tunisie d’une prudence diplomatique et de sa réputation de force modératrice et avant-gardiste depuis plus d’un demi-siècle. La diplomatie tunisienne semble donc condamnée à devenir un pion de plus dans le réseau diplomatique global du Qatar et de ses alliés. La nomination du gendre de Rached Ghannouchi, pur produit du système qatari, à la tête du ministère des Affaires étrangères, illustre cette relation ambiguë. La décision inappropriée et d’intérêt discutable prise par la présidence tunisienne d’expulser l’ambassadeur syrien prouve ainsi la légèreté diplomatique de la nouvelle Tunisie et ne fait qu’abaisser d’un cran la crédibilité de notre pays dans le concert des nations.
D’autre part, le Qatar, allié privilégié d’Ennahdha, héberge une partie de la famille du président déchu avec toute une fortune provenant des caisses de l’Etat tunisien et qui dépasse de loin le montant du prêt que vient d’accorder le Qatar à la Tunisie.
* - Universitaire.