Tarak Arfaoui écrit - La conformité de la «troïka» moulée dans l’hégémonie d’Ennahdha, ne va pas s’arrêter à l’action du gouvernement provisoire. Elle préfigure un front en vue des prochaines législatives.
S’il était de ce monde, et particulièrement parmi nous, Lavoisier, célèbre chimiste français, aurait certainement adapté son fameux théorème «Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme» à la réalité de l’actualité politique tunisienne postrévolutionnaire, car il aurait constaté le charivari dans lequel s’est installée la «troïka» au pouvoir 5 mois déjà après les élections.
Ennahdha impose son dictat
Sur le plan pratique, en effet, on peut dire qu’au gouvernement «rien ne s’opère, rien ne se crée et tout se conforme», à l’image du parti majoritaire Ennahdha qui impose lentement mais sûrement son dictat à ses deux partenaires : le Congrès pour la République (Cpr) et Ettakatol.
Cinq mois donc après les élections, 3 mois après la constitution du gouvernement, la «troïka» au pouvoir balbutie, navigue à vue et à l’image de sa composition hétéroclite, n’arrive pas à proposer un programme cohérent qui puisse sortir le pays de l’ornière.
Rien ne s’opère sur les dossiers épineux que sont le chômage, la précarité, la sécurité et la relance économique. Les grèves et les sit-in sauvages redoublent même d’intensité, le bassin minier, berceau de la révolution, est en train de re-bouillonner. Le tourisme, moteur essentiel de l’activité économique, a coulé une bielle. La gabegie sociale allumée par les salafistes et sciemment tolérée par Ennahdha pour de lugubres desseins électoralistes, empoisonne la vie de tous les jours et exaspère de plus en plus les citoyens dont l’attention est détournée des vrais problèmes qui minent le pays.
La «troïka», qui n’a rien créé, est en train, selon les rumeurs, d’accoucher d’un plan de relance économique qui serait salvateur, peut-être dans un mois, deux mois ou même plus.
Cpr devenu un clone d’Ennahdha
En attendant, dans le gouvernement, tout se conforme aux directives d’Ennahdha. Le Cpr, parti de militants des droits de l’homme et de démocrates progressistes au départ, a très vite muté en un clone d’Ennahdha qui a trouvé en ses militants des défenseurs acharnés des thèses islamistes et des pourfendeurs implacables de tous ceux qui osent critiquer le mouvement de Rached Ghannouchi.
Les récentes déclarations de Abderraouf Ayadi, qui a succédé à Moncef Marzouki à la tête de ce parti, soutenant ouvertement les exactions des salafistes, et celles de Mohamed Abdou prenant fait et cause pour les dérives rétrogrades de Sadok Chourou n’ont pas de quoi étonner.
M. Marzouki, fondateur et ex-président du Cpr, devenu président de la République par la volonté d’Ennahdha, a bel et bien perdu le contrôle de ses troupes et le camouflet qu’il avait déjà reçu à l’Anc de la part des constituants issus de son parti était un message codé.
La fumeuse théorie du «tawafek» (concorde)
Quant à Ettakatol, il a avalé, lentement mais sûrement, toutes sortes de couleuvres et il a entériné toutes les prises de position de ses mentors islamistes dans sa proverbiale absence de position dans toutes les questions cruciales. Le vote historique de ses membres contre la candidature de M. Moussa au poste de rapporteur l’Anc était bien le énième coup tordu porté à la famille démocrate progressiste auquel il était sensé appartenir.
La fameuse (et fumeuse) théorie du «tawafek» (concorde) chère à Mustapha Ben Jaâfar, président d’Ettakatol et de l’Anc, risque fort de faire imploser prochainement son parti où le «tawefek» semble se réaliser pour le faire éjecter d’Ettakatol.
Plus grave encore, cette conformité de la «troïka» moulée dans l’hégémonie d’Ennahdha ne va pas s’arrêter simplement à l’action du gouvernement provisoire : tout semble en effet indiquer qu’un front uni Ennahdha-Cpr-Ettakattol est en cours de constitution en vue des prochaines législatives pour contrecarrer les velléités de regroupement de l’opposition.
Cette alliance stratégique annoncée en catimini par M. Ben Jaâfar, il y a quelques mois, et à laquelle beaucoup d’observateurs n’ont pas fait attention, est une réalité politique que les timides démentis actuels n’effacent pas.
Pour la «maslaha watania» (intérêt national), ce n’est pas grave qu’on perde son âme, et pour la «troïka» rien ne s’opère, rien ne se crée, tout se conforme aux décisions d’Ennahdha.
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