Rachid Barnat écrit – Ce n’est pas la presse qui fait fuir les touristes et les investisseurs, mais les obscurantistes qui veulent éloigner la société tunisienne de sa vocation pacifiste.
Intéressant débat sur la liberté de la presse en Tunisie sur Nessma TV, en présence d’avocat, journaliste et du président de la Ligue tunisienne des droits de l’homme (Ltdh).
L’avocat rappelle qu’en 2002, un article, le 121, est né à la demande de Ben Ali. Qui s’en servira pour mettre en prison ses opposants. En ont «bénéficié» :
- Moncef Marzouki, l’actuel président de la République ;
- Mustapha ben Jaâfar, l’actuel président de l’Assemblée constituante ;
- Samir Dilou, l’actuel ministre des Droits de l’homme et de la Justice transitionnelle…
Les deux poids deux mesures
Ce qui étonne notre avocat, c’est que Ben Ali parti, cet article n’a toujours pas été abrogé. Puisque la justice tunisienne a mis en prison le directeur d’un journal, en application de ce fameux article 121.
Ce qui le choque aussi, d’autant que tout le monde sait que c’est un article attentatoire à la liberté d’expression, fait sur mesure pour Ben Ali !
Or la plupart des partis de l’opposition et même ceux dans la «troïka», ont exprimé leur vive émotion en apprenant que le juge a décidé l’incarcération du directeur d’un journal, et ont demandé sa libération.
Le seul parti qui a approuvé cette incarcération, comme par hasard, c’est Ennahdha ! Quand on sait que le ministre de la Justice, Noureddine Bhiri, appartient à Ennahdha, et que le procureur de la république dépend administrativement de ce ministre, on peut soupçonner Ennahdha d’être derrière cette décision, qu’il veut exemplaire et dissuasive pour les autres médias !
En d’autres termes, Ennahdha reproduirait ce dont il a souffert sous Ben Ali : museler l’opposition et mettre au pas les journalistes. Comme si la révolution du 14 janvier n’avait jamais eu lieu !
Ce qui étonne notre avocat, c’est la règle des «deux poids deux mesures» de ce gouvernement.
En effet, ce gouvernement aurait demandé l’arrestation et l’incarcération de 3 journalistes pour une photo qu’il a jugé choquante et attentatoire à la moralité, en application d’un article que tout le monde sait vestige d’une dictature révolue, et ce, avec une célérité qui dénote le zèle d’une justice non encore vraiment réformée …
Mais paradoxalement, ce gouvernement n’a rien fait contre des prédicateurs étrangers (égyptiens, saoudiens, qataris…) dont les discours sont autrement plus choquants et plus graves puisqu’ils incitent à la haine, à la violence et sont sources de «fitna» (discorde) entre les Tunisiens… ce qui tombe sous le coup de la loi plus précisément de l’article 52 ! Comment se fait-il que le gouvernement et le procureur de la république n’aient pas réagi, alors que l’émotion des Tunisiens est si vive et le climat est au bord d’une guerre civile ?
Un journaliste présent sur le plateau rapporte un autre paradoxe illustrant la règle des «deux poids deux mesures» : il s’étonne qu’un journal qui déplaît à Ennahdha soit épinglé pour une photo de nue à la Une, alors que deux autres journaux proches de ce parti ont produit des photos de nues à leur Une sans que cela ne provoque l’ire de ce parti ! Ce qui démontre que derrière ce prétexte fallacieux, il y a une volonté politique de contrôler la presse et de mettre au pas les journalistes récalcitrants !
Des pratiques avilissantes et injurieuses
Ce qui inquiète notre avocat, ce sont les méthodes vexatoires et le genre de discours caractéristiques du régime de Ben Ali que l’actuel gouvernement semble vouloir perpétuer.
En effet Zaba avait une tactique très vicieuse pour humilier ses opposants :
- le procureur rédigeait son mandat d’arrestation à une heure tardive après la fermeture administrative ;
- son mandat d’arrêt est rendu exécutoire après 16 h ! Et tant qu’à faire, à l’approche d’un week-end, pour s’assurer d’une mise au cachot au minimum de quelques jours pour atteindre psychologiquement l’opposant !
Or c’est le même procédé qu’a appliqué le juge pour l’arrestation des 3 journalistes en question !
Quant au discours officiel pour fustiger les journalistes récalcitrants, il remarque que les termes utilisés sont ceux de l’époque Ben Ali : dégradants et du niveau du caniveau ! Ce qui augure, selon notre avocat, d’un retour à une dictature !
Or tant que le gouvernement n’a pas abrogé les lois d’«exceptions» voulues par Ben Ali ni dissous les organismes de «surveillance» des faits et gestes des citoyens, il sera toujours suspecté de vouloir à son tour poursuivre l’«œuvre» de son prédécesseur. Ce que les Tunisiens ne laisseront plus faire : ils ont dégagé un dictateur, ce n'est pas pour le remplacer par un autre fut-il son opposant.
Ils en ont marre de ces pratiques avilissantes et injurieuses. Ils sont assez intelligents et matures pour juger par eux-mêmes : le paternalisme des chefs, des grands frères et des guides suprêmes ou spirituels, ils n’en veulent plus !
L’offensive d’Ennahdha contre les médias
Récemment encore, une manifestation, à majorité des sympathisants d’Ennahdha et de la mouvance salafiste, devant le siège de la télévision à Tunis. Ils ont dénoncé «le parti-pris des médias contre le gouvernement et les forces islamistes» qui serait, selon eux, à l’origine de «la fuite des investisseurs». Bien sûr, c’est encore la faute de la presse ! Croient-ils qu’il suffit de casser le thermomètre pour faire disparaitre la fièvre ? Désolante bêtise !
On voit bien ici la confirmation de l’offensive d’Ennahdha contre les médias. Et bien non, il faut le répéter : ce n’est pas la presse qui fait fuir les touristes ni les investisseurs mais bel et bien les manifestations des obscurantistes et la transformation de la société tunisienne d’une société pacifiste en une société que l’islamisme obscurantiste rend méconnaissable et inquiétante (voir ce qui s’est passé tout récemment à Jendouba avec les affrontements entre la police et des éléments islamistes armés).
Voilà où est la vérité et c’est le devoir de la presse de le dire.
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