Quand une étudiante patriote affronte un salafiste en pleine défaillance des forces de l’ordre. Ou les enseignements du geste spontané de Khaoula Rachidi contre le salafiste ayant profané le drapeau national.
Par Abderrazak Lejri*
Khaoula Rachidi est une jeune fille de 25 ans issue d’une famille pratiquante et sans coloration politique, habitant mon quartier Al Assala-Doualy, à Gafsa (sud-ouest).
Cette étudiante à la faculté de la Manouba vient d’accomplir la veille de la Journée internationale de la femme (8 mars) un geste héroïque d’une grande portée symbolique contre le salafiste qui a commis le sacrilège de démâter le drapeau tunisien pour le remplacer par le drapeau noir de son mouvement fondamentaliste religieux sur le fronton de l’université, quand elle a pris l’initiative d’escalader un mur d’enceinte et d’affronter un gros bras, qui n’a pas hésité à la brutaliser, pour exiger le replacement du drapeau national.
La fille d’une région frondeuse
Mlle Khaoula, en toute humilité, a estimé avoir agi naturellement sans avoir fait référence à sa région réputée frondeuse où les citoyens ont toujours montré une combativité à toute épreuve et ont été à l’avant-garde de la lutte pour la libération nationale puis pour les droits et principes portés par des figures telles que Ahmed Tlili, Lazhar Cheraiti et de bien nombreux militants et syndicalistes.
Mlle Khaoula a même eu la mansuétude de parler avec courtoisie à l’auteur de ce geste sacrilège démentant par là-même la thèse chère au ministre de l’Intérieur Ali Larayedh d’un conflit politique instrumentalisé par la gauche.
Le premier responsable des forces de l’ordre ment effrontément en prétendant que la police n’est pas intervenue car le drapeau était à l’intérieur de l’enceinte et que le doyen Habib Kasdaghli (réputé point focal de la gauche) n’a pas réclamé d’intervention.
Le ministre de l’Intérieur et son collègue Moncef Ben Salem, ministre de l’Enseignement supérieur, doivent arrêter de prendre les Tunisiens pour des idiots, car s’ils sont sincères, ils doivent commencer par traduire les policiers qui étaient en faction devant l’enceinte de l’université devant la cour militaire et cesser de mettre sur le même pied d’égalité les salafistes, qui ont été, devant témoins et depuis plus de trois mois, auteurs de violences au sein de la faculté et ailleurs, et la non collaboration du doyen et de l’Union générale des étudiants tunisiens (Uget) au prétexte qu’ils sont de gauche.
Pour la démission de Larayedh ou Marzouki
Si réellement la jeune Khaoula Rachidi veut rentrer dans l’Histoire en tant qu’héroïne, elle doit accompagner son noble geste par une posture conséquente en déclinant l’invitation du Président Marzouki à monter au palais de Carthage pour être honorée car elle va serrer la main qui a été tendue aux ennemis de la liberté que sont les salafistes, celle d’une personne qui se désavoue de jour en jour par sa collusion contre nature avec ces forces obscurantistes et rétrogrades en contrepartie de son maintien à un poste où il ne fait que gesticuler d’une façon pathétique sans réellement peser sur quoi que ce soit.
Khaoula Rachidi sauve l'honneur des Tunisiens sali par des éléments salafistes
Car ce président opportuniste veut instrumentaliser à son profit tout évènement ou fait, y compris celui engendré par sa mansuétude et sa complicité active avec ceux-là mêmes qui ont profané le drapeau national.
Ma recommandation à cette candide jeune fille est de répondre courtoisement par la négative à M. Marzouki en lui rédigeant une lettre dans laquelle elle l’appellerait à exiger au préalable du chef de gouvernement la démission de son ministre de l’Intérieur (qui aurait dû démissionner de son propre chef vu son échec dans le maintien de l’ordre) et, faute d’y parvenir, de présenter lui-même sa démission, car, en qualité de chef de l’armée, et compte tenu de la défaillance organisée et ciblée de la police, il est le garant de la protection du symbole de l’unité de la nation qu’est son drapeau.
Et dans la foulée, tant qu’on parle de démission, le ministre du Tourisme serait inspiré de présenter la sienne quand on sait que le jour même de son séjour londonien pour promouvoir la Tunisie, la Bbc diffusait un reportage sur les touristes terrorisés par les hordes de salafistes à Sousse sans que les médias tunisiens n’aient eu besoin de noircir l’image du pays dans le cadre du complot qu’ils sont accusés de partager avec la gauche et les laïcs.
Ceci permettrait de réaffecter le budget de promotion dépensé en pure perte à d’autres besoins plus immédiats et concrets.
La complicité active du parti islamiste avec les salafistes
Les dizaines de transgressions de la loi par le bras armé d’Ennahdha restées sciemment impunies ne sont plus à répertorier malgré un multiple discours (on a dépassé le double discours) du groupe Ghanouchi-Marzouki-Larayedh–Chourou-Zitoun sans oublier l’équilibriste Dilou car ce n’est plus de la mansuétude envers «nos enfants ne descendant pas de la planète Mars» dont il s’agit, mais carrément d’un encouragement tacite qui permet aux jihadistes d’entre eux de réclamer tambour battant la libération des membres arrêtés lors des évènements armés et sanglants de Bir Ali Ben Khalifa à l’occasion desquels certains ont avoué vouloir instaurer par la force un «émirat islamique en Tunisie». Rien de moins !
J’ai le regret de dire à ces dirigeants que ces malfrats barbus, qui étaient terrés comme des rats couards sortis subrepticement de leurs tanières après le 14 janvier, en s’étant eux-mêmes exclus de la nation, ne sont pas nos enfants et si on devait avoir une quelconque mansuétude à leur égard c’est de les placer derrière les barreaux pour longtemps.
Les citoyens ne se suffisent plus d’affirmations selon lesquelles les salafistes sont des microbes (M. Marzouki acculé à revenir pour s’excuser quant au qualificatif employé) ou que le profanateur du drapeau national est un déficient mental (M. Ghannouchi président du parti islamiste Ennahdha).
On a le droit de rêver quand on réclame une ferme position de la part du droit de l’hommiste Marzouki, du gouvernement Jebali, quand le député de son parti le Congrès pour la République (Cpr), Dhamir Manai, a déclaré sur les ondes d’une radio à grande écoute après l’incendie criminel du siège du parti dans la région de Jendouba : «J’accuse le gouvernement Ennahdha de cet acte odieux.»
A la question sur la dénomination «gouvernement Ennahdha» alors que le Cpr fait partie de la troïka qui participe au gouvernement provisoire, ce député a affirmé qu’il ne s’agissait pas d’un dérapage sémantique de sa part et a insisté sur le fait que la troïka se réduit à Ennahdha (ce qui est admis par le commun des mortels dans le pays).
Une stratégie cohérente pour asseoir un pouvoir absolu
Les pseudo maladresses et bourdes des membres de la troïka et essentiellement d’Ennahdha ne sont que des déviances accidentelles et incontrôlées d’une stratégie cohérente d’asseoir un pouvoir absolu quel qu’en soit le coût économique pour la communauté ou les libertés (à ce jour 14 mois après la révolution pas un seul emploi sur les milliers prévus à la Compagnie des phosphates de Gafsa n’a été pourvu).
L’espoir de résistance vient de l’Union générale des travailleurs tunisiens (Ugtt) face à qui Ennahdha – qui n’a pas réussi à noyauter le bureau national lors des dernières élections – et après l’attaque en règle et concertée d’innombrables locaux de la centrale syndicale par les nervis du parti islamiste, pour éviter le risque de se briser les reins a été acculé samedi à une visite d’apaisement du guide Ghanouchi au siège de la puissante centrale syndicale.
L’autre foyer de résistance est représenté par les composantes du bassin minier même si la majorité des populations du sud est acquise aux islamistes.
Le président Marzouki (que délibérément je ne qualifie pas de provisoire) et le président de l’Assemblée nationale constituante (Anc), Mustapha Ben Jaâfar, font un mauvais calcul s’ils avalent des couleuvres dans l’espoir d’être reconduits après les prochaines élections (on comprend d’ailleurs leur désir de voir la durée de la mandature provisoire s’allonger ad libitum), mais ils auront un tant soit peu eu l’impression, pour satisfaire leur égo sur le retour de l’âge, d’être rentrés dans l’antichambre de l’Histoire.
N’en déplaise à ses détracteurs, Habib Bourguiba, qui a pourtant fait du mal à ma région natale de Gafsa et qui a connu des dérives despotiques dénoncées par Ahmed Tlili en 1966 (voir sa ‘‘Lettre ouverte’’) a une stature d’homme d’Etat à laquelle ne peut prétendre aucun des membres actuellement au pouvoir.
Le geste spontané et courageux de Khaoula Rachidi est aussi symbolique que celui de la couturière Rosa Parks devenue une figure emblématique de la lutte contre la ségrégation raciale aux États-Unis après avoir refusé de céder sa place à un passager blanc dans un bus, ce qui lui a valu le surnom de mère du mouvement des droits civiques de la part du Congrès américain.
Bien qu’elle ne soit pas militante, Mlle Khaoula vient d’inscrire son nom en lettres d’or dans le prestigieux registre de ses ancêtres dans le sillage des éminentes figures féminines de notre pays depuis la princesse berbère : la Kahena – qui s’est justement opposée à l’invasion musulmane – jusqu’à celles plus récentes Bchira Ben Mrad, Radhia Haddad et des militantes Radhia Nasraoui et Sihem Ben Sedrine.
* Chef d’entreprise natif de Gafsa.