Nous qui aimons bien nous comparer aux autres nations, nous nous trouvons à des années lumières des systèmes de formation et d’évaluation des pays les plus réputés en médecine.

Par Dr Moez Ben Khemis*


Les 13, 14 et 15 mars, pas moins de 400 médecins spécialistes tunisiens ont passé l’ultime examen de leur formation : la fin de spécialité. Ces praticiens, communément appelés «médecins résidents», ayant bouclé avec succès leur formation dans différentes spécialités fondamentales, médicales ou chirurgicales, se trouvent confrontés encore une fois à un examen de fin de cursus pour décrocher – pour les plus chanceux d’entre eux – leur diplôme national de médecin spécialiste.

Un examen aussi inutile que bizarre

Vu de l’extérieur, cet examen parait certes ordinaire. Sauf qu’en réalité, il est aussi inutile que bizarre. En effet, en Tunisie, la médecine est un véritable parcours du combattant pour l’étudiant. C’est la filière la plus longue et la plus éprouvante de toutes celles que peut choisir un lauréat du bac tunisien. Cette filière comporte cinq longues années d’études, durant lesquelles l’étudiant va passer un millier d’examens de tous genres. Ces études sont aussi accompagnées par des stages d’externat dans les différents centres hospitalo-universitaires (Chu) du pays. Puis viennent les 2 années d’internat ou de formation en médecine générale. Ces 2 années sont celles de la souffrance et du sacrifice, l’interne étant l’apprenti à tout faire. Son principal objectif est d’obtenir tant bien que mal les validations des 6 stages d’internat pour pouvoir ensuite passer les examens cliniques de fin de formation.


Le groupe médical santé Tunisie

Le supplice du concours du résidanat

Pointe ensuite le concours du résidanat. Terrible supplice que subissent chaque année les internes tunisiens désireux de faire une formation de médecin spécialiste ; et qui malheureusement n’est qu’une épreuve moyenâgeuse qui vient briser les jeunes médecins de demain.

Les «ténors» de ce terrible concours choisissent alors, de gré ou de force, d’entamer une formation de médecin spécialiste qui durera 4 années. Longues et éprouvantes années durant lesquelles le médecin résident est le souffre-douleur de ses maîtres et chefs. Et gare à celui qui ose esquisser un soupçon de mécontentement !

Les résidents doivent donc accomplir des stages de 6 mois chacun dans les différents Chu du pays, qu’ils doivent impérativement valider. Évidemment l’évaluation est faite par leurs chefs de service respectifs ; et porte aussi bien sur les connaissances théoriques et pratiques, que sur la participation aux travaux de recherche, ainsi que sur le côté relationnel au sein de l’équipe. Avec à la clé une note et un certificat de validation signés et adressés à la faculté de médecine de tutelle, puis au ministère de la Santé publique.

Durant ces 4 années, le médecin résident va avoir à sa charge : des journées de consultations, un certain nombre de lits d’hospitalisation à gérer, des journées de bloc opératoire (pour les spécialités chirurgicales) ou bien encore une activité anesthésique médicalisée à assurer. Il doit aussi assurer des gardes à raison de 2 ou 3 gardes par semaine en moyenne. A partir du 4e semestre de formation, toute cette activité est assurée par le médecin résident seul – jugé suffisamment compétent par ses seniors.



Chirurgiens tunisiens

11 années de formations et d’études

Au total, le médecin spécialiste aurait donc passé 11 années de formations et d’études ; avec à son compteur pas moins de 2.000 examens passés et de stages validés. Souvent, et à titre d’anecdote, on l’appelle le «bac plus 11 ». Et voilà qu’au final, il se trouve encore confronté à un examen de fin de cursus. Les validations et autres examens réussis au cours des années de résidanat ne suffisent-ils point à juger du niveau et de la compétence du médecin spécialiste ? Non messieurs, il en faut bien un ultime.

Tout le monde s’entend à dire que cet examen insipide, qui tente d’évaluer les connaissances médicales acquises durant 4 années de formation continue en quelques trois heures de temps, est aussi absurde que futile. Examen lassant pour les membres des différents jurys et harassant pour les candidats déjà à bout de nerfs.

En réalité cet examen de fin de spécialité n’est qu’une goutte dans un océan de bêtises qui ont fait couler tant d’encre sans succès.

Nous qui aimons bien nous comparer aux autres nations, nous nous trouvons à des années lumières des systèmes de formation et d’évaluation des pays les plus réputés en médecine. Des pays qui ont banni depuis bien des lustres ce genre d’aberrations, et qui ont réussi à faire les réformes justes et construire une médecine solide.

Un sentier tracé par les «dinosaures»

Après la célèbre révolution du 14 janvier 2011, nous avions tous aspiré à une nouvelle Tunisie resplendissante. Hélas l’air du changement n’arrive pas à percer notre système de santé ni notre système d’enseignement supérieur. Nous, jeunes médecins, restons donc sur notre faim et, malgré toutes nos revendications et notre désir d’une réelle réforme du système d’études et d’examens, nous trouvons encore toutes les portes closes et continuons à suivre un sentier tracé depuis bien longtemps par les «dinosaures» de la médecine, et qui n’a fait jusqu’alors que prouver son total échec et incompétence.

Espérons que ce gouvernement, boiteux jusqu’ici, puisse trouver une solution rapide et efficace pour nous faire rebondir de l’ère jurassique de la formation médicale.

* Médecin anesthésiste réanimateur.

 

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