Pour répondre à cette question, les responsables, experts et universitaires proposent beaucoup d’analyses et de diagnostics, mais très peu de solutions, projets pratiques, explicites, pertinents et convaincants. Bref, on tourne en rond…

Par Fatah Mami


La Confédération générale tunisienne du travail (Cgtt), tendance Habib Guiza, a organisé, le 19 janvier, à Tunis, une conférence sur «les moyens de promouvoir l’économie nationale et la responsabilité sociale des entreprises : un an après la révolution».

Selon le journal ‘‘La Presse’’ (du 20 janvier 2012, p. 7), la conférence a été consacrée à l’examen de la situation économique et sociale en Tunisie, post-révolution, et les solutions à la crise actuelle.

Parmi les conférenciers et intervenants ont figuré de grands professeurs et anciens responsables du gouvernement, ainsi qu’un secrétaire d’État.

Beaucoup d’analyse et de diagnostic, peu de solutions pratiques

Les intervenants ont parlé de «la gravité de la situation», de «la stagnation de la production», et de l’échec des gouvernements post-révolution, des partis politiques et de la société civile «à concevoir les meilleurs moyens pour garantir la réussite de la transition».

Décidément, nous sommes forts dans l’analyse et le diagnostic. Analyser et diagnostiquer ne résout pas les problèmes. Seules les solutions idoines, pratiques et concrètes peuvent résoudre les problèmes et contribuer à un dialogue constructif.


Manifestation de chômeurs.

Les statistiques, analyses et diagnostics les plus brillants ne servent pas à grand chose s’ils ne débouchent pas sur des mesures et des recommandations pratiques, éprouvées et efficaces.

Un professeur a appelé «les entreprises tunisiennes... à contribuer à l’effort national de lutte contre le chômage, la pauvreté et les disparités régionales... en permettant aux jeunes chômeurs... de bénéficier de stages pratiques en entreprise».

Bien qu’il s’agisse là d’une proposition utile, je ne pense pas qu’elle contribuerait suffisamment ou rapidement à la résolution des problèmes auxquels est confronté le pays. D’ailleurs, au lieu de stages pratiques, qui se limitent souvent à la simple présence et observation, je parlerais plutôt de formation pratique, sur le tas, en alternance avec la formation théorique à l’école, selon le système allemand et suisse d’apprentissage.

Le secrétaire d’État auprès du ministre des Finances, Slim Besbès, «a appelé les partis politiques et la société civile à prendre leur responsabilité aux côtés du gouvernement dans l’instauration d’un climat social à même d’impulser l’économie nationale et de créer davantage d’emplois.»

En effet, un climat social et politique sain, responsable et constructif est indispensable ; il faciliterait la recherche et la mise en œuvre de solutions. Qui est responsable du climat actuel de tension et de conflits sociaux ? Comment instaurer un climat social sain qui favorise l’activité économique, l’investissement et, par conséquent la création d'emplois – et la résolution du chômage ? Que peuvent faire les partis politiques et la société civile ? Concrètement, que leur demande de faire le gouvernement ? Délibérément, je reporte la réponse à une autre occasion, afin de laisser au lecteur le temps d’y réfléchir.

Enfin, un professeur (dont j’omets le nom volontairement, car ce n’est pas la personne qui m’intéresse, mais le type de discours) a «souligné la nécessité de penser à un nouveau modèle de développement basé sur la recherche de nouveaux marchés en Afrique, Turquie, Amérique du Sud et dans les Pays du Golfe, tout en accordant davantage d’attention à l’investissement local et en s’orientant vers l’économie du savoir, le transfert de nouvelles technologies et l’impulsion de l’investissement étranger.»

Il est possible que le journaliste n’ait pas rapporté fidèlement ou avec assez de détail les recommandations du professeur. Toutefois, si le résumé est suffisamment fidèle, je dirais que ces recommandations équivalent à parler pour ne rien dire... ce qui n’est, ces temps-ci, ni rare, ni exclusif au professeur. Abordons les propositions du professeur une à une.

Manque d’initiative ou manque de compétitivité ?

La recherche de nouveaux marchés ne fait pas partie d’un nouveau modèle de développement. Elle fait partie de la diversification des marchés à l’exportation. Cette diversification ne nécessite pas un changement de modèle économique ou de développement, et n’en fait pas partie.

Est-ce que la recherche de nouveaux marchés fait partie de la solution ou bien est-elle le fruit de la solution ? Soyons plus clairs. Est-ce que nos exportations sont faibles vers ces pays à cause de la paresse et le manque d’initiative de nos entreprises, ou bien à cause de leur manque de compétitivité et de l’insuffisance des ressources qui leur permettraient de financer la prospection et le développement de nouveaux marchés – un processus coûteux et risqué ? Le succès à l’export est le résultat de la compétitivité. Est-ce que la diversification des marchés à l’export permet de résoudre les problèmes du pays et la faiblesse des entreprises ? Ou bien est-ce l’inverse : la résolution des problèmes structurels du pays et le renforcement de la compétitivité des entreprises qui en résulte permettent aux entreprises de renforcer leur présence sur les marchés traditionnels et de s’établir dans de nouveaux marchés ? On dirait que le raisonnement de notre professeur est à l’envers et que les étapes du succès à l’export sont inversées.

Comment accorder davantage d’attention à l’investissement local, deuxième composante du «nouveau modèle de développement» ? Presque tout le monde s’accorde sur cet objectif ; mais, les propositions innovantes pour le réaliser se distinguent par leur absence, si, comme il se doit, nous écartons les propositions habituelles dont l’utilité est incertaine, pour ne pas dire douteuse, qui consistent à accorder des rabais fiscaux et de charges sociales, ainsi que des aides de l’État.

Passer à l’économie du savoir, oui mais comment ?

Qui doit faire quoi et comment pour opérer le passage à «l’économie du savoir [et] le transfert de nouvelles technologies» – la troisième composante de la recommandation ? Le passage à l’économie du savoir et sa réussite constitue l’objectif de tous les pays du monde et le rêve de la majorité. On en parle, chez nous, comme si c’était une évidence et chose facile à faire – d’ailleurs, même depuis avant la Révolution. Quels sont le cadre et le contexte favorables à ce passage ? Quelles sont les mesures à prendre ? Encore mieux, quelles sont la stratégie et la formule qui permettent de réussir cette mutation de notre économie ? Est-il possible de passer de notre économie actuelle à une économie du savoir, ou bien y a t-il des étapes intermédiaires ? Quelle serait la durée de ce passage ? A mon avis, pas moins d’une génération, soit une vingtaine d’années, s’il est réussi et conduit assidûment. Dans ce cas, que faire, entre-temps, pour relancer l’économie, résorber le chômage et améliorer le niveau de vie ?

Autrement dit, quand on me recommande le passage à l’économie du savoir, comme remède à la crise actuelle, on ne me convainc pas que c’est la solution appropriée et préférée, et je ne sais toujours pas quelles mesures prendre, ni quoi faire pour m’en sortir. J’en suis au même point, sinon plus confus.

Finalement, nous n'avons pas besoin d’évoquer «un nouveau modèle de développement» pour reconnaître l’importance de «l’impulsion de l’investissement étranger» – quatrième composante de la recommandation. Sans esprit pointilleux ou nuances abstraites et superflues, je préfère le terme attraction à celui d’impulsion.

En effet, nous ne pouvons pas impulser l’investissement étranger, car nous n’avons aucune influence directe sur lui ; par contre, nous pouvons l’appâter, l’attirer. Pour ce, nous devons rendre notre pays et notre économie plus tentants et plus attirants – avec un projet et une stratégie audacieux, ambitieux et judicieux...

Je dois avouer que le concept et l’expression de «nouveau modèle de développement» sonnent bien,; ils sont tentants ; ils font fantasmer. Mais, tels que j’en ai entendu parler et selon ce que j’ai lu, concrètement et pratiquement, ils sont vagues, abstraits, peu utiles et impertinents.

En conclusion, non seulement avec cette conférence, mais d’une manière générale, nous restons sur notre faim, en attente de solutions, stratégies et projets pratiques, explicites, pertinents et convaincants.