Au lieu de se plaindre d’un hypothétique complot dont il ferait l’objet, le gouvernement ferait mieux de prendre à bras-le-corps les vrais problèmes du pays et les exigences de la transition démocratique.
Par Abderrahman Jerraya
A qui veut bien les entendre, les Nahdhouis seraient victimes d’un complot ourdi selon eux, par certains Rcdistes et perdants des élections du 23 octobre dernier. Ils disent avoir des preuves irréfutables, mais attendent le moment opportun pour les dévoiler, les porter à la connaissance du public.
Quelle consistance ?
On se perd en conjoncture sur les tenants et les aboutissants d’un tel complot. Qui a intérêt à faire tomber l’actuel gouvernement qui, par-dessus tout, a été légitimé par les urnes ? Ne sommes-nous pas embarqués sur le même bateau et, en cas de naufrage, c’est la noyade assurée pour tout le monde ? Et puis, à ce que l’on sache, seule l’Assemblée nationale constituante (Anc) est habilitée à prendre ce genre de décision, en conformité avec les dispositions de la loi portant organisation provisoire des pouvoirs de la présente mandature.
Le peuple tunisien, dans son écrasante majorité, est légaliste. Son acceptation unanime du verdict des urnes en est la parfaite illustration. Alors pourquoi ce procès d’intention si bien orchestré et bien ordonné. Et que vise-t-il ? Cette hypothétique rébellion n’est-elle pas voulue et entretenue par certains membres de la «troïka» ? Ne procède-t-elle pas d’une stratégie réfléchie et délibérée de diversion et de détournement ? Comme si les faux problèmes qui ne cessent d’agiter et diviser notre société ne suffisaient pas. Alors que ceux auxquels est confronté le peuple dans son quotidien (emploi, sécurité, explosion des prix…) sont relégués au second plan.
Le peuple tunisien a le sentiment d’être floué, frustré, le dindon de la farce. Il n’y a rien d’étonnant dans ces conditions qu’il soit amené de nouveau à manifester son mécontentement, son impatience, son ras-le-bol se traduisant par des actes de sit-in, barrages de route et autres débrayages de la machine économique. Il y a là de quoi entamer la crédibilité du gouvernement, nourrir le doute sur sa capacité à gérer au mieux la situation difficile que traverse le pays et susciter la méfiance à son égard. D’autant que ses dirigeants les plus en vue sont passés maître dans l’art du double langage, d’une rhétorique aussi vaine que peu convaincante. Ne disent-ils pas la même chose et son contraire ? Ne déclarent-ils pas qu’ils condamnent et combattent la violence d’où quelle vienne, qu’ils n’hésitent pas à appliquer la loi à l’encontre des fauteurs de troubles quelle que soit leur appartenance politique ou idéologique ?
Non aux fatwas incriminant les sit-inneurs. Crédit Photo- Maghrebia.com
Irruption de l’extrémisme
Mais la réalité est tout autre. Concernant l’extrémisme religieux en particulier, les pouvoirs publics n’ont de cesse de manifester un certain laxisme, sinon de la complaisance, un laisser-faire, ou même de l’indulgence. Le dernier exemple en date est celui de la profanation du drapeau national par l’un de ses activistes. Lequel court encore au nez et à la barbe des forces de l’ordre. Ce fut un affront à tout le peuple tunisien. Seul le colonisateur dans son temps s’était permis de procéder à un acte pareil, aussi méprisant, aussi humiliant.
Ce fanatisme religieux toléré a trouvé écho auprès de certains jeunes en mal de starisation, suffisamment dépersonnalisés, déculturés, sans repères pour profaner notre religion, notre livre sacré, nos lieux de prière. Seuls les déséquilibrés mentaux sont capables de faire une folie pareille. N’en tirons pas des conclusions hâtives et laissons à la justice le soin de nous éclairer sur le profil de ces gens hors norme, leurs motivations, leurs desseins. Mais une chose est sûre : ces deux extrémismes se rejoignent. Ils cherchent à détourner l’opinion des vrais problèmes qui sont essentiellement de nature économique et sociale, à déstabiliser le pays, à semer les germes de la discorde. Non, les Tunisiens restent unis et solidaires dans leur diversité, pour faire barrage à tous les extrémistes quel que soit le bord auquel ils appartiennent.
En guise de conclusion, disons qu’au lieu de continuer à distiller, à doses homéopathiques, des déclarations à propos d’un hypothétique complot, le gouvernement ferait mieux de prendre à bras-le-corps, outre les revendications récurrentes liées à l’emploi, l’amélioration de l’infrastructure, la justice transitionnelle et l’indépendance des médias: i) le traitement du phénomène de l’extrémisme, ii) les préparatifs pour les prochaines élections et iii) un projet sociétal devant être porté par la future constitution, où tous les Tunisiens, quelles que soient leurs convictions religieuses ou idéologiques, puissent se retrouver, se reconnaître, se respecter mutuellement et auquel ils pourront s’identifier. Ce faisant, il ne manquera pas d’y gagner en respectabilité, crédibilité et reconnaissance.