Le 5e congrès du Parti démocratique progressiste (Pdp) ne s’est pas déroulé «dans des conditions de transparence et de démocratie», comme l’a affirmé Maya Jeribi. Il a plutôt révélé de profondes fissures…
Par Moez Ben Salem
Parmi les Tunisiens déçus par la «troïka», la coalition tripartite au pouvoir (Ennahdha, Congrès Pour la République, Ettakatol), nombreux sont ceux qui attendaient monts et merveilles du 5e congrès du Parti démocratique progressiste (Pdp), qui devait précéder le processus de fusion avec d’autres partis centristes et certaines personnalités et aboutir ainsi à la création d’un «grand parti centriste» capable de constituer un contre-pouvoir à la «troïka».
Malheureusement, la montagne a accouché d’une souris et les congressistes ont eu droit à une mascarade monumentale provoquant un véritable schisme au sein du Pdp.
Les raisons d’un fiasco annoncé
Pour comprendre les raisons de ce fiasco, il faut revenir aux élections du 23 octobre 2011, qui ont vu le Pdp subir un véritable Waterloo électoral. Le parti, qui était annoncé comme la seconde force politique du pays après Ennahdha, a vu sa cote de popularité dégringoler au point de se retrouver en 5e position, devancé par le Cpr, Etakatol et El-Aridha. Pire, le Pdp n’a récolté que 120.000 voix, soit moins du 10e du nombre de votants d’Ennahdha.
Pourtant, les dirigeants du Pdp annonçaient à cor et à cri qu’il aurait au minimum 2 millions de votants. Il est clair que cette direction du parti, totalement coupée de sa base, était déconnectée de la réalité tunisienne.
Le Pdp a commis des fautes graves tant au niveau de sa ligne politique qu’à celui de ses prises de positions, toutes erronées.
Le Pdp était omniprésent dans toutes les batailles perdues, notamment celle du financement des partis, de la publicité politique, ou encore du référendum, sans oublier la campagne électorale calamiteuse qui n’a ciblé que le Grand-Tunis.
Pour se faire une idée de la déconnection des dirigeants du Pdp de la réalité, il suffit simplement d’évoquer une scène surréaliste au cours de laquelle il a été procédé à la distribution des portefeuilles ministériels et ce avant même la tenue des élections!
La terrible désillusion
Puis vint ce fameux 23 octobre 2011 et la terrible désillusion. Malgré le sentiment d’amertume qui les animait, les militants du Pdp ont fait bloc autour de leurs dirigeants. Toutefois, de nombreuses voix se sont élevées pour réclamer une évaluation des résultats de la campagne électorale du Pdp afin de déterminer les raisons de cet échec et faire en sorte qu’elles ne se reproduiront plus.
Ainsi, le bureau politique a chargé Mohamed Hamdi de faire un rapport d’évaluation qui a été présenté devant le comité central, le dimanche 13 novembre 2011. Ce rapport a insisté sur le mauvais positionnement politique su parti, ses mauvais choix (notamment celui de défendre les ex-Rcdistes, l’absence de rupture avec le passé), les graves défaillances de la communication interne, ainsi que l’absence de réformes au sein du parti.
Ce rapport, adopté par une large majorité du comité central, n’a pas été accepté par Néjib Chebbi, qui a voté contre. En homme raffiné et cultivé, il a du mal à se faire à l’idée que c’est à lui de faire l’effort pour comprendre les Tunisiens! Aussi a-t-il demandé discrètement à une autre équipe de 4 personnes de lui remettre un rapport confidentiel intitulé «Analyse de la performance du Pdp». Ce rapport, qui a avancé d’autres arguments, a parlé d’un «parti qui prêche par bicéphalie», de l’«utilisation de l’arabe littéraire dans les discours» ou encore des «habits austères de Maya Jeribi». Ces explications peuvent paraître burlesques et peu consistantes; elles ont néanmoins le mérite de ménager les hauts dirigeants du parti.
Le leadership de Chebbi fait-il partie du passé?
Clivage entre «historiques» et «conspirateurs»!
Les petites divergences nées de cet épisode allaient prendre une nouvelle tournure à l’occasion des élections pour la désignation du président du groupe parlementaire à l’Assemblée nationale constituante (Anc), au cours desquelles Issam Chebbi et Mohamed Hamdi ont présenté leur candidature. Sur les 16 voix, ce dernier a récolté 9, alors que le cadet des Chebbi n’a été crédité que de 5 voix.
Dès lors, la crise est entérinée: Mohamed Hamdi est accusé d’être «un putschiste cherchant à renverser la direction historique du parti». Tous les militants qui osent réclamer des réformes deviennent des conspirateurs. La direction du parti agite le spectre du complot, oubliant au passage qu’au même moment, l’opposition critique, à juste titre, la position de certains ministres du gouvernement qui évoquent la même théorie du complot sans apporter de preuves!
Un autre facteur allait entrer en jeu et aggraver une situation tendue: il s’agit de la situation financière du parti. Sa campagne électorale calamiteuse a englouti la somme colossale de 3,5 millions de dimars (MD), laissant un trou budgétaire de 1,4 MD. Encore heureux que NessmaTV ait renoncé à récupérer la somme de 600.000 dinars, autrement le déficit avoisinerait les 2 MD!
Au bord de la faillite, lâché par ses principaux mécènes, le Pdp se trouve dans l’obligation de faire une fusion avec Afek Tounes. Ce qui est annoncé comme «la création d’un grand parti centriste» n’est autre qu’une opération de sauvetage d’un parti en péril!
Mais pour la direction historique du parti, le danger devient double: de l’intérieur avec Mohamed Hamdi, mais aussi de l’extérieur avec Yassine Brahim, annoncé comme trop ambitieux.
Aussi le clan des Chebbi et de la vieille garde du parti ont-ils fait bloc pour écarter le danger. L’opération «épuration» commence lors des élections internes qui devaient désigner les 200 élus devant accompagner les 200 membres du comité central lors du 5e congrès du Pdp, programmé initialement les 17, 18 et 19 mars avant d’être reporté aux 7, 8 et 9 avril.
A la fédération de l’Ariana, ce fût un véritable chef d’œuvre en matière de tricherie! On a fait en sorte de gonfler artificiellement le nombre des adhérents, qui est passé d’une centaine à 570 en une semaine. D’un autre côté, de vrais militants sont empêchés de voter sous prétexte que leur carte de 2011 n’est plus valable et que celle de 2012 n’est pas prête!
Une purge stalinienne
Qu’importe la méthode, l’essentiel est de faire passer une liste préétablie de futurs congressistes formatés. Les irrégularités seront constatées un peu partout, dans la plupart des fédérations. La machine est en marche: «Je veux des soldats», martèle Maya Jeribi, la secrétaire générale du parti, qui oublie au passage qu’un général a besoin également d’officiers et de sous-officiers. Une véritable purge stalinienne s’annonce au sein du parti écartant toutes les compétences et tous les militants qui n’ont pas fait serment d’allégeance à la direction du parti; une véritable opération «Toukhatchevski-bis»!
Le comité d’experts, considéré comme le «diamant» du parti, sera victime d’une véritable hécatombe et payera le plus lourd tribut de cette épuration puisque la majorité de ses membres seront plus tard écartés.
Pendant ce temps, la tension monte au sein du parti entre le courant conservateur, constitué de la vieille garde et du courant réformiste dirigé par Mohamed Hamdi. Le clash final aura lieu lors du congrès de Sousse, censé être unificateur!
Trois jours avant l’ouverture du congrès, les congressistes reçoivent un mail de Chaker Chebbi, neveu de Nejib et responsable de l’organisation du congrès, comprenant le programme et les différentes motions. Il était indiqué clairement que les élections des membres du comité central étaient prévues le dimanche 8 avril à 9 heures du matin. Seulement, à leur arrivée à Sousse, le samedi soir, les Pdpistes «non pistonnés» ont eu droit à une surprise: un changement de programme impromptu en vertu duquel les élections se tiendraient le soir même, à 1h30 du matin, juste après la présentation des rapports moral et financier. Cela aurait été l’excuse parfaite pour écourter les débats autour de ces 2 rapports!
Mehdi Ben Gharbia, une ambition au bord de la rupture.
Marsois et Arianais aux avants-postes!
L’ambiance devient surchauffée et le président du congrès, Abdejabbar Reguigui, est obligé, au terme d’un vote, de revenir au programme initial et de maintenir les élections du comité central au dimanche matin. Sage décision, car les débats se sont poursuivis jusqu’à une heure très tardive de la nuit (environ 5 heures du matin), dans une ambiance électrique, de nombreux congressistes critiquant ouvertement la mauvaise gestion financière au sein du parti.
Il y a lieu de signaler que le rapport financier a été présenté oralement, sans support écrit ou visuel, sans affectation budgétaire précise et sans qu’il soit contrôlé par un commissaire au compte comme le stipule la loi.
Le 2e jour du congrès, après une nuit presque blanche, les congressistes ont eu droit à une seconde surprise: une liste de 156 noms «cautionnés» par la direction du parti qui était distribuée sous le manteau. Curieusement cette liste comportait des numéros qui étaient les mêmes que ceux attribués aux candidats par le comité d’organisation, démontrant l’implication et le parti-pris de la direction du Pdp. Une seconde liste, plus consensuelle établie par Hamdi, circulait également, sauf qu’elle ne comportait pas de numéros. Le climat de suspicion s’alourdit et, pour couronner le tout, six candidats ne trouvent pas leurs noms dans les listes. C’est la goutte qui fait déborder le vase et pour éviter les débordements incontrôlés, le président du congrès est obligé d’annuler les élections et de les refaire en début d’après midi et ce, sous les yeux désabusés des journalistes présents, des congressistes des autres partis qui s’attendaient à tout sauf à ce spectacle affligeant!
La liste des 156 personnes élues au comité central révèle la présence d’une dizaine de Chebbi, d’un nombre démesurément élevé de Marsois (fief de Néjib) et d’Arianais (fief de Issam), avec plus de 50% d’élus originaires du Grand Tunis. En matière de népotisme et de régionalisme, il est difficile de faire mieux!
Les élections du bureau politique ont permis d’éliminer tous les réformistes qui avaient réussi à passer par les mailles du filet du 1er tour, et ce suite à des consignes de vote très strictes.
Quand au bureau exécutif, il sera composé, côté Pdp, de 10 personnes, dont 8 «soldats de Maya»; seul un économiste, membre du comité d’experts, réussira à se maintenir à son poste.
Les réformistes de leur côté vont s’organiser: 9 élus à la Constituante annoncent le gel de leurs activité au sein du Pdp; il en sera de même pour une majorité de fédérations et de sections qui rallient le camp des réformistes et menacent de faire sécession.
Le Pdp sort meurtri et divisé de ce duel fratricide. La malédiction qui s’est abattue sur les partis Etakatol et Cpr le frappe à son tour. Yassine Brahim, qui pensait réaliser la bonne affaire dans la perspective d’élections présidentielles en 2018, devra revoir sa stratégie et ses ambitions.
Quant aux Tunisiens, qui attendaient un miracle de ce congrès, ils devront prendre leur mal en patience avant de voir apparaitre une réelle structure politique capable de contrer le parti Ennahdha.
Maya Jeribi aura beau tenter de minimiser la gravité de la situation et d’affirmer sur les ondes d’une chaîne radiophonique que le congrès était réussi, que les élections s’étaient déroulées «dans des conditions de transparence et de démocratie, que les contestataires étaient de mauvais perdants qui ne voulaient pas accepter les résultats des urnes… », discours qui rappelle étrangement celui d’Ennahdha à propos de ses opposants.
Mais personne n’est dupe!
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