Helmi ne voit pas la bête arriver. Il sous-estime la criminalité. La bête le guette, le soulève et le jette de plein pied au fond des pneus enflammés comme dans un entonnoir, comme dans la géhenne.
Par Dr Lilia Bouguira
Que ceux qui ne supportent pas détournent leurs yeux mais pas leur cœur. Que ceux qui n’aiment que le plat et le lisse quittent les lieux pour ne plus me heurter.
Pour une fois je sais que ce qui m’anime dans mes écrits n’est plus la déraison mais une pulsion de vérité et de dénonciation.
Une écriture torrentielle qui se veut fracassante emportant tout sur son passage, ne laissant rien, ne ménageant rien, même pas nos pudeurs ni nos interdits.
Pourquoi se retenir lorsque le regard ne porte plus, la foi n’apaise plus, que nos paupières se veulent des portes fanatiques qui ne nous racontent plus et qui nous cachent à l’essentiel, que nos cœurs deviennent traitres et ne s’emballent plus à ses cris.
Je l’entends hurler la nuit. Je l’entends hurler le jour. Ses cris déchirent le ciel en continu.
Mes peaux cartonnent, grillent sans s’arrêter. Elles sentent le roussi et le calciné. Le délire m’habite, le diable aussi.
Dieu ne fait plus. L’homme fait. Dieu est absent. L’homme se substitue.
La bête immonde, la faucheuse a son égale dans ce sous-homme qui traque l’enfant par son uniforme de loi, s’engage dans un sentier fait de pierres et de pneus en feu.
Le gamin court, court à perte d’haleine. Un cagoulé sorti de nulle part, deux paires d’yeux. Il fuit le monstre, le monstre lui court après. Un pas et il est sauvé.
Il n’y a plus de place qu’au blasphème désormais
Helmi est âgé d’à peine seize ans lorsque le destin s’enchevêtre. Un canevas de moisissure sur des vies à peine entamée que brisée.
Helmi est originaire de Kasserine, ville de mes origines si tiraillée.
Ambiguïté, misère et dignité ne rendent pas les choses faciles lorsque l’appel à l’honneur s’élève plus fort que celui de la prière par ce mois de janvier.
Le bain maure de la cité Ezzouhour est bombardé de lacrymogènes par des mains criminelles, les femmes asphyxiées se ruent nues dans la rue. Des cris, des larmes, des ululements! Les femmes déshonorées se griffent le visage en guise de dernière pudeur. La honte n’a pas d’équivalent.
Les hommes dans le café d’en face accourent en hurlant. Ils forment un bouclier à ces femmes une armure d’occasion pour les protéger de l’œil pervers et curieux La honte est parjure et trahison. La honte est une damnation.
Helmi court encore pour chasser les charognards et les rodeurs avides de criminalité, des policiers de Zaba en pleine furie. Il aiguise, vise et lance un franc tir de pierres sur la tête d’un policier qui encore affrontait la population en plein désarroi, car dans ces contrées l’honneur n’a pas de prix.
Helmi ne voit pas la bête arriver. Il sous-estime la criminalité. La bête le guette, le soulève et le jette de plein pied au fond des pneus enflammés comme dans un entonnoir, comme dans la géhennée.
La crémation a un nom couplé à Hitler. Je n’invente rien, la réalité dépasse la fiction.
En une fraction de seconde, Helmi s’embrase des pieds à la tête, ménageant sa face d’ange qui dépassait.
Ouh et encore Ouh pour ces crapules, ces criminels qui appellent à la haute trahison et à la réconciliation et sont dans le déni.
Descente aux enfers, des peaux mortes et calcinés sur la presque totalité.
Une odeur de roussi, de grillé de «mchouchéte», de «mahrouke» lui colle à jamais, lui valant neuf mois d’hospitalisation, cinq mois de coma sur de l’oubli, de la négligence et de l’abandon.
Helmi est un dur. C’est un ressuscité, et pourtant combien il aurait aimé partir à jamais, s’emparer de la faucheuse et l’enfourcher.
Pas un mot, pas un geste que de l’oubli, parce que, lorsque Helmi a été enfin capable de réveil, les listes des martyrs et des blessés était faite depuis belle lurette.
Je hurle Helmi dans mes nuits. Je hurle Helmi dans mes jours, mais Helmi est absent depuis que je l’ai découvert dans une émission télé.
J’ai presque failli abandonner mes recherches lorsque le destin s’en mêle comme dans un repentir, un rachat à la vie, un don de Dieu.
Mon frère m’appelle, il y a trois jours, pour me solliciter pour son ouvrier, un brûlé.
Je hurle Helmi, il me répond un oui étonné. Je cours m’agenouiller, l’heure n’étant plus au blasphème mais à la rédemption, la main forte à prêter pour cet enfant, sa vie à peine commencée que déjà fanée !
L’heure est à la cicatrisation, à la réparation, à la greffe et à la culture de peau hors nos contrées.
En France oui en France, ils sont réputés pour, alors mes amis je vous invite encore à ce défi à relever!
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