Une «séance fiction présidentielle» pour se consoler du ratage mémorable d’un objectif vital de la révolution: parer au manque d’eau fatal pour notre économie.

Par Cheikh Khalifa Mohamed Habib*


En regardant cette audience (voir vidéo) et le salamalec qui l’a clôturée au palais présidentiel de Carthage, le 26 mars dernier, et dont les enjeux primordiaux évoquées par les visiteurs peuvent être couplés aux intérêts, tout aussi fondamentaux pour la Tunisie, à savoir la prise en compte de nos besoins en eau qui sont à parité avec la lumière que les visiteurs vont pomper de notre désert. Et quand on s’aperçoit que notre quête n’a même pas été évoquée et que la leur a été satisfaite sans contrepartie apparente, on reste amer et inconsolable face au ratage mémorable d’un objectif vital de la révolution: parer au manque d’eau fatal pour notre économie!

Il ne reste que la fiction pour se consoler! C’est pourquoi j’ai aimé que l’audience se déroule ainsi:

Le Président, après avoir écouté les quémandes de ses hôtes, leur répond ce qui suit: «Le projet dont vous parlez est excellent, d’ailleurs pas mal de groupes nous ont demandé audience à ce sujet, dont un Chinois, mais compte tenu des
relations privilégiées que nous avons avec le Royaume Uni, je vous ai reçu en premier.»

L’hôte, son excellence l’ambassadeur de sa gracieuse majesté, répond avec le sourire: «Merci monsieur le président.»

Le président: «En effet notre glorieuse révolution est fort redevable à Londres qui, en deux décennies, a pu faire subir une véritable mue à notre Guide Suprême; il s’est métamorphosé de salafiste invétéré en démocrate hors-pair!»

L’hôte : «Cela coule de source en effet, il ne faut pas perdre de vue que notre démocratie a débuté au XIIe siècle pour se peaufiner au XXe et encore,
elle n’est jamais achevée.»

Le président: «Etant donné nos priorités à très court terme et afin de répondre aux sollicitations de mon peuple et surtout dans le tiers sud du pays…»

L’hôte: «Bien-sûr, s’agissant de votre terreau d’origine et, démocratie naissante oblige», approuve son excellence.
Notre vénérable président, boosté par son background de défenseur des droits
de l’homme et surtout celui d’avoir accès à une eau potable aux normes de standards internationaux, enchaîne…

Le président: «Ainsi, nous devons fournir au citoyen une eau de qualité aux normes de l’Oms à 0,25g de sel par litre – et c’est un médecin qui vous parle –. J’ai besoin d’établir avec vous une relation gagnant/gagnant.»

L’hôte: «Vos sollicitations sont des ordres», répondit son excellence, imbu de diplomatie plus que millénaire.

Notre président, fier d’une légitimité fraichement acquise, et portant à cœur les objectifs de la Révolution – qui a mérité un «standing ovation» de la part du Congrès US – à savoir la dignité et le plein emploi, explique: «En effet, la situation de stress hydrique endémique qui sévit en Tunisie ne cesse d’empirer avec le changement climatique. Et comme vous savez, la dotation d’eau renouvelable par an et par citoyen ne dépasse pas les 500 m3, ce qui constitue à peine le 1/5 de celle des sujets de sa gracieuse majesté en U. K.! Alors qu’elle doit être d’au moins de 1.500 m3, donc vous voyez bien que je suis à la recherche des 1.000 m3 vitales pour chaque citoyen.

L’hôte: «En effet, le gap est abyssal! Mais, monsieur le président, je ne vois pas le rapport entre notre projet servant à pomper de l’électricité de votre «no man’s land» du désert en vue de l’acheminer vers la rive nord de la Méditerranée pour alimenter 700.000 foyers de nos concitoyens; alors que vous nous parlez d’histoire d’eau!»

Notre bien aimé président, gavé des conseils de sa Cour des Miracles, composée d’une fournée de conseillers triés sur le volet – des sommités de la science et des arts, polyglottes, élitistes et un peu touche à tout –; et qui est à la quête, depuis belle lurette, de la pierre philosophale capable de fournir à l’économie du pays fraichement conquis par une troïka aux abois, les douze milliards de mètres cubes d’eau nécessaires pour le hisser, en une décennie, au rang des nations les plus nanties. Notre vénérable président aspirant à la pérennité en l’état, sort le grand jeu.

Le président: «Comme vous savez, j’ai subi les foudres de l’ancien régime et j’ai passé dix ans en exil en France où j’ai pu voir, dans les rues de Paris, la chiraquienne à l’œuvre sur les trottoirs de la ville des lumières, nettoyant et rinçant à longueur de journée, et à l’eau potable s’il vous plaît! Je me suis dit que pendant mon règne, pardon mon mandat, je dois réaliser de tels exploits dans toutes les cités du royaume, pardon de la république!»

L’hôte: «C’est fort louable l’intérêt que vous porter au bien être de votre peuple et çà se constate, vu la ferveur et l’émotion de votre discours Sir, pardon monsieur le président!»

Le président: «Dieu Soit Loué, Dieu Soit Loué, Dieu Soit Loué! Donc, messieurs, au stade où en est la technique, je crois savoir qu’en produisant l’électricité solaire à zéro émission de Co², on peut avoir un produit résiduel
du processus de production à savoir l’eau potable distillée, et ce selon le processus de cogénération!
»

Oui, répond, un peu contraint et contrarié, l’accompagnateur de l’hôte, investisseur dans son état et promoteur du projet TuNur (voir vidéo) dont il s’agit, et qui n’a jamais eu l’idée de penser aux gens qui peuplent ce «no man’s land» ni à leurs besoins en eau, ni son associé le bipède local, et qui n’a de local que la carcasse, quant à la cervelle elle est formaté ailleurs et en dehors de toutes références à ses géniteurs pétris de stress hydrique à vie!

L’investisseur promoteur : «En effet, la production de l’électricité peut être accompagnée de celle de l’eau monsieur le président!»

L’hôte: «Voilà vos soucis, Dr. Président, ils sont ainsi dissipés!»

Le président: «Ainsi, si je veux vous pourriez! Dieu Soit Loué! Pour concrétiser nos désidératas, je vous confirme donc l’intérêt des protagonistes, à savoir: pétrole contre nourriture. Pardon, électricité à zéro émission de Co² contre eau distillée! Louange à Dieu le Miséricordieux!»

L’hôte: «Yes Sir. Pardon, oui monsieur le président. En outre et si j'ai bien compris, vous voulez aussi faire écumer les trottoirs de la république à la marzouquienne, par référence à la chiraquienne de votre ancien hôte, l’ex-président Chirac!»

Le président«Vous avez tout compris, votre excellence, et j'espère que tous nos diplomates soient de votre acabit! Pour ce faire, notre challenge, notre deal, ou plutôt notre new deal est de concrétiser notre accord pour un tel projet et ce par la réalisation d’un prototype d’unité de dessalement d’eau de mer/production d’électricité que je ferais soumettre à notre Assemblée nationale constituante (Anc) pour approbation, et détaillant  les obligations  des deux parties comme suit: 1) la partie tunisienne sera représentée par ses 2 compagnies nationales (la Sonede et la Steg), et fournira le terrain idoine et le rayonnement solaire – don de Dieu, Dieu Soit Loué! – d’une part; 2) l’Investisseur promoteur TuNur réalisera à ses frais – le projet clé en main – fournissant un million de m3 d’eau potable par jour/minimum en plus de l'électricité que la technique permet!; 3) la réalisation dans un délai de 24 mois à partir du 14 janvier 2013!; 4) l’échange s’effectuera à concurrence d’un KWatt contre un m3 d’eau et, pour le supplément d’électricité, 50 % pour le promoteur et 50% pour la Steg; 5) la livraison s’effectuera porte usine pour la partie tunisienne.»

L’hôte: «C’est clair comme l’eau de roche, Dr. Président, c’est en somme de troc qu’il s’agit, sans circulation monétaire. Comme le faisaient vos aïeux les Phéniciens! En effet, en écumant les mers durant l’antiquité, ils sont arrivés jusqu’aux côtes de nos îles pour le proposer et ça marchaient bien!»

Le président, ravi par cette référence historique, et se délectant de la feinte d’humour So British de son illustre hôte, tient à nuancer la référence: «C’est clair comme l’eau distillée, en effet, cette fois-ci, c’est l’acheteur qui s’est pointé pour chercher le produit, XXIe siècle et village monde initié par le Grand explorateur Cook, obligent!

L’hôte, sur le départ, demande: «Vous m’avez parlé de groupe chinois tout à l’heure?»

Le président: «Et bien, figurez-vous, votre excellence, compter vous incruster dans le créneau pour nous fournir de l’eau distillée à satiété et exporter notre électricité verte sans que nous investissions un kopeck! Avec en prime la promesse d’achat à terme de notre supplément de récolte d’huile d’olive!»

L’hôte: «Ainsi vous pensez entrer de plain-pied dans la géostratégie monsieur le président.»

Le président: «C’est un peu du commerce triangulaire où tous les partenaires sont gagnants, d’autant plus que les excédents financiers chinois cherchent à s’investir dans l’économie réelle et quitter la bulle financière... et la City!

L’hôte, sorti pour une fois de ses gongs: «Sauf l’Europe qui verra sa fourniture d’énergie entre les mains de concurrents d’extrême orient, non jamais, il ne manquera plus que cela votre honneur!»

Le président: «Mais tout ceci n’est encore que supputation, votre excellence, et c’est à ce titre que je vous ai reçu en premier. D’ailleurs, ceci est en droit fil de nos préceptes islamiques en matière de cohabitation avec nos voisins mitoyens!»

L’hôte: «Mon cher président considère que cette affaire est close comme convenu précédemment et le prototype sera construit – illico presto – avec un contrat de partenariat stratégique à la clef avec la Communauté Européenne  pour tout le projet couvrant les 12 Km3 d’eau dessalée sans que la Tunisie dépense un cent d’euro!»

Le président: «Telle étaient mes intentions votre excellence!»

L’hôte: «Nos intentions et nos volontés réciproques».

C’est ainsi que conclue l’ambassadeur tout en subissant l’assaut d’une embrassade à l’orientale doublée, par notre bien-aimé président, d’une accolade surclassant celle offerte par le sénateur américain John McCaïn, à la Primature, à son Mentor Hamadi Jebali, et qui a été livrée en pâture sur tout les réseaux sociaux et visionnée en long et en large par tous les électeurs médusés. Cette séquence a été aussi phagocytée par quelques malintentionnés qui en ont fait une mauvaise propagande pré-électorale.

«Qu’adviendrait-il d’accolade présidentielle donnée au représentant d’une puissance secondaire?», se demande le président, habile négociateur, dans la hantise et la peur de subir les remontrances du chef de la Primature, élément prépondérant du triumvirat.

Sur ce, la séance est levée et clôturée par un grand salamalec mémorable.

*- Haut fonctionnaire à la retraite.

Article du même auteur dans Kapitalis:

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