En Tunisie, vivons-nous dans un Etat de droit? C’est la question qui me taraude l’esprit depuis la mise en place d’un gouvernement provisoire dominé par le parti islamiste Ennahdha.

Par Moez Ben Salem


 

En effet, depuis cette date, chaque semaine apporte son lot de scandales, de comportements hors la loi, souvent d’ailleurs impunis, de dérives sécuritaires graves, de décisions de justice ubuesques, sans oublier, bien entendu, l’installation d’un émirat salafiste quelque part sur le territoire national, véritable Etat dans l’Etat!

Je ne vais pas pouvoir énumérer tous les actes de transgression de la loi qui ont été commis au cours des derniers mois car il me faudrait écrire un livre entier, aussi vais-je me contenter de passer en revue  les 10 situations qui me paraissent les plus graves.

Le 9 avril à Tunis, la police revient à ses pratiques d'antan.

1- L’occupation de la faculté des lettres de la Manouba par des salafistes:

C’est une affaire honteuse qui a pourri la vie, des mois durant, à des milliers d’étudiants et d’enseignants universitaires et dans laquelle se mêlent l’incompétence et la mauvaise foi du gouvernement.

Un certain 28 novembre 2011, deux étudiantes en niqab sont, en toute logique, empêchées de passer des examens. Elles font alors appel à un groupe de salafistes, en majorité étrangers à la faculté, qui occupent l’administration, empêchent le déroulement normal des cours, agressent étudiants, enseignants et même le doyen de la faculté en toute impunité.

Cette affaire, largement relayée par les médias, nationaux et internationaux, a  gravement terni l’image de la Tunisie à travers le monde, au vu et au su du ministre de l’Enseignement supérieur, connu pour son idéologie religieuse fondamentaliste proche de l’extrême droite, qui n’a pas trouvé mieux que d’en imputer la responsabilité au doyen de la faculté !

2- La profanation du drapeau national en toute impunité:

Conséquence du pourrissement de l’affaire de la faculté des lettres de la Manouba et de l’étrange passivité du gouvernement face aux agissements des salafistes, l’un des activistes religieux s’est permis d’arracher le drapeau tunisien et de le remplacer par la bannière noire de son groupe fondamentaliste, au grand dam de millions de Tunisiens qui se sont sentis blessés et meurtris dans leur âme par ce geste insensé. Heureusement qu’à cet instant, une jeune fille armée de son courage a su tenir tête à l’énergumène et remettre en place notre drapeau, symbole du sacrifice des martyrs qui ont donné leur vie pour que la Tunisie soit un pays souverain et indépendant.

Le pire dans cette affaire est que le profanateur,  quoique identifié, n’a pas été inquiété outre mesure par les autorités. Il a pu ainsi se pavaner à sa guise pendant des semaines avant de se rendre de son plein gré à la police. Traduit en justice, il n’a écopé que d’une peine de prison de 6 mois avec sursis, qui en dit long sur l’indépendance de la justice.

(Pour information, si la loi avait été correctement appliquée, le profanateur aurait dû être condamné une  peine de 1 an de prison ferme).

Les salafistes imposent leur loi à l'université.

3- La parade des prédicateurs ignobles:

Durant les mois écoulés, notre pays a vu défiler de nombreux apprentis-prédicateurs d’opérette, le plus célèbre d’entre eux étant le dénommé Wajdi Ghanim, qui s’est rendu tristement célèbre en faisant l’apologie de l’excision des fillettes, coutume barbare datant de la Jahiliya (la période antéislamique). Cet odieux personnage, condamné dans son propre pays, n’a pas trouvé mieux que de profiter de l’hospitalité des Tunisiens pour venir les insulter, et ce avec la bénédiction de certains hauts cadres du parti Ennahdha, de membres de l’Assemblée nationale constituante et même de membres du gouvernement, qui lui ont déroulé le tapis rouge.

Comment un Etat de droit pourrait-il se permettre d’autoriser une personne étrangère à venir lancer sur son sol des appels à la haine et à la discorde?

4- Les milices au service du parti-Etat :

Par une sorte de syndrome de Stockholm, Ennahdha semble suivre le chemin de l’ancien parti au pouvoir, le Rcd, dans bien des domaines, notamment celui des milices, chargées de faire le sale boulot!

Lors de la marche du 9 avril, destinée à commémorer le sacrifice des martyrs, l’auteur ces lignes était aux premières loges pour voir ces milices barbues à l’œuvre, en train de tabasser de simples citoyens venus fêter pacifiquement un évènement cher à leurs yeux.

Comme si le fait de lancer des gaz lacrymogènes était insuffisant, le ministre de l’Intérieur, cherchant visiblement à montrer un semblant d’autorité, a permis à ces milices d’agir en toute impunité et au mépris des lois élémentaires du respect des droits de l’homme.

Les salafistes essaient d'imposer leur loi... avec l'indulgente complicité d'Ennahdha.

5 - La tentative de mainmise sur la télévision nationale

Continuant sur leur lancée et cherchant à «aider» le parti au pouvoir à asseoir sa domination sur les médias et notamment la Télévision nationale et ses deux chaînes Watanya1 et Watanya 2, ces milices ont organisé un sit-in juste en face du siège de l’établissement, offrant, deux mois durant, un spectacle désolant de voyous lançant à travers des mégaphones des slogans orduriers, appris par cœur, et des grossièretés à l’adresse des speakerines et présentatrices du télé-journal. Trois d’entre elles, n’en pouvant plus de voir leur honneur atteint par ces énergumènes, ont préféré démissionner.

Pour pouvoir camper de la sorte deux mois durant, il est clair que ces individus n’ont pas d’autre boulot, ce qui pourrait laisser penser qu’ils sont payés pour le faire, d’autant que certains témoins affirment avoir vu des voitures venir régulièrement apporter de la nourriture (et pourquoi pas autre chose) à ces sit-inneurs décidément très professionnels.

6 - Des Salafistes au dessus des lois :

Il semble que, sous le «règne» d’Ennahdha, les salafistes bénéficient d’une impunité totale et qu’ils peuvent mener des actions violentes sans courir le moindre risque pénal. Il suffit de rappeler les agressions contre des journalistes (notamment des journalistes Zied Krichène et Sofiène Ben Hamida), de l’universitaire et écrivain (Hamadi Redissi), des artistes, des innombrables citoyens (et, surtout, citoyennes) ordinaires, et ce en toute impunité.

Il y a lieu de noter que même les agents de police peuvent être victimes d’agressions de la part de ces salafistes, que le chef d’Ennahdha décrit comme ses «propres fils», qui lui rappellent sa «prime jeunesse»!

Si les forces de police ne sont même pas capables de se protéger elle-mêmes contre ces individus violents, alors comment pourraient-elles protéger les citoyens?

Les forces démocratiques muselées par le nouveau poucoir.

7 - Les appels au meurtre impunis :

De nombreux Tunisiens sont scandalisés par cette douloureuse affaire d’appel au meurtre à l’encontre des juifs lancé par des extrémistes lors de l’arrivée de l’ex-Premier ministre palestinien Ismail Haniye. Non seulement cet appel au meurtre est resté impuni mais il s’est répété à plusieurs reprises. Le cas le plus édifiant est celui de l’appel au meurtre lancé publiquement contre l’ancien Premier ministre par un fonctionnaire de l’Etat, un haut cadre du ministère des Affaires religieuses de surcroît, dont le salaire est payé par le contribuable tunisien!

8 - L’affaire Nessma TV :

C’est une affaire pour le moins abracadabrante dans laquelle les agresseurs sont innocentés alors que la victime est condamnée!

Quelques semaines avant les élections du 23 octobre 2011, la chaîne privée Nessma TV a eu la malencontreuse idée de diffuser le film ‘‘Persépolis’’. Ce film qui avait été auparavant projeté dans diverses salles de cinéma a été jugé blasphématoire par certaines personnes qui ont réussi à faire une manipulation politique, de sorte que des hordes d’énergumènes excités et endoctrinés se sont attaqués à la personne du directeur de la chaîne ainsi qu’a des membres de sa famille.

La justice a quasiment blanchi les agresseurs. Elle a, en revanche, condamné le directeur de la chaîne à payer une lourde amende.

Il y a lieu de noter que le verdict a été prononcé le jour même de la célébration de la liberté d’expression, ce qui a suscité une vive réaction d’indignation de la part de l’ambassadeur des Etats Unis d’Amérique. Et d’organisations internationales de défense des libertés.

9 - Dédommagement des islamistes ou le hold-up du siècle:

Au moment où la situation économique du pays s’aggrave très sensiblement, où le chômage s’amplifie, où l’inflation galopante rogne le pouvoir d’achat du citoyen tunisien, qui trouve toutes les peines du monde à joindre les deux bouts, et où les blessés de la révolution sont livrés à eux-mêmes et traités de façon indigne, les membres du gouvernement islamiste ne trouvent pas mieux que de sortir cette histoire d’indemnisation des victimes de la répression de Ben Ali.

Certaines rumeurs font état d’un montant astronomique (non confirmé) d’une cagnotte de 750 millions de dinars qui serait répartie entre les anciens prisonniers politiques. Ce qui constituerait un véritable hold-up sur les caisses de l’Etat, déjà à moitié vides!

Heureusement que dans notre pays, il reste des hommes et des femmes dignes qui refusent de manger de ce pain, notamment ces militants de gauche qui ont annoncé qu’ils refuserait de percevoir ces indemnités et qu’ils ont milité pour la libération et l’émancipation de leur peuple, et non pour être… rémunérés pour leur combat!

10- L’émirat salafiste du Sejnanistan

C’est sans doute l’affaire la plus grave, qui semble relever du surréalisme !
Divers médias tunisiens et étrangers ont révélé cette histoire gravissime de l’établissement d’un émirat salafiste dans le paisible village de Sejnane (nord-ouest), dont les habitants se trouvent à la merci d’un groupe de fondamentalistes religieux qui fait régner la terreur, à travers des actes de torture sur de paisibles citoyens. Un Etat dans l’Etat!

Le pire est que cette affaire dure depuis des mois sans que le gouvernement provisoire ne lève le petit doigt pour y remédier, se dérobant derrière des dénégations qui ne convainquent personne.

Tout récemment, un groupe d’une centaine d’étudiants, transitant par ce village, se sont fait menacer, insulter et même violenter par des extrémistes salafistes, sans que la police ne daigne intervenir.

Tout ce que notre gouvernement a trouvé comme commentaire, c’est de dire qu’il ne s’agit pas de touristes étrangers, mais d’étudiants tunisiens!

Ceux qui croient encore que la révolution tunisienne est celle de la dignité doivent déchanter!

En définitive, même si nous nous réjouissons du départ du tyran Ben Ali, nous devons nous résoudre à accepter le fait  que le chemin vers l’établissement d’un véritable état de droit en Tunisie est encore long et semé d’embuches !

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