Un Comité national de veille, d’action et de défense de l’enseignement républicain vient de voir le jour faire face au danger qui guette les institutions scolaires et universitaires par l’intrusion du wahhabisme.
Par Mohamed Ridha Bouguerra*
Disons-le d’emblée et sans circonlocutions inutiles, c’est à la mise à mort du modèle de l’enseignement moderne tunisien que trois ministres, ceux de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et des Affaires religieuses, ainsi que le conseiller du Premier ministre pour l’Éducation et, last but not least, le chef du principal parti au pouvoir, Ennahdha, ont apporté leur caution officielle, samedi 12 mai, au cours d’une bien étrange et bruyante cérémonie qui a eu pour cadre la vénérable mosquée Zitouna.
Liquidation de l’héritage moderniste de Bourguiba
En apposant leur paraphe au bas d’un document qui redonne vie à un type d’enseignement d’inspiration religieuse et aux méthodes désuètes, ces officiels ont délibérément décidé de s’attaquer à l’œuvre moderniste mise en place en 1956 par le nouvel État post indépendant et par nos premiers responsables de l’éducation, les Lamine Chebbi, Mahmoud Messaâdi et Ahmed Noureddine!
C’est l’héritage de Bourguiba que MM. Moncef Ben Salem, Abdellatif Abid et Abou Yaâreb Marzouki cherchent à liquider définitivement, eux qui en sont le pur produit! C’est la division du peuple tunisien que l’on nous prépare par cet enseignement diplômant qui se veut autonome et distinct de celui de la république et auquel ont paradoxalement applaudi les deux ministres actuellement chargés de ce secteur en présence des plus notoires parmi les dirigeants salafistes! Ce sont de futurs talibans que l’on se prépare à nous former! C’est à de futurs censeurs du tunisian way of life que nous aurons bientôt affaire avec la bénédiction des plus hautes autorités de l’État!
Bourguiba à la Zitouna dans les années 1960: séparation, autant que faire se peut, de la religion et de l'Etat.
La «wahhabisation» de l’enseignement Zeïtounien
Ce serait là un scénario catastrophe improbable penseraient certains. Qu’ils lisent alors les déclarations de certains hommes de religion rapportées par La Presse de mardi 15 mai qui rend compte de la cérémonie dont il est ici question. Parmi les oulémas cités, le cheikh Mokhtar Brahmi, écrit le quotidien francophone, «en est venu à présenter purement et simplement ses condoléances au peuple tunisien […] pour la perte de la Zitouna, livrée, selon ses termes, aux wahhabites!»
Citons encore, toujours d’après La Presse, cheikh Farid El Béji qui ne cache pas sa satisfaction d’assister à la reprise des cours à la Zitouna, mais qui n’en est pas moins très inquiet: «La présence des salafistes au cœur de cette institution représente une provocation à l’adresse des Zeïtouniens et un signe qui ne trompe pas que des concessions leur ont été faites». Et notre cheikh de poursuivre ainsi: «Les salafistes, je les connais bien, je reçois de leur part des menaces de mort tout le temps. Ce sont des gens qui commencent par prôner le rassemblement et, à la moindre divergence, vous traitent d’apostat et appellent à votre mort... Ce sont des ‘‘exclusionnistes’’»!
Le grand imam de la Zeïtouna, cheikh Houcine Laâbidi, lui, serait d’un autre avis. La présence des chefs salafistes, est, selon lui, justifiée par son aspiration à unir tous les Tunisiens, note le journaliste de La Presse. Il considère, en outre, que «les ennemis, ce sont les autres, les ‘‘croisés’’», rapporte encore La Presse. Aussi, notre dignitaire religieux, qui serait le responsable proclamé de l’enseignement à la Zitouna, de déclarer que nos «médecins ont appris la médecine chez les Français avec les lacunes que nous connaissons, parce que les Français ne livrent jamais toutes les connaissances; ces médecins ne savent même pas s’expliquer en arabe et livrent des ordonnances incompréhensibles. Nous voulons moraliser la médecine, nous voulons des médecins à la fois compétents et pieux qui craignent Dieu. Qu’ils enseignent leur médecine et nous enseignerons la nôtre»!
Nous aurons donc dans un avenir proche et prometteur, selon ses promoteurs, non seulement deux types d’enseignement, l’un moderne et étatique et l’autre religieux et hors de tout contrôle avec ce que cela entend comme dérives, mais également, deux médecines, l’une classique, scientifique et reconnaissant des procédures et des protocoles internationaux et une autre spécifiquement musulmane! Et pourquoi pas aussi une chimie et une physique qui se contenteraient de leurs origines arabo-musulmanes et feraient fi de toute l’accumulation du savoir engrangé depuis les siècles du «salaf essalah»!
Ghannouchi à la mosquée Zitouna en 2012: la religion fait son entrée au coeur de l'Etat.
Pour sauver l’enseignement républicain
Pour lutter contre ce ridicule qui est en train de ternir le Printemps arabe et, notamment, la Révolution de la Liberté et de la Dignité dont les objectifs ne sont ni ceux du rétablissement de l’enseignement obsolète zeitounien, ni l’endoctrinement religieux, un Comité national de veille, d’action et de défense de l’enseignement républicain vient de voir le jour.
Animé par un ensemble d’universitaires et d’enseignants de tous les niveaux, le Comité s’est donné pour mission de faire face au danger qui guette les institutions scolaires et universitaires et, par conséquent, les générations futures et la société tunisienne dans son ensemble. Il condamne, d’ores et déjà, le projet de coupure de l’unité nationale auquel conduira infailliblement le futur enseignement sur une base religieuse à la Zitouna et qui s’est déjà prononcé contre la mixité. Il compte rappeler aux autorités compétentes les objectifs politiques et socio-économiques de la Révolution du 14 janvier et les inciter au respect des valeurs de la modernité qui ont donné sa spécificité au modèle tunisien également ancré dans la civilisation arabo-musulmane.
Le Comité national de veille, d’action et de défense de l’enseignement républicain se veut ainsi le garant résolu d’une Tunisie moderne, ouverte, juste, tolérante, égalitaire et démocratique.
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