Les trois guerriers de l’apocalypse fourbissent déjà leurs armes: Ghannouchi, le Pâris ravisseur de la révolution, Marzouki l’Achille vengeur au talon fragile, et Ben Jaâfar le Hector kamikaze politiquement suicidé.
Par Tarak Arfaoui
Après une soi-disant unité de façade exigée par les circonstances et les intérêts pressants des uns et des autres, le front de la «troïka», la coalition tripartite au pouvoir, commence déjà à se lézarder au bout de quelques mois d’existence.
Les petits calculs des grands chefs
Il est évident que ce ménage à trois, foncièrement contre-nature, ne tient plus la route à cause d’une guerre larvée et insidieuse qui s’est installée entre ses trois chefs dans leur soif de s’accapare le pouvoir dans un avenir proche.
Semblable à la guerre de Troie où les ruses et les subterfuges rivalisent avec les manigances et les basses manœuvres, la guerre de Troie à la sauce Ennahdha est bel et bien en train de bouillonner dans nos instances dirigeantes, entre Ghannouchi, le Pâris ravisseur de la révolution, Marzouki l’Achille vengeur au talon fragile et peu talentueux, et Ben Jaâfar le Hector kamikaze politiquement suicidé.
En effet, la mayonnaise entre ces trois chefs ne prend pas. Chacun commence a tirer la couverture de son côté pour assoir son autorité.
Ghannouchi marque son terrain
M. Ghannouchi, président du parti islamiste Ennahdha, ne rate pas une occasion pour rappeler son omnipotence. Il reçoit ses invités privés dans le salon d’honneur de l’aéroport. Il ne rate pas une occasion pour se montrer aux premières loges lors des cérémonies officielles. Il fait tout pour distiller avec un savant mélange de sournoiserie et de suffisance ses interviews aux médias, locaux et étrangers, qui se bousculent devant son bureau. Ses déclarations sont autant de messages politiques pris au premier degré et adressés à ses deux «adversaires» de la «troïka», et il est clair que son premier ministre, Hamadi Jebali, n’est que le porte-parole et l’exécutant de ses initiatives.
Marzouki candidat à sa succession
M. Marzouki, fondateur et leader du Congrès pour la République (CpR) qui est toujours à la recherche de quelques prérogatives avec son agitation bon enfant, une fois l’amusement dépassé, semble ennuyer au plus haut point ses partenaires de la «troïka». La défection d’une grande frange de son ex-parti, le CpR, et son soulèvement contre le gouvernement ne lui est pas pardonné.
Une guerre larvée s’est installée entre lui et M. Ghannouchi par gendre interposé, Rafik Abdessalem, ministre des Affaires étrangères, sur la conduite de la politique extérieure de la Tunisie et le courant ne semble plus passer entre M. Abdessalem et le président Marzouki, au grand dam des diplomates du pays qui ne savent plus à quel saint se vouer tant leurs avis sont divergents sur la politique internationale de la Tunisie. Ne voulant pas lâcher prise et dans un soucis de positionnement politique, il a eu la louable initiative de déclarer, vendredi, et sans équivoque, son appui inconditionnel à l’Instance supérieure indépendante pour les élections (Isie) de Kamel Jendoubi, très vite critiquée, quelques heures plus tard, par M. Jebali.
Enfin, pour enfoncer le clou de sa divergence avec Ennahdha, il annonce ouvertement sa candidature aux prochaines élections présidentielles, certainement sans prendre l’avis de ses partenaires de la «troïka»: l’homme croit à sa bonne étoile et, encore plus, aux résultats des sondages, qui le donnent en tête du baromètre de popularité.
Ben Jaâfar se rebelle
Quant à M. Ben Jaâfar, gavé de toutes couleuvres d’Ennahdha qu’il a dû avaler, submergé par les flots de critiques concernant sa nonchalance, qui s’abattent sur lui malgré la hauteur de son perchoir, et visiblement ennuyé par ses éternelles chamaillerie avec M. Gassas ainsi qu’avec les constituants issus de l’opposition, il vient soudainement de se remettre en selle, essayant d’occuper un tant soit peu le terrain politique, en marquant sa présence par des initiatives qui semblent déjà vouées à l’échec. Son annonce de la date butoir des prochaines élections, saluée par tous, a très vite été rejetée par les dirigeants d’Ennahdha.
Enfin, l’éventuelle candidature à la présidentielle de Marzouki l’a apparemment réveillé de sa léthargie et manifestement ouvert le feu des hostilités entre les deux postulants.
La guerre de Troie (des trois) est bien dans nos murs, mais espérons qu’elle ne durera pas dix ans comme dans la mythologie grecque!
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